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Slovénie, 22 juin 2019
Quelque part sur le Mont Triglav
Couche temporaire d'agents du CSSI en mission de reconnaissance
Ernesta Redjnak et Eta Želinšček étaient transies de froid. Blotties l’une contre l’autre, grelotantes, elles s’efforçaient de rester à l’affut du moindre danger, effrayées chaque fois que leurs ventres affamés se manifestaient. Leur mission de reconnaissance pour le CSSI, qui n’aurait dû durer qu’une semaine, s’éternisait. Tous leurs moyens de communication avec les agents restés au centre étaient HS, et l’hélicoptère qui devait les récupérer il y avait de cela huit jours n’était jamais venu au lieu de rendez-vous. Désormais, elles pensaient être tombées dans un piège visant à les isoler pour les éliminer. En effet, elles étaient deux des meilleures recrues du CSSI et cela les mettait considérablement plus en danger que les autres agents.
Le CSSI avait reçu de Mareva Steevensen, un Fantôme capturé il y a plusieurs années et qui officiait dès lors en tant qu’agent double, une information selon laquelle l’un des Fantômes les plus dangereux et recherchés du monde se cacherait en Slovénie, quelque part sur le Mont Triglav. Immédiatement, les deux femmes, d’origine slovène, avaient été missionnées, avec Patrizio Mazzi, un agent italien massif bien entraîné à la survie mais qui effectuait sa toute première mission de reconnaissance. L’homme était parti leur trouver des vivres, et n’était pas reparu depuis l’aurore.
Pourtant faibles, elles perçurent immédiatement le craquement d’un pas sur la neige. Elles se redressèrent, les membres gourds. Chacune serra fort dans son poing son couteau à cran d’arrêt, scrutatrice et silencieuse. Serait-ce Patrizio ? Serait-ce un ennemi ? L’obscurité les empêcha de le découvrir…
Islande, 14 mars 2008
Maison d’Elis Salomonsson, serre de Jensína
Ce matin-là, au saut du lit, la première pensée d’Elis avait été, comme tous les matins depuis la mort soudaine et inattendue de son épouse, alors qu’elle mettait au monde leurs magnifiques jumelle et jumeau Rebekka et Björgólfur, « encore une parfaite journée pour mourir ». Il ignorait alors à quel point il était proche de la réalité.
Quelques heures plus tard, alors qu’il donnait le biberon à leurs enfants, la sonnette, dissimulée pour n’être connue que de ses coéquipiers, comme une mélodie funeste, avait retenti. Il s’était figé puis, après un dernier regard inquiet pour ses enfants, était allé ouvrir.
Eyjólfur Áskelsson, le chef de son unité, se tenait devant lui, l’air grave.
— Encore une parfaite journée pour mourir, dirent-ils en chœur, dans un code secret connu des membres de CSSI seuls.
Eyjólfur n’entra pas. Ils ne se saluèrent pas. Elis, n’attendit pas qu’il parte. Il se précipita dans la serre que sa Jensína chérissait tant. À l’intérieur, il plongea profondément les mains dans un sac de terreau pour en sortir son pack d’urgence dans le cas où il devrait en arriver à disparaître, lui et sa famille.
Moins de cinq minutes plus tard, alors qu’il partait en trombe dans sa voiture familiale, Rebekka et Björgólfur soigneusement installés à l’arrière, la maison qu’il avait achetée avec Jensína brûlait comme jamais. Ses yeux, eux, se noyaient à grande eau.
Pologne, 29 janvier 2013
Quelque part, un bar mal fâmé
Marian Krol but une gorgée de sa bière, ses yeux plissés rivés sur sa cible. Mareva Steevensen capta son regard. Il lui sourit, séducteur, alors qu’il était secrètement effrayé d’être découvert. La jeune femme, sexy en diable dans sa robe qui ne cachait quasiment rien de son anatomie, s’approcha de lui dans un déhanché qui fit se dresser douloureusement sa queue.
« Pas en mission… », se réprimanda-t-il intérieurement alors que Mareva se penchait au-dessus de lui sous prétexte de lui parler à l’oreille, lui permettant ainsi d’admirer la perfection de ses seins d’albâtre dont il rêverait de triturer les pointes.
Il rougit à ce qu’elle lui murmura, se répétant encore et encore « pas en mission ! ». Finalement, il se laissa emporter lorsqu’elle le traîna dans les toilettes de ce bar répugnant. L’instant fut magique malgré le contexte et l’endroit. Si magique qu’elle l’amena chez elle pour jouir de son corps le reste de la nuit. Une énième fois, il se répandit en elle en grognant d’extase. La jeune femme était resserrée autour de son membre quand il l’embrassa. Elle s’endormit alors qu’ils étaient toujours intriqués. Il souhaita de tout son être qu’une histoire d’amour soit possible entre eux… et pourtant, il eut la force de reprendre ses esprits. Lorsqu’elle se réveilla, Mareva était menottée à son propre lit.
— C’est quoi c’bordel ‽ T’es un tueur en série ‽ paniqua-t-elle en voyant Marian voler l’arme qu’elle dissimulait dans son chevet.
— Marian Krol, CSSI, annonça-t-il en sortant son badge.
Les yeux de Mareva s’éclairèrent de compréhension. Indépendante, ni fantôme, ni agente du CSSI, elle vivait une existence ordinaire, et n’avait pas à s’inquiéter de sa sécurité en dehors de ses contrats. Du moins, c’est ce qu’elle croyait dur comme fer jusque-là. Elle s’imaginait simplement terminer une fois de plus sa nuit contre le corps chaud d’un inconnu et commencer une nouvelle journée sans plus s’en souvenir et se rendre à son ennuyeux travail de fonctionnaire comme si de rien n’était. Et, pourquoi pas, baiser avec son collègue de bureau à la pause-café.
Sans la quitter du regard, Marian sortit son téléphone portable et utilisa une touche de numérotation rapide.
— Matricule 976456 au BTF du CSSI, cible neutralisée et prête à être rapatriée. Je lance l’analyse du sujet. Appartement à fouiller, en attente d’une équipe.
— Responsable du BTF du CSSI à Matricule 976456. Reçu 5 sur 5. Envoie d’une équipe imminente, veuillez annoncer votre position exacte.
Alaska, 9 novembre 2006
Centre Secret de Surveillance Internationale
Bureau de Traque des Fantômes
— Marcella Rassmussen, dites-nous où se trouve Vladimir Isayev, ordonna Asta avec empressement, debout, les bras croisés sur son ventre, qui relevèrent sa poitrine.
Depuis la création du CSSI, le quinze avril, aucun agent n’avait jamais réussi à capturer le moindre Fantôme, malgré l’argent, les moyens technologiques et les efforts investis. À côté d’elle, l’agente Liisa Hård est tout aussi impatiente.
Enfin, elles avancent dans leurs vengeances. Asta pour son enlèvement, sa séquestration, ses viols à répétition et le vol de sa fille et de son amant, Liisa pour le meurtre de son mari et son viol en réunion devant le corps inerte de ce dernier ayant mené à un avortement, contre ses convictions religieuses mais indispensable pour sa santé mentale.
La cible appréhendée resta obstinément silencieuse. Asta et Liisa se lancèrent un regard entendu : le Fantôme capturé parlera, de gré ou de force. Avant de compter parmi les victimes de Vladimir, Asta et Liisa menaient des existences tout à fait ordinaires et n’auraient pas pu un seul instant imaginer être elles-mêmes capables du pire, mais désormais ?
Étaient-elles véritablement prêtes à tout pour leurs vengeances respectives, au prix de leur humanité ?
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