Bradbury mensuel 2 : Libération part 2/2

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Qui se ralluma.

  • Autorisé.
  • La Lumière vous bénisse... siffla Robert.

Il posa la pierre redevenue noire, et s'adressa à ceux qu'il devait protéger :

  • Mesdames et messieurs. Continuez à prendre soin de vous. Pour ma part, je m'en vais occuper vos tortionnaires en attendant les renforts. Je vais enchanter la porte en partant, seuls les hommes du Juge sauront lever l'enchantement. Vous les reconnaîtrez aisément à cet emblème.

D'un bond, il descendit du meuble, fit coulisser une dalle de métal et en brandit un étendard blanc, sur lequel reposait l'emblème de leur pays couronnant une balance. Il le posa contre le mur le plus proche, avant de revenir sur son perchoir.

  • Surtout, ne sortez sous aucun prétexte. Je vais me mettre dans une transe meurtrière, les hommes du Juge connaissent les mesures à suivre pour cela. Ne vous fiez qu'à eux tant que vous serez sous terre. Pour le reste, je compte sur votre entière collaboration avec eux. Ils peuvent vous aider, mais ne pourront le faire correctement que si vous leurs confiez les bonnes informations. Ils se doutent bien que nul n'est parfait, ils ne vous jugeront pas. Tout ce que vous pourrez dire, servira notre pays. Sur ce, je vous prie de m'excuser, un carnage m'appelle.

Il redescendit, ouvrit un premier tiroir, en retira seringues et produits, ainsi qu'un garrot. Quelques personnes voulurent obtenir d'autres informations, il les rejeta vertement. Avec une aisance trahissant son habitude, il s'injecta cinq premières substances, en avala trois autres.


Hélène préféra en détourner les yeux. Glacée, elle s'imposa de se concentrer sur sa fille. Si elle avait survécu, c'était uniquement pour la serrer à nouveau dans ses bras. Tout ce qu'elle avait enduré, tout ce qu'elle avait traversé, elle pouvait les surmonter pour son enfant. Combien avait-il dit ? Treize filles. Dont neuf... non, cela elle refusait d'y penser. Les dieux ne pouvaient laisser de telles choses avoir lieu.


Elle se dirigea d'abord vers l'armoire à pharmacie, ignorant les coups toujours plus insistants à la porte, et Robert qui faisait main basse sur de l'armement militaire de pointe. Tout en enfilant une ceinture d'explosifs sur l'épaule, il tapotait rapidement sur une sorte de pierre plate, illuminée de l'intérieur par de la magie blanc argentée.


Les blessés gisaient là où il y avait de la place, directement sur les tapis pour la plupart. Une partie non négligeable des prisonniers avaient des connaissances médicinales, chacun s'était rapidement réparti les soins à prodiguer selon ses connaissances. Hélène regretta son ignorance dans le domaine. Elle était tapissière.


Soudain, une voix, reconnaissable entre mille, malgré le temps écoulé, malgré le désespoir, malgré le temps infini de silence, l'appela dans un croassement. Hélène se surprit à bondir par-dessus des agonisants, pour se précipiter au chevet de son enfant.


Avec mille précautions, elle l'enlaça. Sa petite, pleine de crasse comme tous, exalant un parfum rance dans ses vêtements raides de sueur et de saletés. Son soleil, sa lumière dans cette terne existence avec son époux. Son enfant, pris dans des bandages serrés qui entravaient ses mouvements. Mais vivante, par les dieux, vivante ! Toujours en mesure de parler, consciente, assez même pour la reconnaître et l'appeler !


Alors qu'elles s'enlaçaient, un silence de plomb les pétrifia. La porte venait de s'ouvrir. Hélène n'eut que le temps de voir Robert se faufiler encore par l'entrebaîllement, pour en sortir cette fois. Tous ceux présent l'entendirent distinctement, s'exprimer dans un râle de folie plus contenue bien longtemps :

  • Bonjour, messieurs.

La porte claqua, des explosions firent vibrer la salle entière. Puis bien vite, le silence. Un infime film rougeâtre imprégna la porte. Ils étaient désormais enfermés là, jusqu'à ce que quelqu'un les libère. Puis plus rien. Des soigneurs s'imposèrent de reprendre leur office, ce qui permit à tous de se concentrer, qui sur des retrouvailles, qui sur son désespoir.


Sa fille hoqueta, puis couina aussitôt de douleur. C'en fut trop. Hélène pleura. D'horreur, de tout ce qu'elles avaient traversé. De soulagement, qu'elles soient toujours en vie toutes les deux. D'horreur, en sentant le ventre légèrement gonflé de sa fille, devenue femme durant leur détention. D'espoir, car elles avaient désormais quelques chances de s'en sortir. Le Dieu du Feu ne les abandonnait pas. Il leur avait envoyé un confrère les sauver.


Toutes à leurs pleurs, elles ne sentirent pas le temps passer. Autour d'elles, des familles, des couples se retrouvaient. Les mages aux pouvoirs curatifs soupiraient de soulagement d'avoir pu sauver leurs frères.


Mais il fallait bien que la nature humaine salisse tout. Alors que les deux femmes se tenaient par les mains, l'une en face de l'autre, réalisant à peine la véracité de ce qu'elles vivaient, un homme s'agenouilla à leur hauteur.

  • Fais voir tes yeux, petite, exigea-t-il.

Hélène la somma d'un signe de tête de refuser. Puis elle se tourna vers l'ordure et lui souffla d'un ton glacial :

  • Monsieur, ce n'est pas le moment. Mêlez-vous de vos affaires.

À son expression, elle sut qu'elles étaient condamnées. D'émotion, sa fille avait du faire appel à ses pouvoirs naissants... des pouvoirs de feu. Interdits, haïs. Cet homme se retira, prêt à les dénoncer aux hommes du Juge. L'excécution serait sommaire. Et Robert n'était plus là pour les couvrir.


Cela doucha leur bonheur de se retrouver. Ce qui devait être l'espoir d'un retour à la vie devenait une condamnation à mort. Tenter de retourner l'accusation contre lui serait trop risqué. On ne se dépêtrait jamais de ce genre de chose...


Le temps passa alors lentement. Plutôt que fondu en une horreur continue, puis de passage éclair dans le soulagement, il ne devint plus que la lente attente de la mort. Elles restèrent ensemble, enlacées, sourdes à ce qui les entourait.


Quand la porte s'ouvrit avec fracas, elles l'entendirent à peine. Leurs oreilles sifflaient. La fin approchait. Leur délateur parlerait, et elles seraient impuissantes à se sauver.


L'odeur de chair brûlée les étrangla, leur fit cracher leurs poumons. Les hommes en armure lourdes qui entrèrent d'un pas martial portaient le même emblème que celui présenté par Robert. Deux par deux, ils aidèrent les blessés à se redresser, puis à marcher. Ils ne pipèrent mot, se contentant de lever une personne avec précautions et de la diriger vers la sortie.


Hélène n'eut d'autre choix que de se laisser séparer de son enfant. Le pas martial les porta dans des couloirs, ravagés par des traces d'explosions, de traces de sang et de restes humains calcinés. Robert ? Il serait parvenu à tenir tête à des hommes lourdement armés à lui seul ?


Eteinte, elle cessa de prêter attention aux alentours. Son esprit lui indiqua au bout d'un moment des escaliers montants. Au sommet... une lumière à laquelle elle ne croyait plus. Celle de l'aurore. Au moins la reverrait-elle avant de mourir.


Jamais l'air matinal ne lui parut si doux. Un soleil de sang l'accueillit au-dehors. Un signe. Son Dieu ne l'abandonnait pas. Pourtant, elle hésita à espérer.


Les gardes la conduisirent à un homme maigre empaqueté dans une tenue de prêtre. Ses yeux devinrent blanc argenté, tandis qu'il lui effleurait le front en murmurant des prières. Hélène sentit toutes ses blessures et faiblesses physique s'effacer à ce contact. La douleur, le froid, l'épuisement, tout s'estompa sous une onde tiède. Puis on la conduisit à une tente, où sa fille ne tarda pas à la rejoindre. Deux des quatre hommes s'éclipsèrent, toujours sans mot dire, puis les deux restants s'invitèrent à leur tour.


Ils les séparèrent d'abord, gardant l'enfant à l'intérieur et la mère à l'extérieur, en mesure de s'assurer qu'aucun mal ne soit fait à la chair de sa chair. Ils posèrent des questions simples. Qui étaient-elles, d'où venaient-elles, que venaient-elles de vivre. Ils notèrent. Ils notèrent tout. Firent répéter. Puis Hélène fut autorisée à rejoindre la tente. Là, sa fille agrippée au bras, leur témoignage fut comparé, on leur posa de nouveau les mêmes questions. Puis, les réponses obtenues, on leur promit de les raccompagner à leur domicile. Que deux agents du Juge Emeritus les suivrait deux ans, de loin, pour s'assurer qu'elles ne subissent aucune représaille. Puis elles furent laissées là, ensemble sous une tente blanche, dans une forêt dense. Le bunker, ce lieu d'horreurs qu'elles venaient de quitter, se rappellait à leur bon souvenir sous forme d'une caverne réaménagée.


Alors qu'elles se permettaient enfin de nouvelles larmes, Hélène releva que le défilé de survivant cessait. Les soldats du Juge firent une haie d'honneur à la sortie, attirant l'attention générale. Le prêtre aussi approcha.


Les deux gardes qui émergèrent portaient une civière. Hélène demanda à sa fille de rester sous la tente, et approcha autant qu'elle l'osa sans que quiconque ne cherche à l'en dissuader. Des ricanements déments émanaient de la silhouette difforme sur la civière. Bien que haute dans les aigus, elle reconnut la voix.


Robert Feufert. Quand elle fut assez proche, elle put constater son état lamentable, qui fit soupirer le prêtre.

  • Par la Déesse, mais comment voulez-vous que je lui rende apparence humaine ?
  • Nous ne t'en demandons pas tant. Assure-toi juste qu'il vive.
  • Condamné, pas l'temps.

Le prêtre voulut se détourner, mais l'un des membres de la haie d'honneur le saisit par une épaule et lui imposa de faire face au mutilé.

  • Tu es aussi là pour t'assurer qu'il vive. Ordres du Juge.
  • C'est à la limite une résurrection que vous me demandez !
  • S'il trépasse, tu l'accompagneras auprès de Rhamée.
  • Héré...

La gifle qu'il reçut le convainquit que son statut ne lui épargnerait pas de sauver ce résidut d'homme. Robert se tortillait sur sa civière, maintenu par des liens de cuir. Une partie de son visage avait disparu, laissant à la place du bas de sa joue une immonde bouillie de chairs fondues. L'œil du même côté n'avait pas été épargné, de même que l'oreille arrachée. De l'autre côté, un os calciné saillait de la peau craquelée. L'une de ses épaules reposait anormalement contre la civière, sûrement démise. La main ne semblait plus que rattachée par la peau au bras, et des doigts manquaient. Quand à l'autre bras, seul un moignon calciné succédait au coude. Son flanc ne valait guère mieux, de même que son ventre où quelque chose mêlant suie et chairs pulsait à l'air libre. Enfin, l'une de ses jambes reposait sagement, dans un angle anormal. L'autre innondait le tissu de sang.


Et Robert riait. Avec démence. Les gardes avaient été contraints de lui lier tout le corps, tandis qu'il se débatait, tentait de les mordres, agrippait son lit de fortune, donnait des coups de tête. À le voir, il n'avait aucune idée de son état de loque humaine. Lui voulait continuer à massacrer.


De mauvaise grâce, le prêtre posa les deux mains sur ses tempes, s'agaça clairement de son agitation. Bien vite, une lumière blanc argenté enveloppa le moribond. Ses plaies ne tardèrent pas à se refermer, la flaque de sang sur le tissu cessa de s'étendre. Le blessé retrouva même quelques couleurs plus normales sous le sang et la cendre. Sa respiration s'apaisa, il cessa de rire.


Le miracle s'acheva sur un apaisement du blessé. Ses parties manquantes ne repoussèrent pas, mais qu'il demeure en vie n'en tenait pas moins du miracle.


Blême, Hélène préféra retourner auprès de sa fille. Non, l'envoyé de leur dieu ne les sauverait pas. Alors qu'elle venait de se réinstaller à terre, le délateur approcha le prêtre qui se détournait déjà de son patient. Ils parlèrent, un doigt accusateur se brandit vers la mère et la fille. Déjà, six gardes partirent en leur direction, accompagnés du prêtre. Puis les deux porteurs emboîtèrent le pas.


Résignée, Hélène ne réagit pas. Fuir serait une erreur, un aveu. Un autre miracle pouvait toujours survenir, après tout...


Le prêtre se planta devant elles, le regard déjà emprunt de magie divine. Il voulut tendre une main, mais une voix rauque l'interrompit.

  • J'paie leur avocat, remballe tes sorts !
  • Que... Maître Adelin, restez...
  • Oh ça va...

Le susnommé Maître Adelin s'interrompit, le temps de cracher ses poumons. Il avait enfin cessé de se débattre.

  • Père Harald, elles viennent d'échapper à un sort atroce, comme leur accusateur. Avec toutes les merdes qui leur ont été injectées, le sang qui leur manque, qui sait si votre homme n'a pas eu d'hallucinations ? Comment savoir s'il n'a pas jalousé leur bonheur de se retrouver, lui qui a tout perdu d'un coup ? D'ailleurs, vous étiez aussi censé purger les sangs il me semble...

Toujours nimbé de magie divine, le Père Harald fit volte-face, blême de rage, porta les mains en griffes, puis se pétrifia en voyant les gardes dégainer et le tenir en joue.

  • Voici ce que je vous propose, mon père. Je passe sous silence que vous n'avez pas toutes les compétences requises pour votre poste de planqué. En contrepartie, vous foutez la paix à ces femmes, putain. Pas d'enquête, pas de fouille d'esprit.

L'un des gardes intervint.

  • Au vu de la gravité de l'accusation, nul ne peut passer outre. Cependant, nous pouvons tolérer des poursuites judiciaires standards. Ce qui exclu d'office l'intervention de Père Harald. Cela vous convient-il ?

De la civière, les restes d'un pouce se levèrent.

  • J'impliquerais Maître Horace. À mes frais. Et pour l'amour de la Lumière qu'on foute la paix à ces dames. J'ai pas fini dans c't'état... pour qu'un demeuré sabote mon travail.

Les négociations ne tardèrent pas à tourner court. De toute évidence, Maître Adelin, ou Robert, s'appuyait sur ses bonnes relations avec son maître pour faire plier le prêtre. Les gardes, pressés de se débarrasser de cette tâche, soutinrent le noble et parvinrent à faire se poursuivre les pourparlers ailleurs. L'un des deux de faction reprit position, puis glissa aux deux survivantes :

  • Vous avez de la chance. Maître Horace saura faire taire les mauvaises langues durant le procès. Vous pouvez d'ores et déjà vous considérer comme hors de danger... il hait les hérétiques plus que quiconque. Il a même déjà défendu Maître Adelin, et su prouver que les accusations qui le ciblaient n'étaient que mensonges. Par ailleurs, vous pouvez dormir si vous le souhaitez. Les chariots avec les vivres n'arriveront pas avant deux ou trois heures, nous distribuerons alors les premiers repas. Puis dès demain, si vous êtes prêtes, nous pourrons vous raccompagner chez vous. Deux agents du Juge seront déjà sur place et veilleront sur vous. Nous aimerions également, à l'avenir, pouvoir compter sur votre témoignage si certains de vos ravisseurs auraient réchappé de cette purge, pour que vous les confondiez. Et bien sûr, s'il vous faut plus de temps pour vous sentir prêtes à rentrer chez vous, nous pouvons vous laisser jusqu'à sept jours pour vous décider. Ensuite, nous vous y raccompagnerons de force. Avec les vivres viendront également des substances abortives, à vous de voir si vous les voudrez ou non. La Lumière veille sur vous.

Le garde s'inclina respecuteusement, avant de devenir une simple ombre vigilante. Un parmi une armée entière de vigies immobiles, ponctuant une forêt de tentes blanches.


Hélène reprit sa fille dans ses bras. Deux cauchemars. Elles venaient d'échapper à deux cauchemars. Grâce à un envoyé de leur dieu.


L'espoir revint. Avec lui, les prémices du goût pour la vie.

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