5/7
Midi trente sonnait et l’unité de ménage avait respecté son planning à la lettre. Numéro 4 profitait d’une pause bien méritée dans la station de recharge du quatrième étage. Ses batteries requinquées, ses réservoirs de détergents remplis et ses conteneurs à détritus vidés, il reprit le travail à quatorze heures.
La prochaine étape de son parcours était le restaurant sur la terrasse du huitième niveau, un endroit idyllique où le panorama céleste accompagnait un repas gastronomique. Le ciel étoilé luisait d’une couleur irréelle causée par le champ de force d’urgence qui encaissait des pluies de débris régulières. Les impacts de particules vertes offraient un feu d’artifice improvisé. Cela se mariait bien avec les morceaux de la section supérieure du dôme de verre, protégeant habituellement l’hôtel telle une boule à neige, qui tournoyaient dans le vide. La proue d’un croiseur stellaire transperçait la partie inférieure comme une décoration dramatique.
Les robots serveur n’avaient pas débarrassé les tables et Numéro 4 le déplora. Les succulents mets préparés par les chefs multiétoilés pourrissaient dans les assiettes, avec des clients assoupis sur les nappes déchirées ou sur la vaisselle. La cheffe Georgia Madriena aurait trouvé cela outrageant de voir ses fameuses lasagnes cuisinées en microgravité utilisées comme oreiller. Si l’unité de ménage avait pu soupirer de dépit, elle l’aurait fait : un tel laisser-aller contredisait la politique d’excellence d’Exiatis-4. Numéro 4 signala tous ces défauts au Central, ainsi que les tonnelles carbonisées et l’étrange impression que la tranchée en béton vitrifié profonde d’une dizaine de mètres sur la terrasse auparavant n’existait pas. Le régisseur du complexe, visiblement au courant de tout et refusant donc les remontées d’anomalies, s’occupait activement à la résoudre en mandatant les équipes de maintenance appropriées.
Le robot réaligna proprement les tables ainsi que les chaises. Il ne dérangea pas les clients à moitié désintégrés dans leur sieste de l’après-midi. Il éprouva quelques difficultés à marcher parmi les effets personnels attachés à des membres disposés çà et là. Numéro 4 dut ensuite réfléchir pendant de longues millisecondes pour trouver un moyen de franchir la crevasse séparant la terrasse en deux. Ses plans de l’hôtel ne mentionnaient rien à ce sujet. Il hésita à demander une mise à jour au Central. En attendant, l’unité déploya ses bras extensibles et parvint presque à atteindre l’autre bout. Elle termina la manœuvre en faisant de même avec ses jambes et réussit à se hisser péniblement en face. Le robot en profita pour nettoyer la surface fondue du béton, les traces de suie perturbaient ses directives.
D’un geste peu assuré, puisqu’il n’avait pas été programmé pour ça, il remonta une tonnelle dont un pied s’était décroché. Cela lui permit d’intervenir sur les tables en dessous en les réalignant correctement, puis en disposant une nappe propre dessus. À sa droite il observa un androïde serveur, l’unité 37, qui se contentait de heurter un mur en boucle. Sa tête cabossée, qui devait rappeler autrefois une caricature de garçon français aux cheveux noirs plaqués et à la fine moustache courbée, ne ressemblait plus qu’à une boîte de conserve malmenée. Leur sombre et élégant costume déchiré assorti à des chaussures brillantes écharpées faisait peine à voir. La 35 était, quant à elle, éparpillée sur une bonne moitié de la surface. Numéro 4 estima que ses collègues robotiques avaient besoin d’une maintenance plus sérieuse. Et peut-être plus encore pour ceux qu’il supposait être les serveurs de 11 à 29 flottant parmi les éclats de la coupole et des clients. Leurs pièces détachées les suivaient en formant une traînée rappelant l’esthétique industrielle très à la mode dans le milieu hôtelier quelques décennies auparavant.
Annotations
Versions