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Sibérie, 11 août2019
Quelque part au cœur de la forêt
Puits des Âmes Perdues
— Seigneur tout puissant… répéta Angus, horrifié. Vladimir, qu’as-tu fais ?
Il ne put rien réprimer : il vomit une affreuse bile verte dans l’eau croupie du puits. Sans plus se soucier de se dissimuler des agents à sa poursuite, des hommes de Vladimir et de Vladimir lui-même, avec des gestes précipités et désordonnés, rempli d’effroi, fermant la bouche pour ne plus respirer, il s’empressa de regagner la surface. Plutôt se faire capturer par les agents du CSSI (une chance immense d’enfin recouvrer sa liberté) ou par Vladimir (un cauchemar) que rester là !
Ses yeux voyaient encore ce qui se trouvait au fond du puits, alors même qu’il était remonté à la surface. A contrario de son cerveau qui, lui, niait tout en bloc. Il avait toujours considéré Vladimir comme un monstre, mais, pour survivre à sa captivité, il s’était peint un portrait mental de l’homme bien en-deçà de la réalité. Non, Vladimir ne pouvait pas être ce genre de monstre ! Un violeur, un tortionnaire, un meurtrier, oui, mais… ça !
À nouveau, il vomit douloureusement sa bile. Malgré lui, l’image atroce des centaines de corps de nouveaux-nés gisant quelques mètres sous lui, s’imposa à son esprit. Vladimir lui avait juré qu’il ne ferait aucun mal à ses enfants, même s’ils étaient les fruits de viols de nombreuses femmes pour servir ses desseins de domination de la planète et d’immortalité, et surtout, même si l’implantation de puces dans leurs cerveaux étaient des échecs qui ralentissaient ses plans fous ! Et il y avait cru ! Il avait tellement voulu y croire ! Toutes ces années ! Alors que les âmes innocentes de tous ces nouveaux-nés étaient égarées et ne pouvaient pas trouver la paix car leurs corps n’avaient pas de sépultures dignes !
C’est alors qu’il tentait de reprendre ses esprits, le souffle court, penché vers le sol dans le cas où il vomirait à nouveau, mains sur les genoux, qu’il fut appréhendé par les agents du CSSI. Souriant, il n’opposa aucune résistance. Enfin, il était libéré, et qu’importe s’il finissait dans une cellule du CSSI, il ne serait plus jamais entre les mains de Vladimir ! Il n’aurait plus à faire tout ce qui allait à l’encontre de ses valeurs ! Il pouvait se déplacer partout sur la planète, mais il n’avait aucun libre-arbitre, et c’était bien pire qu’une prison physique !
Son séjour à Munich, il y avait de cela seize ans, aurait dû être extraordinaire. Il avait trouvé l’amour, et son rêve d’avoir enfin une femme et des enfants allait se concrétiser. Mais les griffes de Vladimir s’étaient refermées autour de sa gorge. Il avait dû trahir l’amour de sa vie et la livrer à leur pire cauchemar à tous les deux. Asta l’ignorait, mais sa torture à lui était d’être contraint d’assister, impuissant, à ses multiples viols, puis de voir son ventre s’arrondir de l’enfant de l’être qu’il haïssait le plus au monde. Tout ce temps, il ne pouvait ni la toucher, ni lui faire savoir qu’il allait bien et vivait décemment, dans une liberté physique étrange. De sa captivité jusqu’à cet instant présent, ils avaient tout fait pour la convaincre qu’il était, au mieux, emprisonné et torturé dans une cellule, comme elle, au pire, mort.
Non seulement il avança sans résistance, mais en plus, avec entrain. Quel ne fut pas son émerveillement et son soulagement lorsqu’il vit Célèm, en vie et non « en bon état de fonctionnement » comme le lui aurait fait dire Vladimir, pour qui elle n’était ni un être humain ni la fille, mais un robot, et Asta, dont il rêvait depuis tant d’années, chérissant tous leurs moments ensemble, revivant leurs baisers, leurs étreintes, leurs ébats !
Il haïssait Vladimir, mais il adorait Asta. Alors, il avait choisi de faire de Célèm la fille d’Asta et non celle de Vladimir dans son esprit. Autant qu’il l’avait pu, il avait été un père pour elle, malgré la lune qui les séparait. Quand le système de Célèm devait être mis à jour, il s’arrangeait toujours pour être de maintenance, et seul. La puce dans son cerveau interdisait à Célèm tout sentiment humain, et pourtant, il lui parlait de sa mère, lui disait qu’elle lui ressemblait, ce qu’il l’imaginait en train de faire, et comment ils formeraient une belle famille une fois qu’ils auraient trouvé le moyen d’être réunis, loin de Vladimir, loin du danger.
Et enfin, cette famille dont il rêvait tant était réunie, devant un jet qui les emmènerait loin de la Sibérie, loin de la lune, loin du puits, loin de Vladimir. Peut-être même aurait-il la chance de revoir son Allemagne natale ! Vraiment, pas pour une mission servant les desseins de Vladimir ! Mon Dieu, toutes ces femmes qu’il avait séduites pour que Vladimir puisse les violer, les frapper, les engrosser voire les tuer ! Plus jamais il n’aurait à faire cela !
Progressivement, il débarrasserait Célèm de sa puce pour en faire une adolescente ordinaire, pour en faire sa fille. Il épouserait Asta et lui ferait un autre enfant, ou deux, ou trois, ou quatre ! Ils vivraient heureux et insouciants !
Mais pour cela, Vladimir doit mourir…
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