Part. 1 - Le Savannah

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Je me suis arrêté car j'ai bien cru que j'allais gerber. C'est venu d'un coup, une sorte de vague au fond du ventre qui voulait sortir à tout prix. Et puis non. J'ai quand même craché devant moi au cas où, mais rien.

Putain, j'avais jamais couru aussi vite.

La nuit est vraiment calme, bizarrement calme je dirais même. Enfin pour ce que je peux en juger car d'habitude moi la nuit, je suis dans ou près d'un bar, des néons partout, de la musique à rendre sourd et des filles jamais loin. Et dieu sait que les filles qu'on trouve dans un bar, c'est du genre bruyant, rigolant, apostrophant, gueulant.

Mais là, calme profond. C'est pas mal ça, calme profond. C'est presque palpable comme calme.

Avant de courir justement, j'étais au Savannah. Je sais ce que vous pensez, ce rade est totalement nase et vous avez raison. Déjà la serveuse est moche et moi ça me gâche mon plaisir d'emblée. C'est vrai quoi, un verre servi par une jolie petite souris, eh-bien, c'est un verre spécial déjà, une sorte de petit cadeau qu'elle te fait la fille, même si le whisky est médiocre. Mais au Savannah, la serveuse ressemble à une pauvre serpillière mal essorée, la bouche tombante, les yeux charbonneux. Tu peux t'attendre à ce qu'elle ait craché dans ton verre avant de te le tendre.

Mais bon, il en faut plus pour m'empêcher de boire. Et il n'y avait rien de suspect à la surface de mon whisky, j'ai vérifié. Il était passable et j'ai demandé des glaçons à la sorcière mal foutue qui a cherché à me sourire. La vache, c'était à peine plus supportable. Pauvre fille !

Je suis resté un bon moment à regarder la salle dans le miroir immense devant moi, tout à l'envers, mais ça allait encore. L'ambiance était acajou et lampes tamisées, œuvres modernes et musique lounge. C'est dire si on s'emmerdait ferme ! Je lapais mon verre comme un pauvre chien malade. Et quand j'avais fini, j'avais juste à le tendre en le balançant du bout des doigts pour que la serveuse de Salem me le remplisse aussi sec. Elle était moche mais elle avait un sens aigu de l'observation.

A un moment, l'image d'un type venant du fond de la salle a grossi dans le miroir, au point de se retrouver assis juste à côté de moi. J'ai tourné la tête en guise de salut ou d'un genre de convivialité. J'ai des restes de cette sorte de connerie parfois. Lui il m'a même pas capté ou il cachait vraiment bien son jeu. Il a commandé un bourbon et j'ai trouvé ça classe, bien plus classieux qu'un vulgaire whisky. Il avait tout pour commander un bourbon en fait : un jean propre et de marque, une chemise bleue pas froissée et des pompes que je ne saurais même pas nommer chez un marchand de chaussures, je serais obligé de dire "je veux ça", le genre décontracté mais stylé. Bref, indéfinissables comme pompes. Moi je porte des baskets.

Quand il a regagné sa table son bourbon à la main, je me suis retourné comme si c'était la nana du siècle. Ce type avait dû m'envouter, à moins qu'il ne soit de mèche avec la serveuse en sorcellerie dont je regrettais d'avoir pensé du mal... Bon, OK, j'étais bourré.

Il s'est assis devant une fille. Non. Devant une femme. Non plus. Devant une bombe. Et merde ! Devant une nana du tonnerre. Cette fille, elle devait sentir l'herbe coupée, un truc hyper frais, elle était juste naturellement belle, pas sophistiquée pour deux sous mais champêtre on va dire. Pas le genre fille de la ferme, n'exagérez pas non plus. Sa chemise blanche faisait de jolis plis un peu partout et s'échancrait sur le devant sans vulgarité. Elle avait les cheveux assez courts, une couleur douce je ne peux pas dire mieux. Et surtout, elle entortillait machinalement autour d'un doigt un grand collier invraisemblable, plein de petits bouts de verre colorés, de plumes, de coquillages ou de petites amulettes, j'en sais trop rien. Mais quelle fille j'ai pensé.

J'ai repris mon poste d'observation face au miroir, en cherchant la raison de mon atterrissage dans ce bar improbable. Je voyais la chouette fille jouer avec son collier et siroter un grand verre de je ne sais quoi couleur rose. Elle ne parlait pas. Elle ne regardait même pas le type parfait devant elle.

Et ça m'est revenu. Dan m'avait donné un rencard. 21h00 au Savannah.

Il était 23h10.

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