Son pas était lourd, gauche, comme s’il avait pour la toute première fois pris conscience de sa lutte constante avec la gravité, de la pression insupportable que cette dernière exerçait sur son corps. Dès que son pied touchait terre, il sentait tout son poids peser sur le sol et s’étonnait béatement de réussir à garder l’équilibre, pas après pas. Une brume éthérée recouvrait le paysage, l’enveloppait dans un manteau onirique qui étouffait en son sein le moindre son. Tout se détachait en nuances de gris, les contours indistincts voilés par un sfumato naturel, comme si un peintre fou avait décidé que la ligne n’existait plus. Le monde avait-il toujours été noir et blanc ? L’ombre et la lumière semblaient s’être fondus l’une dans l’autre, défiant l’entendement humain pour souligner le néant des alentours. L’esprit n’est jamais à même de pleinement comprendre le vide, il ne conçoit que la présence par l’absence, la soustraction du tangible. En ressort systématiquement une impression polaire. Qui n’a jamais senti la morsure du gel devant un désert ?

Il n’avait pas vraiment froid, sa peau ne frissonnait pas, pourtant il aurait juré que ses os étaient faits de glace. Aucune pensée ne le traversait, toute sa concentration était focalisée sur sa marche. Un pied, son poids, l’autre, ne pas tomber. Surtout ne pas tomber. Avancer sans faillir, tout droit.

De pâles éclats lui accrochèrent soudainement le coin de l’œil. Il se figea. Des anomalies dans le morne horizon. Des irrégularités qui faisaient figure d’anachronisme, des éclaboussures d’encre sur les pages d’un manuscrit. Elles envahirent tout son espace mental. Il fallait qu’il aille voir, rien d’autre ne comptait. L’imperfection le troublait car, jamais neutre, elle était tour à tour source de beauté ou d’infernale disharmonie. Il reprit alors son lent cheminement, silencieux, mécanique. Un pied, l’autre. Le temps et les distances semblaient distordus, les taches blanches s’évaporaient parfois pour apparaître plus loin ou plus près, au gré d’une volonté incompréhensible. Un pas, le suivant. Il n’aurait su évaluer ses heures de déambulation. Entre l’instant et l’éternité, il arriva enfin à portée de vue. Il s’accroupit, masqué par le brouillard et les accidents du terrain. Toute sa force se concentrait dans ses yeux désormais, entièrement dédiée à ce qu’ils percevaient.