Prologue

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Sibérie, 6 août 2003

Laboratoire, deuxième sous-sol

Centre d’observation et de contrôle de la lune

— Vova, tu penses qu’elle va survivre à tout ça ?

— Si elle est aussi coriace que sa pute de mère, elle est ma meilleure chance, Angus… Un jour, je révolutionnerai le monde ! répondit le dénommé Vladimir, quelque chose d’effrayant, son interloctuteur n’aurait pas vraiment su dire quoi, dans l’intonation de sa voix.

Le jeune Angus, grand et costaud, se frotta le menton, perplexe. Depuis qu’il avait intégré le Projet lune, son Allemagne natale lui manquait. Au côté d’un machiavel tel que Vladimir, il ne lui avait pas fallu plus de cinq jours pour comprendre que sa présence ici était une erreur. Et pourtant, son orgueil et, il ne l’admettrait jamais, la crainte profonde teintée de mépris qu’il ressentait à l’égard de son tyran despotique de patron, l’obligèrent à rester muet et à s’acclimater à la situation actuelle.

Ses grands yeux bleus, d’une douceur infinie, tentèrent de se faire durs et implacables lorsqu’il les posa sur Vladimir, qu’il préférait appeler Vova dans une vaine tentative de le lui rendre plus sympathique. Une mèche de ses longs cheveux blonds tirés en chignon tomba devant son visage, et il fut soulagé de ne pas avoir à soutenir plus longtemps le regard froid et sans âme de l’éminent scientifique russe qui se tenait à ses côtés.

D’un même mouvement, les deux hommes portèrent leur attention sur l’immense sphère, totalement hermétique et insonorisée, qu’Angus et les autres scientifiques du Projet lune avaient mis tant d’années de travail à concevoir et à perfectionner, sous les ordres d’un Vladimir intransigeant et, bien souvent, irascible.

C’était la lune, et elle portait en son sein deux magnifiques femmes.

La première, Asta Lund, était une célèbre chercheuse suédoise, auteure de plusieurs livres de renommée mondiale dans le milieu de la recherche scientifique. Ses travaux sur la robotique humanoïde avaient fait parler d’elle à plus d’un titre, faisant polémique dans le monde entier. Quiconque la croisait voyait en elle le parfait cliché de la suédoise svelte, avec de longs cheveux blonds et une énorme poitrine, quoique naturelle. Pour démonter ses recherches, il n’était pas rare que d’autres chercheurs réputés usent de propos sexistes et dégradants à son encontre. La remarque qui revenait le plus souvent, diffusée à l’échelle planétaire sur les réseaux sociaux et notamment sur YouTube, était la suivante : « Tu serais bien plus utile pour la société en montrant tes seins nus sur les bords des routes pour faire ralentir les automobilistes, poupée ! Laisse donc les hommes gérer la science et l’avenir de l’humanité ! ». Cette phrase, prononcée par son plus grand détracteur, le non moins célèbre Ludwig Vladistrauss Popoff, avec un mépris tel pour la jeune femme qu’il lui avait refusé le respect de la vouvoyer, avait rapidement fait le tour du globe, collant à la peau d’Asta comme une mouche sur un pot de miel et lui ôtant toute crédibilité aux yeux de nombre de ses pairs.

La seconde n’était qu’un nouveau-né tout juste sorti du ventre de sa mère quelques secondes plus tôt mais, à n’en pas douter, elle ferait plus tard une magnifique jeune femme.

Treize mois plus tôt, la célébrité d’Asta s’était retournée contre elle et, alors qu’elle participait à un congrès, son chauffeur avait été égorgé et jeté sans vergogne dans une benne à ordures. Elle s’était retrouvée à l’arrière de sa limousine sans se douter un seul instant qu’elle ne la conduirait jamais chez elle, Vladimir ayant pris la place conducteur du véhicule, dissimulé à la vue de sa cible par une vitre séparatrice coulissante teintée.

L’instigateur du Projet lune avait pour rêve l’immortalité, et il avait vu dans la robotique humanoïde d’Asta un moyen d’y parvenir. À plusieurs reprises, il s’en était fallu de peu pour que la jeune femme parvienne à s’échapper. Chaque fois, il avait eu recours aux méthodes de torture les plus cruelles, barbares, et extrêmes pour la punir et, après deux mois d'insolence, de fureur et de soif de liberté, la pauvre captive avait fini par lâcher prise. Après quelques essais infructueux, la malheureuse était finalement tombée enceinte de son ravisseur.

Celui-ci, après plusieurs échecs de greffons sur des cobayes involontaires qui avaient tous fini entre quatre planches, était venu à la conclusion que sa plus belle chance de réussite était un nouveau-né, car parfaitement malléable et n'ayant jamais rien expérimenté.

Il était à neuf mois du secret de l'immortalité, il en était certain et, comme un enfant à l'approche de Noël, intérieurement, il trépignait d'impatience...

L'épreuve la plus dure pour lui, qu'il avait souvent trouvée insoutenable, était la douceur et l'attention dont il devait faire preuve envers Asta. Si cela n'avait tenu qu'à lui, elle serait déjà morte et enterrée depuis longtemps, mais il lui fallait l'enfant. De surcroît, Asta était la seule à pouvoir reproduire à la perfection les étapes détaillées des schémas de son dossier d'études sur la création de l'humanoïde idéal.

La plupart du temps, pour se libérer de sa frustration de ne pas pouvoir s'en prendre à elle, il s'acharnait sur le pauvre Angus, qui avait pour mission de faire les derniers réglages et contrôles de conformité de la lune.

Et enfin, en ce 6 août 2003, reclus quelque part au cœur de l'immensité sibérienne, il se réjouissait, non seulement de la naissance de son « outil de travail », mais également du fait qu'il pourrait bientôt se défouler sur la pauvre et faible Asta. Peut-être même que, s'il était de bonne humeur, il jouerait un peu avec elle en lui faisant croire que sa vie avait un prix et qu'elle pouvait le payer, avant de l'abattre froidement et de découper son corps en morceaux pour envoyer certains de ses membres à sa famille.

La célébrité le rebutait et le mettait hors de lui, parce que lui ne l'était pas, mais il profiterait de celle de la jeune femme pour créer la sienne, tout en laissant son sadisme pervers s'exprimer librement et sans aucune limite !

Ainsi, Asta, des torrents de larmes dévalant ses joues et courant s'écraser sur son jean, tenait, de ses mains tremblantes, un scalpel qu'elle haïssait déjà par-dessus tout alors qu'elle n'avait pas encore eu l'occasion de s'en servir. Le nourrisson, posé à plat devant elle, attaché par de petites sangles sur une minuscule table d'opération, modèle unique construit par Vladimir lui-même, la regardait fixement sans pleurer, à la plus grande stupéfaction de tous.

Après un long sanglot de désespoir, elle sécha ses larmes, roula des épaules pour se donner du courage et, les tremblements de ses mains enfin maîtrisés, dirigea lentement la maudite lame vers le crâne du bébé.

Puis ce fut tout. Lorsqu'elle se releva, elle n'était plus dans la lune. Elle n'était même pas certaine d'être encore en Sibérie. Seule, entièrement nue, elle titubait, transie de froid, perdue au milieu d'une vaste forêt humide.

Parfois, une douleur insoutenable la pliait en deux. Sa vision s'obscurcissait, et elle se voyait, enchaînée, dans une cellule sombre, une silhouette masculine au-dessus d'elle, riant comme si elle était le diable en personne.

Elle ne se souvenait de rien de plus. Si ce n'était ce prénom. Cet étrange prénom.

Célèm…

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