59/ Mâchoire
Nolmeraïsha tira les cheveux qu'elle caressait juste avant, en arrachant une bonne poignée au passage, puis balança son pied dans la hanche de celle qu'elle aimait et haïssait plus que tout. Toute l'armée se mit à courir, Perr se mit à voler pour aider au plus vite.
— Nolmeraïsha, ressaisis-toi ! Même si ton corps entier est recouvert d'une fine couche protectrice, je sais que tu es obligée de concentrer la solidification sur ton bras meurtri. Tu ne pourras pas grand-chose contre moi, ni contre les cinquante combattants qui approchent !
La furie de la prêtresse ne la fit pas réfléchir davantage à cette situation. Elle frappa une seconde fois celle qui était pourtant prête à la prendre sous son aile. Karathris grimaça et décida qu'elle ne pouvait plus rien pour elle. Il fallait en finir. Elle initia l'ultime frappe, mais Nolmeraïsha tendit son bras ouvert vers son visage et arrêta la statufication de ses veines. Le sang fut projeté dans les yeux de la déesse, l'aveuglant, l'empêchant de voir le coup de boule qu'elle subit. Il avait toutefois été étrangement faible. Lorsque Karathris s'essuya les yeux, elle comprit pourquoi. Le corbeau l'avait arrêté juste à temps. Inatteignable dans les hauteurs, ses vents flagellaient la prêtresse, impuissante. Trois chouettes spectrales intervinrent alors, leurs becs déchiquetèrent les plumes. Perr tomba au sol et reprit forme humaine. Les effraies se reculèrent, laissant à Nolmeraïsha le soin de l'occire.
— Amène-toi ! cria soudainement Karathris pour détourner son attention. Amène-toi, la folle !
— Moi, la folle ? Hey, c'est toi la...
— Ferme-la. Si tu parviens à me tuer, alors je te lègue tous mes fidèles ! Ils devront t'obéir. Compris vous autres ?
— J'aime pas trop ça, marmonna Malgati.
— Si la Réceptrice se fait battre, ça veut dire qu'on a aucune chance, expliqua Unio. Ça servirait à rien de se rebeller contre sa prêtresse.
— Pourtant, ajouta Londock, la Réceptrice a dit que face à trois d'entre nous l'encerclant, elle serait fichue.
— Les dieux et la modestie, tu connais. Et puis, cette Nolmeraïsha est d'un autre genre. Ça me fait mal de l'avouer, mais ses techniques de combat semblent plus évoluées.
— N'importe quoi ! beugla Mastiff. Regarde bien, notre déesse va lui foutre sa pâtée !
— Ton pacte me convient, répondit Nolmeraïsha pendant ces élucubrations. Je n'aurais pas aimé devoir les tuer. Ils ne sont qu'influençables, pas mauvais, comme toi.
— Amène-toi qu'on en termine. Je suis lasse.
Nolmeraïsha bombarda la déesse de frappes. Celle-ci se contentait de les dévier. Quand elle perçut une ouverture, elle indura son coude. Faisant mine de la frapper de sa main, elle rétracta son bras au dernier moment pour lui envoyer son coude dans la mâchoire. Elle se décrocha et fut projetée à des lieues de là. Le visage brisé de la prêtresse n'exprimait plus qu'un désarroi total. Sa carcasse s'écrasa lamentablement par terre.
— Bien, voilà une bonne chose de faite, s'exclama Karathris sans plus d'état d'âme.
Les effraies s'estompèrent de cette dimension et la vivace créature au visage triangulaire se dissolue avant de porter un coup de griffe supplémentaire à la panthère.
La Réceptrice guérit les blessures de Perr en attendant que les autres la rejoignent. Quand la cinquantaine de fantassins la retrouvèrent, ce fut un choc, autant pour ceux qui la suivaient depuis le début de l'opération que pour les nouveaux arrivants. La déesse était méconnaissable. Ses traits étaient tirés, et ce qui pouvait s'apparenter à des rides déformaient sa peau autrefois parfaite. Elle qui était d'une magnifique couleur azurée arborait désormais celle cramoisie d'entrailles séchées. Elle n'était plus lisse, mais dégoulinante, et ne dévoilait plus aucune émotion.
— Maintenant, déclara-t-elle en haussant la voix, car il lui fallait désormais être entendu par une assemblée assez conséquente, j'espère qu'aucun de vous n'est trop blessé, car nous allons de ce pas délivrer le Porteur ! Le camp central a sans doute été prévenu de notre présence, nous devons agir vite ! Je vous remercie tous de votre fidélité. En avant !
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