Routine de nos vieux jours
Je me réveillais sous les assauts de la voix de Thomas Sotto, un animateur radio de Europe 1, qui m'était devenu agaçante. J'ouvris brusquement les yeux, perdu. Mes pupilles s'affolèrent un instant dans le noir avant que je ne me rappelle de l'endroit où j'étais. Je passai une main sur mon visage pour tenter d'y effacer la fatigue puis je me levai difficilement et sorti ma chambre encore plongée dans la pénombre matinale.
Le pas traînant, j'entrai dans ma cuisine et attrapai une assiette de tartines grillées et une tasse de café fumant. Je ramassai le journal du jour, récupéré devant ma porte, et m'installai à ma place habituelle, à la vieille table de la pièce. Je parcourrais des yeux le papier, m'informant des dernières horreurs de ce monde. Encore des meurtres, des viols, des politiciens qui se menaçaient et des guerres au nom de la religion. Rien de bien nouveau en somme. Je finis par ranger ma vaisselle dans la machine et retournai dans ma chambre.
Là, j'enchaînai sans réfléchir les actions que je répétais chaque jour. Enfiler mon costume noir, me brosser les dents, me raser, me parfumer et passer du gel dans mes cheveux grisonnant. Je redescendis dans la cuisine et récupérai mon manteau et ma sacoche. Dans la cuisine, assise en face de ma place, ma femme, Anne, sirotait du thé en lisant le journal que j'avais au préalable abandonné. Je m'approchai d'elle, mes affaires sous le bras.
- A ce soir. Je t'aime.
- Moi aussi.
J'embrassai ses lèvres et sortis de la maison. Ma voiture était garée juste à côté et je m'empressai de m'y engouffrer. C'était une vieille voiture de fonction, une Renaud pour être plus précis, une vieille Renaud. Mes patrons me l'avaient accordée lors de mon embauche dans l'entreprise. Autant vous dire que qu'elle ne datait pas d'hier. Je mis le contact et m'engageai sur la route si souvent empruntée. Mais au bout d'un petit kilomètre je dû ralentir. Les bouchons n'étaient pas une surprise, je les subissais depuis plus de 15 ans.
En fait rien n'était plus une surprise. Je connaissais chaque raccourci, chaque embranchement, chaque rond-point, je connaissais tout. Je savais que j'arriverai en retard au travail, que mon boss me réprimanderait avant d'oublier, que, à midi, je déjeunerai avec les mêmes personnes, que le soir je rentrerai sûrement tard et que je dînerais seul. Ma vie était devenu une longue et ennuyante routine. Elles étaient loin les folies passagères et les excentricités. Je jetai un coup d'œil dans le rétroviseur. Les années ont passées, j'avais pris des rides et mes yeux avaient perdu leur éclat de jeunesse. Mes cheveux avaient grisé et mes paupières tombantes me donnaient un air fatigué. La vieillesse de m'allait pas.
Je sortis de ma voiture et comme prévu j'étais en retard et comme prévu mon patron m'en fit la remarque avant de s'éloigner. Je travaillai jusqu'à la pause déjeuner sur des dossiers qui ne m'intéressaient plus depuis longtemps. Puis j'avais déjeuné avec les mêmes collègues qu'hier et qu'avant-hier et que depuis toujours. A la fin de ma journée j'avais repris ma voiture, avais perdu du temps dans les bouchons et étais rentré chez moi. Comme d'habitude il étais vide, Anne rentrait plus tard, et il était 20h passé. Je soupirai et entrepris la confection du repas. Nous étions mardi, c'était donc purée et poisson. À nouveau j'avais mangé seul, assis à ma place habituelle face à une chaise toujours vide. Repas fini, je m'étais installé dans le canapé un roman que j'avais déjà lu entre les mains.
Les minutes s'écoulaient et Anne ne rentrait pas. Depuis quelques semaines, voire mois elle rentrait tard, enfin plus tard que d'habitude. Je pense qu'elle me trompait. Peut être avec un de ses collègues, elle était amenée à en côtoyer un certain nombre dans son métier. Que des hommes d'esprits mais rien qui n'empêchait l'infidélité. Pourtant ma femme était d'une intelligence peu commune et elle était dotée d'une logique implacable. J'espérais donc me tromper. Finalement la serrure tourna et Anne apparu. Elle embrassa ma bouche et nous nous installèrent dans la cuisine. Alors qu'elle mangeait le plat que j'avais préparé nous échangèrent quelques banalités sur nos métiers respectifs. Ta journée a été longue ? Tu fais quelque chose de nouveau ? Puis nous montâmes dans la chambre et nous nous glissâmes sous les draps après nous être déshabillés. Je connaissais son corps par cœur, rien, pas même la petite cicatrice dans la pliure de son genou m'avait échappée. Lui aussi avait perdu ses surprises et ses secrets...
- Bonne nuit.
- Je t'aime.
- Moi aussi.
Et nous fermions les yeux chacun de notre coté habituel du lit.
C'était la semaine d'après que tout avait changé, enfin je crois. Mes journées se ressemblaient tellement. J'étais arrivé comme à mon habitude en retard à mon poste et mon patron m'attendait dans mon bureau mais cette fois ci il n'était pas seul. Une jeune femme se tenait, bien droite à ses côtés. Elle faisait tache dans la petite pièce sale, elle qui n'était qu'élégance et classe. Elle portait un tailleur noir, sûrement pour faire bonne impression pour le premier jour, ses cheveux blond étaient retenu en une queue de cheval serrée sur le haut de sa tête et ses grands yeux bleus me fixaient. Elle semblait plus jeune que moi de probablement plusieurs années. Elle était belle. Mon patron me l'avait présentée comme ma nouvelle collègue, associée... pour faire court elle allait travailler avec moi. Le boss est parti me laissant avec la nouvelle et mon air gêné. Je n'étais plus habitué à la nouveauté. Elle m'avait sourit et s'était présentée. Elle s'appelait Hélène, cela lui allait bien.
- Ravie de te rencontrer.
J'avais souris et serré la main qu'elle me tendait. J'avais fais une blague, elle avait rit, elle a renchérie, nous avions ri. C'était à partir de ce moment que tout à changé. Je ne mangeais plus avec mes collègues mais avec elle, je partais plus tôt pour arriver à l'heure et lui faire bonne impression et je rentrais parfois plus tard pour finir un dossier en sa compagnie. Si Anne remarqua ces changements elle ne fit pas de commentaires, je pense qu'elle ne pouvait pas se le permettre puisqu'elle avait de son côté un amant.
La situation avait continué ainsi quelques mois, alors qu'entre Hélène et moi c'était installé un jeu de séduction. Jusqu'au jour où après le travail je l'avais invité dans un café à boire un verre. Hélène avait été bien plus entreprenante que d'habitude et elle m'avait invité à la suivre chez elle. Qui étais-je pour refuser ? Alors j'y étais allé. J'avais posé mon manteau sur le banc de l'entrée et avant que je n'ai pu faire un autre mouvement Hélène s'était jetée sur mes lèvres. Elle les mouvait avec passion contre les miennes encore surprise. Sa langue caressait mes lèvres, me demandant l'accès à ma bouche.
Je... je... ne ressentait rien. Rien du tout. Je n'aimais juste pas. Pourtant j'aurais pu, j'aurai dû. Ses petites lèvres charnues auraient dû m'appeler à l'infidélité. Pourquoi ne ressentais-je pas les mêmes émotions qu'avec Anne lors de notre jeunesse ? Ou était la fougue, l'amour et la passion. Pourquoi ma tête ne tournait-elle pas et mes jambes ne tremblaient-elles pas ? A cet instant j'aurai pu embrasser un mur la sensation n'aurait pas était bien différente. Alors que les lèvres d'Anne me paraissaient faite pour moi. Lèvres qu'elle offrait à un autre. La jalousie m'envahi, ce sentiment que je n'avais plus éprouvé depuis bien longtemps. Ces lèvres étaient à moi, Anne était à moi. D'où me venais cette soudaine fougue, cette possessivité ? J'avais beau chercher, une seule réponse s'imposa à moi. Ce n'était pas parce que je n'aimais plus Anne que la routine c'était installée mais parce que la routine c'était installée que je ne l'aimais plus. Hélène était simplement le seul moyen que j'avais trouvé pour m'extirper de ce train-train que je détestais tant.
Je n'ai jamais voulu de réels changements, je voulais simplement revenir en arrière, lorsque nous étions jeunes et fous, que nous vivions pour nous, sans privation. Je m'écartai d'Hélène sans douceur et sorti précipitamment de chez elle, oubliant mon manteau sur l'assise. Tant pis, de toute façon lui aussi commençait à dater et j'avais besoin de changement. Dans ma voiture, la route me parut interminable. Une fois dans le bâtiment, un homme m'indique gentiment le chemin et je poussai enfin la porte du bureau d'Anne. Elle releva les yeux de ses montagnes de dossiers et les écarquilla en me reconnaissant.
- Anne tu me trompes ?
- Quoi ?! Bien sûr que non ! Quelle question !
- Bien.
Je fis une pose, observant ma femme derrière son grand bureau où s'entassaient des dizaines de dossiers. Je sentis un poids soulagé mes épaules dont je ne connaissais même pas l'existence. Anne était à moi, personne d'autre ne l'avait touchée.
- Qu'est ce...
- Je t'aime Anne !
Elle me regarda perdu. Elle ouvrit la bouche sûrement pour me répondre qu'elle aussi mais je la devançai.
- Non en fait je ne t'aime pas. Ces mots ont perdu leur sens... Je te l'ai dis tant de fois sans le penser. Ces derniers mois j'ai fais des erreurs que j'espère tu me pardonneras. Je t'ai trompée, j'ai embrassé une autre que toi, des lèvres qui n'étaient pas les tiennes. J'ai cherché le renouveau au côté d'une autre.
Je m'arrêtai un instant pour étudier son visage. Ses yeux bleus étaient froncés et sa bouche tordue d'une façon qu'il m'était peu agréable. Je voyais que je l'avais déçu, trahi. Mais je refusais de la perde, pas pour de bon. Je finis un pas vers et plongeai mon regard dans le sien pour tenter de lui faire ressentir tout cet amour, tous ses sentiments qui se bousculaient dans ma tête.
- Nous nous sommes perdu, Anne. Perdu dans la routine ennuyante de nos tristes vies. Tu te souviens quand nous ne dépendions de rien et que nous allions où le vent nous portait ? J'aimais vivre comme cela avec toi. Pourquoi avoir abandonné cette passion et ces aventures pour une vie si banale et morne ? La vérité Anne, c'est que j'ai besoin de toi... plus que tout. Mon corps et mon esprit ne veulent que toi : ma femme, ma lumière, mon bonheur, ma force... ma vie. Tu as bouleversé mon existence et j'aimerai que tu continue de faire battre si vite mon cœur, trembler mes jambes et tourner ma tête. Je veux finir mes jours à tes côtés pour pouvoir de contempler à jamais et mourir dans la chaleur de tes bras fait pour moi.
Je me tu, reprenant ma respiration.
Anne me regardait avec ses grands yeux couleur océan perlés de larmes contenues, les lèvres pressées entre elles, réprimant un sourire ému.
- Demain à la première heure je pose ma démission et si tu veux toujours de moi, je t'emmènerai faire le tour du monde. On aura qu'à vendre la maison et partir. Pour recommencer à vivre, juste nous deux et rien d'autre, comme avant. Nous, nos folies, nos aventures... notre amour. Je n'ai besoin de rien, juste de toi, le soleil de ma vie. La vieillesse, je n'ai jamais aimé ça, elle nous rend triste et bête. Elle nous fait oublier l'importance des choses que l'on a et nous les fait considérer comme acquises. Mais rien n'est jamais acquis. C'est pour cela que je te prouverai mon amour, chaque jour, chaque heure, chaque minute et que je t'aimerai pour l'éternité plus un jour.
Anne s'approcha de moi, des larmes roulant sur ses joues pleines. Je passai une main dans ses cheveux blonds, l'autre sur sa joue. Elle se mit sur la pointe des pieds et déposa ses lèvres sur les miennes. Elle les bougeait lentement, sans se précipiter, me montrant avec sa douceur tout son amour. Et je su que je ne m'étais pas trompé. L'intensité du baiser me fit tourner la tête et mes membres se mirent à trembler. J'aimais l'embrasser. Je ne pouvais pas me passer d'elle. Elle était mon tout, ma vie. Finalement, elle se détacha et posa son front contre le mien. Du pouce, elle essuya une larme qui m'avait échappée. Elle m'offrit le plus beau de tout les sourires, les yeux pétillants d'amour.
- Alors rajeunissons...
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