Mnémos : Le vent du changement 2/4 V2
- Le chasseur Iekout est le seul survivant de son groupe... Douze étrangers les ont massacrés. Ils nous ont fait savoir que nous devrions renoncer à notre passé et par conséquent à toi... En échange de quoi ils nous épargneraient. Selon leurs dires, ils sont déjà trois mille guerriers, rassemblés sous le nom Eschem.
Rhessek se garda bien de demander à quoi pouvait ressembler un tel rassemblement humain. Cette seule armée comportait plus de deux fois tous les Vastiu réunis, des plus anciens aux nouveaux-nés. Et cela ne comptait là que les guerriers... Le dragon se souvenait avoir un jour veillé sur une tribu de mille et un peu plus de deux cents humains, en une époque antérieure, avant qu'ils ne soient absorbés par une autre tribu et ne le renient, souhaitant embrasser la nouvelle culture et oublier ce qui les avait constitués des siècles durant. Changeant ainsi de Mémoire, de dragon lié à leur passé. Cela faisait beaucoup. Trois fois ces vivants... cela faisait trop. Leur Mémoire devait dormir longtemps...
- Mémoire, avons-nous déjà affronté une menace similaire ?
- Jamais. Je n'ai jamais connu une armée aussi grande.
Ivutak se rembrunit.
- Avons-nous la moindre chance ? Les Eschem affirment que leur Mémoire se bat avec eux, nous privera d'eau si nécessaire et ne demande qu'à partager leurs connaissances.
- Vous pouvez avoir vos chances...
Mais ce n'était assurément pas à un dragon qu'il fallait demander un plan qui n'avait jamais existé avant. En revanche, il faisait confiance aux humains pour innover et s'adapter.
Restait que cet autre, cet envahisseur se mêlait de conflits humains. Rhessek ne se souvenait pas de chose similaire. Des groupes humains se battaient, les vaincus se fondaient parmi les vainqueurs, oubliaient ce qui constituait leur culture et seulement pendant ces derniers instants, les Mémoires pouvaient se battre pour du territoire. Ou alors, un dragon en quête de lieu où vivre absorbait les connaissances du maître des lieux avant de le défier, et pouvait ainsi prendre le relais auprès des humains locaux. Mais là, les évènements arrivaient dans le désordre...
La menace de privation d'eau laissait supposer que l'ennemi était lié à cet élément. Pour un tel sort, surtout à l'approche de l'automne et avec tous les ruisseaux locaux, cela impliquerait beaucoup de puissance... Rhessek découvrit légèrement les crocs. Il ne ferait pas le poids. Même sans sa faiblesse, il n'aurait que peu de chances de survies. Alors dans sa condition actuelle...
L'air prit une odeur de défaite et de mort. Rhessek détailla son interlocuteur bipède. Ivutak ne lui mentait pas, il le sentait. Au même titre que les dragons n'inventaient pas. Les Vastiu disparaîtraient...
- Comment, Mémoire ?
Le dragon put répondre sans perdre le fil de ses ruminations.
- Toi et les tiens connaissez ces terres mieux qu'eux. Vous pouvez les harceler, les empêcher de dormir dans les bois, réduire patiemment leur nombre et les traquer comme des animaux. Durant l'hiver, vous pourrez envoyer vos malades mourir chez eux, faire pleuvoir des carcasses sur leurs campements. Vous pourrez empoisonner les cours d'eau, leur voler leur nourriture et leurs couvertures, mettre le feu à leurs tentes. S'ils devaient vous faire reculer dans les monts, vous pourriez aisément les y piéger. Pour tout cela, je ne doute pas que toi et tes chasseurs saurez traquer ces ennemis.
- Nous aideras-tu, ô Rhessek ?
Une idée lui venait. Il appréciait sincèrement ce peuple de chasseurs sédentaires. Leur souhaitait de continuer à traverser le Temps. Sans eux... il ne détiendrait ni ce vaste territoire, ni sa puissance actuelle. Il doutait également d'avoir le temps et l'occasion de trouver un jeune dragon pour le remplacer, sa dernière couvée s'était envolée bien trop loin pour qu'il espère compter sur son sang.
Mais sa voisine... il la pressentait anormalement faible, pour une dragonne liée à des humains. Elle devait donc avoir été reniée par eux. Sans que les esprits élémentaires n'aient cherché à contrebalancer cette décision, elle devait avoir brisé un tabou. Certainement celui de manger les humains qu'elle était censée aider. Une erreur qu'ils commettaient tous un jour, les condamnant à se faire oublier un temps.
De plus, étant liée à la Terre, elle pouvait de part son ascendance accéder à la magie du sang. Rhessek avait entendu dire que cette magie supplantait toutes les autres. Surtout, cela permettait de couper un dragon de ses pouvoirs. Ceci pouvait changer toute la donne.
Pour son cas, il se sentait condamné. Les humains ne pouvaient supporter une attaque frontale et devraient mettre le Temps à profit pour affaiblir leurs envahisseurs. L'autre dragon ne lui laisserait jamais ce luxe. Encore moins avec le soutien d'autant d'humains.
- Je vous aiderais, oui.
Schiarks, par contre il devait trouver un moyen de préparer l'arrivée de celle qui lui succéderait. Il chercha parmi ses souvenirs quelque chose, dans leur culture qui permettrait cela.
- Je dois tout de même te prévenir, Ivutak. De ce que tu me dis, leur Mémoire est particulièrement puissante. Il n'est pas impossible que notre affrontement mette un terme à mon existence actuelle, et que je revienne... différent. Je me souviendrais toujours du passé des tiens. Néanmoins, je porterais peut-être un autre nom, une autre enveloppe charnelle et m'exprimerais autrement. Que cela survienne ou non, je reviendrais vers toi. Aussi, il est un tabou que je ne puis ignorer. Je ne peux pas m'en prendre à des humains, aussi hostiles soient-ils. Leur Mémoire, en revanche...
Ivutak acquiesça. Chose rare, il s'inclina et demeura courbé un long moment, représentatif de son niveau de reconnaissance. Ils échangèrent ensuite sur les tactiques de guérilla que Rhessek avait mentionnées, parlant des différents types de flèches et harpons utiles à la chasse contre d'autres humains, des rituels à respecter aussi bien dans la victoire que la défaite. Rhessek n'avait jamais connu les Vastiu en guerre, mais savait comment leurs ancêtres avaient perduré et anéanti leurs ennemis. Il transmit également des tactiques de tribus disparues depuis, arguant que de lointains ancêtres d'autres temps voulaient que leur savoir perdure.
Les idées claires, Ivutak salua une dernière fois le dragon, avant de se retirer. Rhessek attendit que plus aucun humain ne puisse voir son départ, avant de reprendre sa vraie taille, de s'extirper douloureusement du cercle de pierres, et de se trouver un sommet de colline assez élevé pour qu'il y prenne son laborieux envol.
Annotations
Versions