Je pleurais, je pleure et je pleurerai
- Tu vas au cinéma seul ?
Un regard accusateur, des sourcils qui se froncent, quelques balbutations, un petit rire nerveux, un bug cérébral, une remontée gastrique, une remise en question du big bang et de la création humaine puis :
- Mais pourquoi ? C'est triste.
Si je n'étais pas Louis Crétenet j'aurai pointé mon majeur au type en question et serait parti dans une démarche à la James Bond en imaginant l'explosion en arrière fond. Or, je suis Louis Crétenet. Mais pas un petit Louis Crétenet. Un putain de Louis Crétenet. Alors je m'excuse, me sentant gêné par la situation, tourne les talons en manquant de trébucher et fais mine d'en avoir rien à foutre de ce qu'en pense mon semblable en chantonnant une mélodie que j'improvise.
Dans les salles obscures, j'aime toujours être à l'heure. Enfin, vingt minutes avant l'heure. Souvent la salle n'a pas encore terminé la diffusion de la séance précédente. En attendant, on se fait des concours de regards chelous avec les proprios. Je les connais par coeur à force. Comme le type cité au-dessus ils doivent s'en poser des questions sur ma poire.
On daigne nous ouvrir lorsqu'un un couple lesbien se présente à l'accueil pour prendre ses places.
Je me mets au fond. Parce qu'au milieu on est moins seul qu'au fond.
Des gens rentrent.
Je les regarde un peu.
Deux meufs sont un peu bourées.
C'est rigolo, les cinés d'Arts et Essais, parce que les gens sont chelous, jadore.
J'enlève ma veste.
J'éteinds mon téléphone.
Ma mère m'a env...
- Bon, tu nous la racontes ton histoire de merde ! On s'en fout d'ta mère ! On s'en branle de tes petites actions à la mord moi le noeud ! On est là pour savoir pourquoi t'as chialé ! Parce que, con, on se fend la poire quand tu chiales ! Avec tes trucs de baltringues ... Ton hypersensibilité, là ... Oh la la, une affiche de film m'a fait penser à mon ex ... Oh les gens sont trop sur leur portable ... La vie elle est compliquée, euh ... Mon enfance n'était pas facile ... J'ai un bouton dans le dos ... La lumière ... Le cadre ... Les gens ... Allez quoi, divertis nous ! Et surtout après que tu nous ai tout dit ; plains toi. Fais ton Louis Crétenet, quoi.
D'accord, conscience d'un passé douloureux qui me hante, je vais aller droit au but.
- ... Conscience d'un passé douloureux qui me hante, mdrrr ... L'est drôle, c'pédé.
Rien à Foutre avec Adèle Exarchopoulos. Voilà ce que je suis allé voir ce soir là. Le pitch de l'oeuvre me plaît, j'aime beaucoup l'actrice, c'est un drame à la française avec un p'tit côté indé : j'ai hâte.
Le temps passe, je ne m'ennuie absolument pas, le personnage est très attachant, l'ambiance émouvante ... C'est l'histoire d'une jeune femme de mon âge qui travaille dans une compagnie aérienne européenne. Elle monte en grade puis se retrouve confrontée aux chiffres, aux résultats, aux ambitions perverses de son entreprise ... On la voit dans sa vie privée, vagabonder de ville en ville, dans sa vie intime. Elle réflechit, regarde son univers, tout en faisant ce qu'on lui demande sans broncher. Parfois, on la sent déconnectée, loin dans ses pensées, comme si elle remettait tout en question. Pour autant, elle continue, elle subit ... Et ça s'arrête là. Le film n'a pas voulu le faire à l'américaine avec ses drames absurdes et ses situations pittoresques. Non, il est juste simple. Sans artifices. Sans dialogues à rallonges. Sa fin est du même accabit. Pas de cliffhanger pété, pas de gros plans après une scène qui nous laisse en suspens. Non.
Et dans tout ça ; une scène.
Après une énième remarque de sa supérieure, Cassandre, le personnage principal, retourne travailler. Là, une patiente étrangère qui ne parle ni anglais, ni français refuse de se mettre à la place qu'on lui a attribué et insiste pour être face au hublot.
Cassandre, alors cheffe de cabine, décide de suivre à la lettre les indications de son entreprise et commence à hausser le ton. Après quelques minutes de négociations, la cliente accepte, attristée.
Plus tard, Cassandre retourne la voir et lui explique qu'elle est désolée mais qu'elle n'a malheureusement pas le choix de faire ainsi, les règles étant les règles.
S'en suit alors une conversation entre les deux femmes. Là, on apprend qu'elle est Polonaise et qu'elle a prit l'avion afin de se faire opérer, je crois, en Angleterre. Le film ne traduit pas ce que dit la passagère et je ne pourrai donc pas vous relater exactement ce qui lui arrive. Cependant elle montre le cerveau à la cheffe de cabine, lui indiquant l'importance de son déplacement.
Ensuite elle montre quelques photos à Cassandre. De sa famille, de ses proches,...
Puis elle fond en larmes.
Pas des larmes de cinéma en gros plan avec du piano en accompagnement et des dialogues interminables. Juste une femme qui pleure en se cachant les yeux. Qui pleure comme tant d'autres pleureraient dans ces instants là. Avec ce petit côté j'ai honte, avec toute cette intimité que le sixième art ne montre que trop rarement.
Cassandre lui demande alors si elle veut boire quelque chose. La Polonaise accepte et avoue vouloir un petit verre de vin. La personnage principale s'attèle et le réalisateur s'attarde sur un plan où la cheffe de cabine paie elle même ladite commande, voulant faire un geste de solidarité.
Toute cette séquence se termine sur Cassandre, assise face à un bureau où elle se fait sermonner pour avoir payée avec sa carte. Elle ne doit plus recommencer, c'est interdit de payer à la place des passagers, c'est comme ça et, on y revient ; ce sont les règles.
De mon côté, l'émotion monte vite. Je repense à toutes ces années où je travaillais dans le social, où j'ai vécu des situations qui, dans le fond, étaient similaires. Quand j'étais secrétaire dans une résidence autonomie, je me retrouvais très souvent à échanger avec les personnes âgées ainsi que leurs proches. J'étais vite touché par des larmes, par des mots, par des confessions. Leur moindre peur, leur moindre doute me concernaient autant qu'eux. J'essayais toujours de satisfaire leur demande, je m'investissais énormément, ne m'énervais jamais, les écoutait, avait l'impression que je n'en faisais jamais assez ...
Et on me disait, mais on me l'a toujours dit en réalité, qu'il fallait que je mette des barrières avec tout ça ... Que je prenne du recul. Après tout, ce ne sont pas des membres de ma famille. Nous avons tous nos problèmes personnels. Nous ne sommes pas des Dieus, nous ne sommes pas des saints. Nous devons accepter de ne pas toujours pouvoir aider les autres. On m'a dit que ça allait m'affecter à la longue et oui, il est vrai, ça m'a affecté. Beaucoup plus qu'ils n'auraient pensé. C'était une grosse entreprise. Une de celles qui s'implante partout en France. On voulait que je fasse plus d'entrée, que je m'occupe plus des chiffres, des artifices ... Tout en en faisant moins dans mon côté accompagnateur. Vous voyez : similaires dans le fond.
Et du coup, j'ai fondu en larmes.
Au fond du ciné.
Repensant à tous ces vieux, à toutes ces vieilles, à tous ceux qui venaient les voir ...
Et à tout ce que ça me faisait, à tout ce que je ressentais. A cet amour que j'avais pour eux. A cet amour naturel, brut. Direct.
Si une larme coulait sur leur joue, ça me heurtait de pleins fouet. Par exemple.
Pour eux, pour cette fameuse entreprise, c'était pénalisant d'être ce que j'étais. Presque une tarre. Il fallait que je me resaisisse. Et, pour être honnête, on m'a trop souvent fait ce coup là. Partout où j'allais en fait.
- Ah c'est mon moment préféré. Le Louis larmoyant, gnan-gnan, plaintif, triste quoi. Ce qu'il est ridicule. Oui, d'accord, tu éprouves des choses, tu un mec bien mais ... prends toi en main un peu non ? Tu as 27 ans, t'en as vécu des histoires ... Et pour autant tu réagis encore comme un ... comme un gosse. S'rait temps de devenir un adulte, de gérer tes émotions. Mais non, t'es là, toujours le même. Tu ne réussis pas grand chose, tu n'as pas de boulot fixe et tu t'arrêtes toujours à ces excuses minables ... Tu veux que je te dise ? Y a une évidence. Tu n'as pas évolué. Ton ancienne pote, là. Elle avait raison. T'es un gamin. Un chouineur. Si tu continues sur ce chemin, t'auras jam...
Oh et puis merde ! Niquez vos races !
Je vous emmerde vous et vos entreprises ! Je vous emmerde vous et cette putain de société ! J'emmerde tous ceux qui me trouvent bizarre, immature, égocentrique ! Je vous emmerde vous et vos principes de vieux cons, avec vos discours sur la distance, sur le recul, sur le contrôle de mes émotions ! J'emmerde ces connards qui aimeraient que je sois plus comme ci ou plus comme ça ! J'emmerde ceux qui n'ont pas envie de s'emmerder avec mon cas ! D'ailleurs, j'emmerde ceux qui disent que je suis un cas avec un ton à la frontière du dédain et de la pitié ! J'emmerde ceux qui ne me laisse pas aller à mon rythme ou qui me foute la pression, j'emmerde ceux qui veulent que je fasse comme tout le monde ! J'emmerde ces gens qui me demandent de ne pas me laisser déborder parce que ça les gonfle, les gêne ou quoi que ce soit d'autre ! J'emmerde tous ceux qui m'emmerde !
Parce que, crotte, vous croyez que ça ne s'arrête qu'au boulot ? Mais ça se produit de partout ! Que ce soit quand un taulard me parle de sa condition en prison, que ce soit quand des amoureux s'embrassent dans la rue en riant, que ce soit quand un pote vient de se faire larguer, que ce soit quand mes tantes et mes cousines pleurent lors de l'enterrement de ma grand-mère, que ce soit un regard, que ce soit un geste, un mot, que ce soit n'importe qui que je croise n'importe où à n'importe quel moment, j'éprouve, bordel de merde ! J'éprouve !
Voilà ce que je voulais dire depuis le début, ce que je voulais amener calmement, posément ! Il est là le coeur de ce putain de texte !
Je vous emmerde tout autant que je vous aime ! Je vous aime, putain, tous autant que vous êtes. Et je crois, non, je prétends, non, je défends, oui, je défends le droit de vous le dire, le droit de le penser, de le ressentir, de le crier, de le vivre ! Laissez moi libérer l'amour qu'il y a en moi ! Laissez moi, oui, être un putain d'égoïste et de vous dire ce que je ressens pour vous quand je le ressens ! Laissez-moi être amoureux de vous ! Laissez moi ne plus avoir peur d'être moi, d'avoir telle ou telle pensée ! Laissez moi pleurer en public, laissez moi m'énerver, laissez moi beugler, casser, fulminer, laissez moi être bizarre, glauque, étrange, laissez moi me faire emporter par mes émotions, laissez moi être différent ! Non ! Laissez-moi être normal. Laissez-moi être humain.
Et pour vous, je fais tout, je ressens tout. J'essaie en permanence d'être le meilleur pour vous, de vous plaire, d'être l'homme que vous voulez que je sois ! J'essaie, putain, de ne pas vous déranger, de ne pas vous offusquer, de ne pas empiéter sur votre confort ! J'essaie, tout le temps, d'avoir votre bénédiction sur tout ce que je fais, pense, écrit, fait ... J'essaie, même, d'être toujours d'accord avec vous, d'écouter vos façons de penser, de les accepter, de les ressentir ! J'essaie de ne jamais prendre trop de place, de vous laisser du temps pour vous exprimer ! J'essaie toujours, en permanence, de vous divertir, de vous occuper, de vous faire rire, de faire en sorte que vous soyez heureux à mes côtés tout autant que je le suis avec vous. J'essaie de ne voir que le positif qu'il y a en vous et il m'est toujours arrivé de vous trouver mieux que ce que je suis.
Et, oui, je me rabaisse, parce que j'ai toujours l'impression de ne jamais en faire assez. Des fois, je ne sais pas quoi vous dire, alors j'ai peur d'être emmerdant, ennuyant, de mauvaise compagnie.
Alors parfois, je n'ose pas, par peur, je m'isole, je peux vous ignorer, bouder, être désagréable ... Il y a des répercussions à toutes ces choses et je le conçois.
Mais il y a quelque chose dont je me rends compte aujourd'hui. C'est fini d'entendre cette petit voix au fond de ma tête qui mélange les horreurs qu'on m'a dite et que je me suis balancé par la force des choses.
Je suis quelqu'un de bien. Je suis Louis Crétenet et, oui, oui, oui, oui, mille fois oui, je suis quelqu'un de bien.
D'accord, je ne suis pas fait pour beaucoup de choses, soit.
D'accord, je ne suis pas fait pour avoir un métier normal, soit.
D'accord, j'ai du mal à faire certaines activités, soit.
D'accord, j'ai du mal à réfléchir comme la plupart des gens, soit.
D'accord, toutes ces émotions apportent aussi des inconvénients, soit.
D'accord, je ne serai pas proche de tout le monde, soit.
D'accord, c'est compliqué pour les autres de devoir subir mes états âmes, soit.
Mais je vais pleurer. Je vais ressentir. Je vais vous aimer.
Et pleurer ça me fait un bien fou. Ressentir, ça me fait un bien fou.
Aimer, c'est ce qui me rend le plus heureux.
Je vous emmerde pensées nauséabondes.
C'est décidé, j'emmerde mes peurs, j'emmerde tout.
'fin voilà quoi, je me suis un peu énervé. C'est pas personnel, hein.
Fallait que ça sorte.
Ah oui et ... J'ai un peu oubliez le titre de cet essai mais, pleurez. Ça fait tellement du bien de pleurer.
Je vous aime.
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