Chapitre 5 : Les ailes de la liberté
Le souffle me manqua lorsque j’ouvris les yeux. Pour une fois, ce n’était pas mon reflet qui m’attira en premier. Mais plutôt cette incroyable pièce… Il y avait toujours les mêmes meubles, les deux portes et des plinthes, mais… les murs avaient disparu. À la place, une étendue bleue azur, percée de formes blanches, m’entourait : le ciel. C’était surréaliste ! En effet, je ne pouvais sauter dans le vide, le ciel était littéralement un mur impossible à passer. Quant à mon reflet, que dire ? Moi qui pensais devenir un œuf, je tombais de haut. Dans le dos de ma sombre silhouette grésillante, deux amas de plumes noires descendaient jusqu’à mes pieds, des ailes. Cependant, ces ailerons vaporeux laissaient, par leur ombre semblant déchirer amèrement le ciel, une impression malsaine d’être pris en tenaille. De plus, un bec crochu était fixé à droite de ma tête. Un bec de vautour. Un bec de charognard. Je fermai doucement mes yeux vides, blancs. Un sentiment se formait dans le creux de mon ventre, mais je ne savais le reconnaitre. De manière abstraite, sans savoir comment poser les mots dessus, je le qualifiai de clair. Une sensation claire, légère, mousseuse. Mes lèvres absentes les prononcèrent enfin, ces mots relevant presque de l’indicible :
— Je me sens libre.
Aussitôt murmurée, ma phrase s’envola dans les airs. Bientôt, je pourrai la suivre, voler avec elle, danser entre toutes ces lettres. Mais pour cela, je devais m’activer. J’arrivais vers la fin de ma quête, je le savais. Plus qu’une transformation et j’aurai bouclé le cercle de la vie.
Je baissai les yeux et remarquai que j’avais les poings serrés de détermination. Il fallait vite que je me reconcentre sur ma tâche. La première chose que j’avais remarquée était le fait qu’il n’y avait plus de runes dans le reflet du miroir. Chose plutôt normale et rassurante, étant donné que j’avais déjà résolu l’énigme de ces symboles. Ensuite, je m’aperçus que le miroir était suspendu par un crochet… au ciel. Le câble qui le soutenait s’élevait en effet au-dessus de moi, mais je ne pouvais voir jusqu’où il allait. De plus, il se tenait à côté du miroir deux autres crochets, cependant, rien n’y était accroché. Sûrement un nouveau mystère à résoudre.
Sur la table, le téléphone n’avait pas bougé. Mais lorsque je décrochai le combiné, d’étranges choses en sortirent. On aurait dit des points d’interrogations qui voletaient, chacun soutenu par une paire d’ailes. Malgré cela, au moindre contact entre mon épiderme et l’entité, celle-ci s’évanouissait dans les airs. Légèrement frustré de cet échec, je décidai de porter mon regard vers les nébulosités immaculées pour m’aérer l’esprit.
Je ne savais pas grand-chose des nuages. Seulement qu’ils se trouvaient si haut dans le ciel qu’il était impossible de les atteindre. Néanmoins, quatre nuages de même forme me semblaient assez proche du sol. Lorsque je tendis le bras pour en toucher un, ma main se referma sur une matière moelleuse mais malléable. À ma grande stupeur, au moment où je voulu ramener mon avant-bras vers moi, le nuage y resta collé. Chose d’autant plus surprenante qu’il commença à changer de forme. Et c’est uniquement quand mon bras fut enfin détaché du cumulus, que je remarquai qu’il avait pris la forme d’un lézard. Alors, sans trop de raison, j’imitai l’opération avec les trois autres. J’obtins finalement, en plus du lézard, un nuage en forme de poisson, un autre semblable à un ver et un dernier représentant un œuf. C’était magnifique, mais à peine posai-je le regard sur eux, qu’ils s’évanouirent dans les cieux. À la place, un nouveau nuage, de forme normale, se présenta. Je le pris alors dans la main et commençai à le déplacer dans tous les sens. Il forma tout d’abord un petit cercle, puis celui-ci grossit et deux traits apparurent en son centre. Il avait cette fois pris la forme d’une montre réglée sur sept heures vingt-cinq. Aussitôt, je priai pour que l’horloge soit toujours dans l’autre pièce et y courus dans même regarder autour de moi. Arrivé devant la comtoise, je remarquai que le petit cadran au-dessus du douze était ouvert et séparé en quatre. La première partie représentait le soleil à son zénith, la seconde un soleil couchant, la suivante montrait la lune et la dernière, le soleil se levant. Une petite aiguille tendait vers la première image. Ainsi, on devait être en milieu de journée, ce qui expliquait le beau ciel bleu. Revenant sur mon choix, je décidai tout d’abord d’étudier les autres pièces avant de modifier l’heure.
Je commençai donc par analyser ce lieu. L’horloge en elle-même n’avait rien à m’apprendre pour le moment, son coffre étant fermé et il n’y avait plus aucun cadavre devant. Mais à côté, un drôle de nid reposait sur un mât qui sortait du sol. Je m’approchai alors de l’abris et constatai qu’il y avait à l’intérieur deux œufs. Sans réfléchir, je posai celui que j’avais préalablement récupéré dans l’autel près d’eux. D’emblée, les trois coquilles se fissurèrent. Je tapotai légèrement dessus, quand trois oisillons en sortirent leur tête. Ils étaient tous de la même espèce, mais l’un avait le bec ouvert alors que les deux autres, non. Je touchai donc sa tête et immédiatement, les trois petits disparurent, puis tout aussi rapidement, le duo réapparu. Mais à la place du troisième au bec ouvert, se tenait un doigt. Un doigt humain. J’appuyai doucement sur le membre, il rentra dans la coquille. De même pour les deux oiseaux. Je me demandai maintenant ce qui pouvait sortir de ses œufs et fut surpris de constater qu’une unique plume blanche en sorti. Je la récupérai sans l’abimer, persuadé qu’elle me serait utile.
La pièce suivante avait également été modifiée. Sur le meuble aux tiroirs était désormais posé un pot et, à côté, la cime d’un arbre dépassait. Je me dirigeai tout d’abord vers le casier et constatai qu’il n’était plus vide. En ouvrant les tiroirs, je pus intercepter un poids sur lequel il était noté le chiffre un, un livre et quelques feuilles. Sur ces dernières étaient dessinés les mêmes soleils que sur le cadran de l’horloge. Cependant, en face du soleil qui était plein, il était inscrit quatorze heures. Cela devait correspondre à l’horaire à laquelle je me trouvais en ce moment. Sur une autre page était cette fois représentée la lune, au-dessus de l’inscription « dans la nuit ». Il y avait en-dessous un cadran indiquant l’heure, mais à la place des chiffres étaient tracées des reliques. Cela donnait « ver, cœur : lézard, poisson ». Enfin, le bas de la page montrait un poids. À mon avis, à l’aide des crochets vus dans la première salle, il fallait comparer la masse des différentes reliques avec le poids afin d’associer à chaque objet un chiffre. Ainsi, je pourrai obtenir une nouvelle heure.
Le livre, quant à lui, était peu intéressant, mais laissa échapper quelques pages qui m’intriguèrent. Quelques lignes y étaient notées, bâclées et me perturbèrent fortement.
« Après le coucher de soleil, durant la soirée,
Le Hibou a volé vers moi dans l’air nocturne.
Je n’avais jamais vu une lune aussi grosse.
Le Hibou a regardé à droite,
Tout en déployant ses ailes.
Puis, il s’est à nouveau tourné vers moi,
Et m’a dit ces mots :
« N’oublie pas ton but »
Il a regardé à gauche,
Puis il a dit :
« Tu dois te transformer »
« Atteindre l’illumination »
Il a planté ses yeux dans les miens.
« À l’heure où le soleil se lève »
Il a tourné la tête dans son dos.
Un instant après, il avait disparu »
Lorsque mes yeux eurent fini de suivre ces lignes, je remarquai le silence lourd qui m’entourait. J’avais retenu mon souffle tout le long de cette lecture, comme si le moindre bruit pouvait désagréger ce moment. Un long fourmillement me parcourra le dos lorsque je relus pour la deuxième fois le texte. Sans savoir pourquoi, ces mots sans émotions avaient provoqué une rupture en moi. Mais je n’avais aucune idée de quelle déchirure il s’agissait. Alors, gardant le poème en mémoire, je m’appuyai sur mes jambes tremblantes pour analyser les autres objets de la pièce. Je passai rapidement du pot à l’arbre, l’objet de terre demeurant vide. La cime, elle, tenait lieu d’abris pour un écureuil qui tenait une plume entre ses pattes. Je compris alors que les plus allaient m’être nécessaire pour l’autel. Mais comment la récupérer ? J’essayai pendant plusieurs minutes et par toutes les façons, mais ne trouvai aucun moyen de rentrer en sa possession. À chaque fois que je m’approchai, l’écureuil fuyait en sautillant. Dépité, je choisis de retourner dans la salle de la comtoise, j’y trouverai sûrement une solution !
Tentant de garder l’équilibre, sur la pointe des pieds, je tournai les aiguilles. La plus grande face au cinq, la petite élancée vers le sept.
Rendez-vous à l’aube.
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