À onze heures précises, Numéro 4 arriva à l’étage du bien-être. Il se dirigea en premier vers les jacuzzis et inspecta leur état. Le bac numéro 1 était cassé avec une immense fracture qui avait déversé tout le contenu. Il restait malgré tout utilisé par un visiteur qui se tenait inlassablement adossé à un bassin vide. L’absence de la moitié de son torse et la barre d’acier le traversant auraient pu alerter Numéro 4 d’une anomalie, mais il ne prêtait pas attention aux détails physiques des clients. Le robot ramassa néanmoins les débris de la flûte à champagne gisant au sol pour éviter des blessures provoquées par des bouts de verre. Il proposa d’une façon prévenante une coupe de remplacement au tronc démembré qui profitait d’une séance de bains à remous vide. Le visiteur ne lui répondit pas et Numéro 4 ne se vexa pas outre mesure : il en demeurait incapable. L’automate de ménage notifia tout de même au Central que l’eau manquait dans le bac. Le régisseur invita l’unité à poursuivre ses interventions, l’anomalie était déjà connue.

Le second jacuzzi ne présentait pas de défaut, parfaitement propre et prêt à être utilisé. Numéro 4 s’étonna de voir que l’autre client préférait rester dans une baignoire brisée avec une petite flaque au fond, mais qui était-il pour juger ses choix ?

Le troisième avait le mode microgravité activé et formait une immense goutte d’eau animée par des bulles qui partaient du centre vers la surface en suivant une trajectoire rappelant une hélice hélicoïdale. L’effet pouvait hypnotiser, mais Numéro 4 n’était pas plus impressionné que ça. C’était plutôt la couleur du liquide qui le dérangeait, plus rouge que d’habitude, avec la présence de plusieurs personnes à l’intérieur. Elles nageaient sans se préoccuper de cette eau de piètre qualité. Les corps se dandinaient au gré du courant et valsaient curieusement ensemble. Numéro 4 ne savait pas si le « pantin désarticulé » était une technique de natation, mais il trouva la pratique fort intrigante.

Le robot de ménage poursuivit avec la zone de massage. Les huit bras mécaniques des tables disposaient d’une précision et finesse remarquable. Ils pouvaient pétrir les muscles avec vigueur tout en appliquant de délicates pressions et effleuraient ensuite la peau d’une façon presque sensuelle. Et entre deux tapotements et percussions rythmées par une musique inaudible, leur minutie leur permettait d’exécuter une opération de neurochirurgie. Cela arrivait très rarement pendant un massage.

Numéro 4 tenta tant bien que mal de redresser le banc 7 avec ses supports brisés. Le robot jugea que cela devait être particulièrement inconfortable pour la personne qui se trouvait dessus à ce moment-là, mais elle ne semblait pas se plaindre. Les bras du masseur automatique étaient parvenus à lisser et étirer sa peau d’une façon si parfaite qu’on n’aurait jamais imaginé que la cliente y était allongée depuis huit jours. Pendant quelques microsecondes, Numéro 4 jalousa leur efficacité, puis il poursuivit son travail à l’étage du bien-être. Il signala plusieurs défaillances auprès du Central, mais aussi ses propres plaintes concernant les résidents qui l’empêchaient de bien se déplacer. Les poutres brisées, les murs effondrés, et meubles renversés gênaient bien assez ses jambes maladroites, mais il fallait en plus de ça que les gens dorment par terre ou laissent traîner leurs membres détachés de leurs corps.

Le Central rappela à Numéro 4 que râler était caractéristique des humains, les robots devaient se contenter de faire leur travail. L’unité de ménage acquiesça au bout de vingt-huit millisecondes de réflexion sur le sujet et poursuivit.