Quatre pénétra dans la seconde petite zone. Au milieu, un arbre touffu encerclé de six rochers, contrastait avec la végétation typique du pays, de même que deux petites cabanes et une troisième un peu plus grande. Devant celle-ci, une sentinelle surveillait assidûment les cages regroupées au coin opposé de la clairière. Une seconde s'était placée juste à côté d'elles. Trois autres discutaient dans un coin. La dernière tournait en rond. Il ne serait pas aussi simple de libérer tout le monde de façon discrète.

 — Pikila, voici mon arc. Avec Londock, postez-vous derrière ce buisson et attendez mon signal pour neutraliser simultanément ces deux gardes. Mak, Yora, Malgati, abattez ce groupe de trois à mon signal également. Je m'occuperai de celui devant les geôles ; c'est ça, le signal.

 — Et moi ? demanda candidement Sati.

 — Reste en retrait et ne te fais pas tuer.

 Les guerriers se placèrent. Quatre avançait dans l'ombre, derrière le garde qu'elle s'était affectée. Elle mit la main de Karathris sur sa bouche et l'emmena dans la brousse.

 — Qu'est-ce que... dit à haute voix la sentinelle voyant son collègue reculer d'une étrange façon.

 Une flèche se planta dans son crâne. Une autre manqua celui qui patrouillait.

 — On nous attaque ! cria aussitôt celui-ci.

 — Eh merde, soupira Londock.

 — Tu mérites bien ta tunique, toi, le dénigra Pikila.

 — Oui bon, ça va, ça arrive à tout le monde !

 À peine l'un des trois gardes bavards entendit l'avertissement que Yora le faucha. Malgati et Mak arrivèrent un peu trop tard pour abattre les deux autres sans qu'ils ne parent l'attaque. La deuxième lame de l'humain porta toutefois le coup final. Mais Mak n'en avait qu'une seule, et son adversaire fit rouler la sienne pour tenter de l'embrocher. Mak esquiva, et le garde porta une nouvelle attaque aussitôt. Yora lui empala le cœur avant qu'il ne le tue.

 — Merci ! la remercia Mak. J'ai bien cru que j'allais y pass...

 Une pierre de six décimètres de diamètre fut projetée sur lui et l'écrasa.

 Malgati regarda la météorite rouler, et la chasseresse, la direction d'où elle provenait. Il n'y avait plus que cinq rochers autour de l'arbre touffu. Quatre de ses branches en soulevaient un autre.

 — Un Esprit... murmura Quatre. J'aurai dû le savoir.

 Ne pouvant plus s'occuper d'elle, la déesse déchira le cou de la sentinelle capturée.

 Yora se jeta au sol, évitant de peu la pierre lancée sur elle, qui vint abattre un arbre en un instant.

 "Quinquati serait jaloux" eut le temps de penser Malgati avant qu'une roche ne soit jetée sur lui, le projetant à des mètres de là.

 L'Esprit allait achever Yora, qui n'aurait pas eu le temps de se relever, quand Quatre apparut. Il décida plutôt de la viser elle. Karathris se déconnecta et Pollah l'envoya voltiger. Dans les airs, la déesse fendit la pierre d'un seul poing, puis atterrit à proximité du touffu. De ses fines branches, il la fouetta sans relâche, pendant que ses plus grosses récupéraient un rocher. Karathris lui adressa un coup de pied dévastateur. L'Esprit tint bon et abattit sa roche sur le crâne de la Réceptrice. Il se désagrégea dessus. Karathris envoya sa main dans le tronc de l'arbre et en extirpa une forme indéfinissable, qu'elle brisa. L'enveloppe de bois s'immobilisa, se flétrit, morte.

 La déesse accourut auprès de Mak. Malheureusement, elle ne pouvait pas remettre sur pied de la bouillie. Elle se dirigea ensuite vers Malgati.

 — Ça va ?

 — Nickel, ça pourrait pas aller mieux.

 — Tu peux te relever ?

 — Bof. Je crois que j'ai plusieurs os cassés.

 — Ton armure est vraiment résistante. Tu y serais passé sans elle.

 — C'est pas un vulgaire gravier qui pourra me...

 — Je vais te soigner, n'aies crainte. Cependant, cela puise dans mes réserves et je ne pourrais pas te guérir indéfiniment si je veux user de sortilèges par la suite.

 Malgati comme neuf, excepté sa cuirasse salement cabossée, Karathris libéra les prisonniers, et eut tout loisir de les armer. Elle résuma le plan, puis déclara :

 — Je ne me doutais pas qu'ils auraient affectés un Esprit à un si petit endroit. Nous devons nous attendre à en croiser d'autres. Ne tentez rien contre eux, vous n'avez aucune chance. Les éviter reste encore la meilleure solution. Ne perdons pas plus de temps !

 Parmi les cinq nouveaux arrivants, quatre se sentaient plus à l'aise à l'arc, mais seuls trois furent trouvés dans les cabanes. Un d'eux, nommé Unio, se retrouva alors avec une épée.

 — Sati, ne sais-tu vraiment pas te battre ?

 — Très peu, Réceptrice. Excusez-moi. Je vous serai inutile et je mourrai dès mon premier duel.

 Elle était une des rares à ne pas avoir reçu de formation de combat. Les serviteurs, classés en différentes catégories, devaient pour la plupart être capables de se battre, mais depuis quelques temps, les mentalités avaient évolué sur ce sujet et de plus en plus d'entre eux se spécialisaient dans des domaines plus pacifiques.

 — Ça ne fait rien. Mais tu n'es pas inutile. Tu t'occuperas de porter les armes en trop. Nous n'aurons probablement pas l'opportunité d'en chercher pour les prochains.

 Ainsi, la cheffe cuisinière se retrouva avec six épées entre ses bras.

 Sur le chemin vers menant au prochain campement, Londock retrouva le soldat humain.

 — Dis, t'es vraiment immortel en fait.

 — Tu en doutais ?

 — Ben, disons que toi tu en doutais.

 — Jamais de la vie ! Car je suis le plus féroce des... !

 — Hey, l'humain, le coupa Yora. Passe-moi ton arme.

 — Hum, comment dire ?... Non.

 — C'est un espadon, il se porte à deux mains ! C'est ridicule d'avoir une épée à côté, tu ne profites pas de toute sa puissance.

 — Et ?

 — Quoi, "et" ? On échange, un point c'est tout.

 — Non. C'est le mien !

 — Je reconnais le manche de cette arme. C'est une de nos fabrications de luxe. Je ne sais pas où tu l'as volée, mais elle m'appartient plus qu'à toi.

 — Donne-lui, Sou... Malgati, soupira Londock.

 Le soldat invincible grogna, puis accepta la transaction.

 — Tu me le rendras après, hein ?

 — On verra.

 — Y'a pas de "on verra", c'est comme je dis et puis voilà !

 — D'accord, d'accord, je te le rendrais... Bon sang, quelle plaie celui-là.

 — Je t'entends, tu sais !

 — Oui, je sais. C'était le but, d'ailleurs.

 — Joue pas aux racailles avec moi, parce que moi je les apprécie pas trop, les racailles.

 Yora accéléra le pas pour s'éloigner de lui, avec un sourire en coin. Puis, son visage s'assombrit.

 Cette discussion légère aura au moins eu le mérite de lui faire oublier un temps la bataille sanglante qui se préparait.