35/ Deuxième campement
Lorsqu'ils arrivèrent à proximité du deuxième campement, Karathris jugea qu'ils avaient déjà épuisé vingt minutes de leur temps. Premier point négatif : ils devraient aller plus vite s'ils voulaient atteindre Quinquati avant le retour d'Iridar. Second point négatif : ils avaient déjà perdu un combattant. Troisième point négatif : ils avaient dû tuer des innocents. Quatrième point négatif : des Esprits avaient déjà rejoints les rangs et pouvaient se cacher dans n'importe quoi. Ça commençait à faire beaucoup. Pour contrebalancer cet amoncellement de mauvais augures, elle s'obligea à penser aux côtés positifs, car le moral est indispensable sur le champ de bataille. Un : les pierres de l'arbre touffu, suffisamment silencieuses, n'avaient pas alerté les autres campements. Deux : la troupe déjà réunie était compétente.
Ce deuxième campement comportait trois retranchements. Karathris put s'occuper de l'un d'eux toute seule, récupérant quatre armes et ajoutant six guerriers à son escadron, soulageant quelque peu Sati. Les libérés se montraient instantanément dévolus à la cause de la déesse, une ferveur très puissante qui ne manqua pas d'étonner Malgati.
La petite zone suivante ne comportait que cinq gardes peu vigilants, que Quatre pourrait éviter tranquillement. Toutefois, un arbre peu commun était dans cette clairière. Certes, il était possible qu'ils aient voulu le conserver, pour son originalité ou histoire d'avoir un coin d'ombre le lendemain. Mais il pouvait tout aussi bien s'agir d'un Esprit, capable d'avertir les autres d'une évasion. Et Karathris ne pouvait pas prendre ce risque.
Elle décida alors de séparer son groupe en deux. Karathris garda avec elle les archers et Sati, et envoya ses autres guerriers se préparer vers le troisième campement. Malgati s'amusa à s'autoproclamer chef de cette petite subdivision, ce qui eut le don d'agacer Yora. Elle connaissait bien mieux les arts de la chasse et guida le groupe en silence.
Karathris donna l'ordre. Cinq flèches volèrent, trois seulement atteignirent leur cible. Le point positif numéro deux n'était peut-être pas si justifié, après tout. Pikila se railla encore de Londock.
— Tu verras, la prochaine, je la mets ! jura-t-il.
Les deux sentinelles épargnées vinrent se réfugier près de l'arbre suspect. Son écorce s'ouvrit le temps qu'ils rentrent dedans, puis se reforma.
— Ils sont à l'intérieur ? demanda l'autre archer ayant manqué.
Comme pour répondre à sa question, les deux gardes épargnés s'extirpèrent du tronc, recouverts d'écorce. Pikila en toucha un à la tête. La flèche se planta dedans, sans le ralentir.
— Eh merde, à cause de vous, on peut plus rien faire contre eux !
L'arbre-Esprit s'extirpa de la terre, ses racines prenant l'apparence de six roues. L'un des deux serviteurs d'écorce cherchait où exactement s'étaient planqués les tireurs, pendant que l'autre se mit à courir dans la direction opposée.
— Il s'enfuit vers le campement principal ! s'écria Pikila. Il faut l'empêcher d'avertir les...
Elle n'eut le temps de terminer qu'un courant d'air lui passa sur le visage. En moins de dix secondes, Quatre rattrapa le messager et le tailla en pièce comme s'il était en mousse.
Mais par la même occasion, elle dévoila la position de ses archers. L'Esprit accéléra jusqu'à près de quarante kilomètres par heure, détruisit les autres arbres et écrabouilla les rebelles sur son passage. Le tank de bois effectua un drift et repassa sur eux. Londock tremblait au milieu du chaos qui s'était déchaîné en un instant. Un tronc lui tomba dessus sans qu'il ne sache s'il était possédé ou inanimé. Pikila le poussa juste à temps.
L'Esprit aplatissait tout en roulant, sans savoir s'il touchait ou non ses cibles. Ses racines le guidèrent vers l'archère railleuse et lui passa dessus, poursuivant sa course vers Londock. Lui ne chevrotait plus ; il était pétrifié. L'arbre-voiture s'écroula tout à coup sur le côté. Quatre le gratifia d'un autre crochet, du gauche cette fois. La gueule de Pollah traversa ensuite le creux créé par l'impact et détruisit la forme indescriptible au cœur du végétal.
Alors que Londock se croyait hors de danger, la sentinelle en bois lui agrippa le col et lui explosa le crâne sur un tronc, puis le jeta au sol. Il déchira ensuite son estomac avec son talon. Quatre intervint juste après, détruisant la tête du garde, d'où jaillit un mélange de sang et de sève.
La fusionnée se tourna vers le carnage.
Encore un désastre imprévu.
***
Un grand fracas retentit. Malgati se retourna vers le bruit, sans en déterminer l'origine.
— C'est quoi ça ?
— Merde ! Ça vient de l'autre petit campement !
— Regardez, signala Unio en pointant les sentinelles du retranchement vers lequel ils se dirigeaient, ils l'ont entendu aussi.
— Normal, ils sont pas sourds non plus !
— On fait quoi ? On les attaque ou on attend ?
— On fonce sur eux ! ordonna Malgati.
— Pas bête, appuya Yora. Il ne faut pas les laisser avertir les autres camps.
— C'est quoi notre plan d'attaque ?
— On court sur eux en criant sans leur laisser le temps de réagir, répondit l'humain.
— Vraiment ?
L'armée fondit sur les sentinelles désorientées. Malgati se sentait plus à l'aise avec deux lames de la même taille, mais il refusait de le reconnaître et essaya de se persuader que ce n'était pas si confortable. Yora découpa un homme en deux. Un révolutionnaire en enfila un aussi, juste avant de recevoir une flèche en plein torse.
— Un archer, là-haut ! signala la chasseresse en désignant le sommet d'un bâtiment.
En moins d'une minute d'assaut, il ne restait déjà plus que lui. Il abattit un autre rebelle, quand tous les autres se jetèrent sur son perchoir, grimpant comme des singes. Il encocha une flèche, visa... Et ne tira pas, sachant qu'il serait submergé. Il prit sa retraite ainsi que son élan, sauta et roula sur le sol.
— Il s'enfuit ! Tous sur lui !!
Yora, la plus rapide, lui tomba dessus et mit fin à ses jours.
La petite escouade poussa un hurlement de joie. Une victoire éclair. Un blessé et deux perdus pour sept tués, un ratio plus que satisfaisant.
— On file sur le campement central, vite !
— Non, on s'occupe d'abord des cages !
Un serviteur se proposa avec lui pour forcer les serrures, puis tout le monde fit de même.
— Attendez ! dit l'un d'eux. La Réceptrice ne voulait pas que nous attaquions ces campements-là. Nous ne devrions pas...
— C'est nécessaire, réfuta Yora. Nous devons les empêcher de sonner l'alarme. Elle serait d'accord avec moi.
— D'accord, mais nous ne sommes pas assez nombreux pour les vaincre tous...
— Assurons-nous d'abord qu'ils aient entendus le bruit. Si ce n'est pas le cas, ce dont je doute, nous ne prendrons pas la peine de les attaquer. Dans le cas contraire, nous pourrons toujours nous replier si nous sommes débordés. N'oublie pas que nous profiterons aussi des renforts des archers et de Karathris.
— Oui mais... Ce bruit... Et s'ls étaient tous morts ? Et si elle était morte ?
— Impossible.
— C'est vrai. Elle est trop forte pour mourir, appuya celle qui se considérait comme son adoratrice suprême.
Yora remarqua que Malgati regardait son espadon avec insistance.
— Alors ? C'est mieux comme ça, avec deux épées, pas vrai ?
— Grumpf. Non, pas du tout !
— C'est bon ! signala Mastiff, le guerrier le plus costaud dont ils disposaient pour l'instant, une véritable montagne de muscles. Toutes les serrures sont brisées !
On arma les six nouveaux soldats avec le matériel trouvé sur place et on leur résuma brièvement la situation. À l'évocation de Karathris, tous furent convaincus de la nécessité de l'affrontement prochain.
Unio, l'unique archer chauve à la tête ronde et lisse qui avait dû recevoir une épée, râla. Il n'avait pas pu obtenir d'arc cette fois-ci non plus, devant le laisser à Ororah, une jeune fille aux yeux orangés qui déclarait ne pas savoir se servir de quoi que ce soit d'autre.
***
Un seul archer avait réchappé des attaques du tank feuillu. Deux autres agonisaient lentement : Pikila et Londock. Ils ne leur restaient plus qu'une minute d'atroces souffrances à endurer avant de rejoindre un monde inaccessible avec quelque talisman que ce soit. Karathris n'était pas certaine de pouvoir les sauver tous les deux à temps. De plus, leur état était si préoccupant que les soigner lui consommerait une quantité non-négligeable d'énergie. Si elle voulait lancer un sort suffisamment puissant sur un campement plus important, elle ne pouvait qu'à peine en guérir un d'eux.
Que faire ? Elle n'avait pas le temps de la réflexion.
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