Mnémos : Le vent du changement V2 3/5

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Le soleil approchait du zénith. Rhessek se dirigea vers les terres de sa voisine. Une fois assez proche de son territoire, il fit vibrer son estomac, émettant des sons en mesure de se propager au-delà de l'horizon pour quiconque avait l'ouïe assez fine. Il espéra également qu'elle ne dorme pas. Rien ne réveillait une Mémoire.

Ne recevant aucune réponse, il plana le long des terres non-revendiquées, préférant éviter de se montrer en envahisseur alors qu'il devait lui proposer un marché. Cela lui laissa d'ailleurs du temps pour songer à la manière de lui présenter les choses.

Le temps passa. Aucune réponse ne lui vint. Nerveux, Rhessek se résolut à atterrir en terrain non revendiqué pour tenter de la trouver par magie : un dragon était toujours environné d'un minimum de peur. Une fois à terre, il chercha donc autour de lui des zones correspondantes, les quatre pattes fermement posées au sol, les yeux clos. Un cercle de peurs. Il en trouva bien quelques-uns, qui correspondaient à des prédateurs trop petits.

Par dépit, Rhessek passa à la quête d'aura. De plus en plus concentré, il savait se rendre vulnérable. Toutefois, il n'eut pas à chercher bien longtemps. Il trouva bien de la magie, mieux, qui approchait... loin, très loin sous ses pattes. Gardant ce repère ténu, le dragon prit une posture neutre pour accueillir cette... dragonne nageant dans la roche. Les infrasons de son estomac pouvaient-ils être entendus dans ces conditions ? Il en doutait. ll se demanda même à quel type de dragonne il ferait face, assez peu vivaient sous terre...

Assez vite, en plus de la magie il entendit des roches racler contre des écailles et des griffes érafler la terre. Des sons de reptation lui parvinrent.


Le sol s'évida quelques pas devant lui, cédant la place à... un bec osseux. À cela succéda une longue gueule effilée aux écailles grises comme la roche, en forme de lames. Cette tête, bien trop petite, fine et étirée pour appartenir à un dragon normal se courba au bout d'un cou frêle surmonté de longues épines dorsales courbées et effilées dès que ses cornes le lui permirent. Deux yeux d'or à la pupille trop fine le fixèrent. L'immobilité de cette tête, même pour un dragon, tenait du contre-nature.


Mal à l'aise, Rhessek flaira cette inconnue. Au moins comprenait-il mieux pourquoi. Pouvait-elle seulement voler ? Elle n'était pas un dragon égorgeur, comme lui, mais une dressern. Il soupira, lâchant un généreux panache de fumée. Telle qu'il la voyait, son museau était plus long que son cou.

  • Quel mauvais vent t'amène ? siffla la dressèrn.

Pour une créature si maigre, dont il ne parvenait pas à estimer la taille, elle possédait une voix puissante et grave.

  • J'ai besoin d'aide.
  • Toi un fils du ciel, tu d'mandes l'aide d'une saloperie souterraine ?
  • Pas l'choix.
  • T'es vraiment désespéré.
  • Ouais.

Au moins pouvait-il s'autoriser une relâche dans le niveau de langage. Entre Mémoires, ils toléraient cela.

  • Quelle aide tu veux ? Si c'est t'faire soigner, tu peux r'tourner agoniser chez toi, j'peux rien pour toi.
  • Ssseh, rassure toi je t'ai pas prise pour une lumineuse. Non, je suis venu te proposer un marché.
  • Ben tu peux aller chier, tes affaires sont pas les miennes.
  • Ké schiarks, écoute, au moins ! Tu t'es donnée la peine de venir y'm'semble ?
  • J'voulais savoir ce qui t'am...
  • Voilà. Donc je disais. Une Mémoire d'eau approche avec une armée de trois mille humains absorber les Vastiu.
  • Sssseh et il va me débarrasser d'toi, merveilleux ! railla la dressèrn.

Décidément, elle rendait honneur à la mauvaise réputation de sa race. Détestables et mauvais.

  • Tu crois que sans humains liés à toi, tu vas survivre ?

Silence. Rhessek l'observa agiter ses anneaux pour finir de s'extirper de terre. Le sol se referma tandis qu'elle assurait ses appuis sur ses quatre pattes faméliques. Elle rappelait une version draconique des lévriers, toute en os saillants. Sa tête faisait la longueur d'un tiers de son cou mis en inéléguant "s" écrasé, ses courtes ailes carrées tenaient d'appendices inutiles, sa queue pouvait à peine effleurer le sol, s'achevant sur une pauvre vertèbre pointue et saillante. Sans compter ses épines dorsales hors normes... et sa gestuelle. Tantôt, elle donnait l'impression de glisser, pour soudain se mouvoir par saccades. Puis ses os grinçaient les uns contre les autres dans des mouvements raides, puis elle se figea. Mal à l'aise, il la huma...


Son odorat lui confirmait ce qu'il entendait et voyait grossièrement : il échangeait avec une dragonne d'une douzaine de siècles. Mais... elle sentait le renfermé, la terre retournée mêlée de carcasses faisandées. Sa manière de bouger était incompréhensible, irrégulière et incohérente.

  • T'en sais quoi de ça ?
  • J'en sais que j'ai une idée pour que nos failles respectives nous permettent de réaliser nos espoirs. J'suis sûr que tes humains t'ont reniée et qu'les esprits t'ont abandonnée parce que t'as mangé ceux que tu devais conseiller.

Les écailles se hérissèrent légèrement, lui donnant un air de hérisson croisé avec un serpent d'os pris dans des cendres. Le ténébreux n'eut aucun mal à sentir sa peur exploser, accompagnée de bien d'autres émotions.

  • J'ai fait c'te connerie aussi.

La dressern en recula la tête, contracta ses quatre épaules et rapprocha ses écailles de son corps.

  • Ecoute. J'vais crever et mes humains me survivront pas. Toi t'es isolée, jeune... et t'as accès à la magie du sang.
  • Comment tu peux te soucier de ces connards ?
  • Les humains ?
  • Ouais. T'as même pas vécu la création d'leur peuple de dégénérés arracheurs de cœurs. Y te prennent pour le lieu où vont souffrir les âmes des mauvais. Ils s'encombrent de leurs faibles et s'emmerdent à les maintenir en vie.
  • Si t'acceptes de devenir leur Mémoire, tu sauras.

La dragonne se détourna et s'éloigna comme un oiseau échassier. Néanmoins, Rhessek sentit qu'elle l'écoutait toujours. Elle inclinait légèrement la tête pour garder une oreille vers lui.

  • En te liant à eux, t'auras de nouveau ta puissance d'avant ton erreur. T'auras même la chance de les voir traverser les siècles, t'auras tout entre tes griffes pour qu'ils prennent des directions qui t'intéressent plus que le statut quo et sans voisins que j'ai instauré. Ils sont bien assez stables pour ça.

Moins nerveuse, elle se retourna.

  • Ça me coûtera quoi ton truc ?
  • La magie du sang, y paraît qu'ça empêche ta proie d'accéder à ses pouvoirs.
  • Vrai. Mais seul l'esprit d'la Terre peut déterminer qui y a accès, quand et pour quoi faire. Vue... ma connerie... sssseh ils m'avaient manqué d'respect et c'est moi qui paie !
  • Tu t'appelles comment ?
  • Sirame.
  • Sirame, à toi d'voir. Tu prends les souvenirs des Vastiu depuis leur création jusqu'à aujourd'hui, t'affaiblis le connard d'envahisseur et tu fais survivre ta nouvelle tribu le temps d'éradiquer les intrus. Plein de sang et un nouveau départ pour toi. Ou alors tu restes à pourrir ici et t'attends que l'autre te crève, seule et vouée à l'Oubli. Moi j'm'en fous, je disparais quoi qu'il arrive. Par contre, savoir qu'en plus d'avoir brisé un tabou, tu laisses aussi passer ta chance de nouveau départ et condamne ces innocents à disparaître... Je te jure devant l'esprit des Ténèbres que je vais te maudire.

Méfiante, elle s'avança lentement jusqu'à lui. Sa peur grandissait. Le renforçait. Le mage noir contint un ronronnement. Quelle idée, de lui offrir ainsi l'ascendant.

  • Tu bluffes, affirma Sirame.

Pour toute réponse, Rhessek prit une longue inspiration, comme pour rugir. Aussitôt, la dragonne bondit en arrière, le ventre à tout juste quelques épaisseurs d'écailles du sol, le cou prêt à se détendre, le bec orienté vers la menace comme une pointe de sagaie au bout d'un propulseur. Rhessek savoura l'ampleur de la peur qu'il inspirait, nourrit son sort et affûta sa volonté. Son ronronnement lui échappa quand il la vit faire onduler ses épines dorsales au ralenti pour se préparer à l'éventrer. Il bloqua sa respiration, imprégnant son souffle de sa magie.

Enfin, il souffla avec calme. À sa fumée, se mêlait sa malédiction, noire et opaque, parcourue d'insidieuses volutes verdâtres et argentées. L'émanation, plutôt que de se dissiper dans l'air entoura sa cible pétrifiée, s'y accrocha comme de la brume avant de s'insinuer en elle.

Rhessek, désormais certain de son emprise, s'offrit le luxe de s'asseoir, poussa jusqu'à s'allonger avec mépris. L'air fraîchissait, de même que ses tripes après un tel sort, tandis que la maudite, pétrie de peurs, de terreurs, d'horreurs sans objet ne parvenait même plus à bouger. Il fallut que le soleil vire au rouge à l'horizon, pour qu'enfin, elle parvienne à siffler :

  • Que... qu'as...
  • T'es maudite. Condamnée à tout craindre, crever de solitude et de faim. Après...

Rhessek pencha la tête de côté. Après le froid intérieur, venait la sensation de vide qu'il devait dissimuler.

  • Je peux atténuer le sort, le limiter à quelques cas. Ma seule condition, est que tu acceptes mon marché. Tu t'empares de la magie du sang, sépare le dragon d'eau de sa magie et tu deviens la Mémoire des Vastiu. Sssseh sache aussi, sinistre schiarks, que même les chauves-souris et les insectes te feront peur, au point que c'est toi qui va fuir. D'ici quelques jours, la moindre goutte d'eau t'empêchera de dormir.

La petite jeune rampa en arrière, la gueule entrouverte en un feulement silencieux. Sa queue se lova contre son flanc aux os saillants. Au fil de ses réflexions, elle alla de gauche à droite, se rapprocha un peu, recula de nouveau. Rhessek sentait qu'elle ne tarderait pas à céder. Elle voulait l'attaquer, le tuer, ronger ses os. Mais sa volonté ne tenait pas le choc devant la peur.

Quand la nuit tomba, que l'obscurité s'imposa, Sirame parvint enfin à respirer plus librement. Sa respiration, devenue sifflante au crépuscule devint plus régulière.

  • Comment ça se fait... que t'aies pu lancer ça... que cette saloperie te survive ?
  • T'as oublié ce que tu pouvais faire quand tu étais liée aux humains, qu'ils avaient foi en toi, comparé à maintenant ? Plus de six cents humains m'ont intégré à leur culte, depuis plusieurs générations. J'te préviens, au lever du jour au plus tard, soit t'acceptes mon marché, soit va crever.

Dans sa grande bonté, il allégea l'emprise de sa malédiction, réabsorbant une partie de sa magie en quelques inspirations. L'esprit plus clair, Sirame prit son temps, rampant toujours avec lenteur. Rhessek releva que malgré la longueur de ses pattes, elle frôlait le sol de son ventre, se tenant comme une araignée. Ainsi, elle paraissait plate. À l'exception de ses épines dorsales couleur poussière.

Plus de la moitié de la nuit était passée, quand sa décision fut prise. Parfaitement immobile, la dressern se soumit dans un panache de fumée famélique. Vaincue, elle se redressa, les pattes droites sous son corps court. Dans cette position, elle se mettait en difficulté pour attaquer la première.

  • Tes Vastiu te survivront, je le jure sur mon sang et mon nom... dès que t'aura atténué ta saloperie de malédiction.
  • Viokà.

Rassurée, elle attendit. Rhessek se redressa, d'abord sur ses antérieures, prit appui sur ses ailes puis acheva de relever son arrière-train avec précautions. Il tendit le cou vers sa victime, entrouvrit la gueule et inhala sa propre magie. Son froid intérieur empira, pendant qu'il se réapproriait les maux désormais superflus de la dressern. Il la trouva craintive, pour une prédatrice, cette faiblesse lui faisait ingérer plus de magie qu'il n'en avait soufflé. Cela n'arrangerait guère le contrecoup du sort.

Ceci fait, la maudite tint ses premiers engagements et jura sur son sang de devenir la Mémoire des Vastiu. Rhessek en profita pour affiner les gardes-fous qu'il lui imposait, des filaments noirs autour des griffes.

Ils échangèrent aussi sur la manière dont ils pourraient vaincre un dragon lié à bien plus de trois mille humains. Assez vite, ils trouvèrent leur plan, fort simple. Sirame prévenait le futur cadavre quand elle accéderait à la magie du sang, ce dernier devait éviter le combat jusque-là. Aussi, tous deux se préviendraient quand ils détecteraient l'envahisseur.

Rhessek devrait survivre ensuite assez longtemps pour connaître le nom de l'ennemi, et verser son sang à terre. Sirame pourrait prendre le relais, et achever le blessé. Elle ne releva pas que le ténébreux parlait au singulier.

Pour la suite, Rhessek espérait mourir seul dans sa caverne. S'il survivait, il ne doutait pas de pouvoir chasser la dressern. Sinon... les Vastiu conserveraient la mémoire de leur peuple. Connaîtraient les erreurs à ne pas répéter, et les solutions qui fonctionnaient.

Certain de la suite des évènements, Rhessek tendit le cou vers celle qui lui succéderait. Comprenant ce qui adviendrait, Sirame se rapprocha et croisa la tête contre celle de l'égorgeur. Ce dernier partagea les précieux souvenirs des Vastiu. De leur création, à sa dernière entrevue avec Ivutak. L'évolution de leurs croyances, de leur langue, de leurs lois.

Au cours de ce partage, il la sentit soufflée par un évènement particulier. Son prédécesseur, un égorgeur de feu avait eu une couvée. Les humains, convaincus de la nature spirituelle de leur Mémoire et de sa progéniture sacralisée avaient contribué à veiller sur les petits. Les quatre saisons de couvaison, les meilleurs guerriers effectuaient un pélerinage et veillaient avec les dragons sur ces trésors. Puis, les deux décennies suivantes les chasseurs prirent l'habitude de laisser les cœurs de leurs proies aux jeune prédateurs, avant de marquer chaque départ des dragonnets d'une grande fête. Ceci en particulier toucha Sirame.

Le don de souvenirs terminé, Rhessek s'étira, rassuré. Tout n'était pas perdu pour la dragonne, et par extension pour les Vastiu. Ses autres voisins convenaient moins à la situation. À l'horizon, l'aurore ensanglantait les cieux.

  • Bonne agonie, conclut Sirame.

L'égorgeur ne prit pas la peine de répondre et décolla avec toute la dignité qu'il put. Rien de tel, pour contrer le froid et le vide instaurés par les Ténèbres que du sang chaud. Il réintégra donc ses terres, en quête de proies.


Après quelques biches, Rhessek ronronna en découvrant les restes d'un auroch. Après son passage, il n'en resta rien, à l'exception d'une vague flaque de fluides putrescents. Les loups qui l'avaient chassé avaient certainement fui un ours... pourtant, son instinct lui soufflait qu'il s'agissait d'une anomalie. Les loups enterraient les restes de leurs proies. Sans compter que l'odeur de putréfaction écrasait les autres informations.


La Mémoire chassa ces doutes parasites, tandis qu'il repensait aux différentes stratégies qu'il pouvait utiliser contre un dragon plus puissant que lui. Cet être aquatique, au pire amphibie aurait peu de chances de savoir se mouvoir aussi bien que lui dans les cieux. Aussi, le moindre cours d'eau représentait un danger fatal.


Le temps passa bien vite, tandis qu'il fouillait dans sa vaste mémoire pour trouver de quoi compenser l'écart de taille et de puissance, tout en dévorant ce qu'il pouvait. Son temps se résuma ainsi à chasser, gober et rassembler les souvenirs utiles tout en surveillant des concentrations de peurs trahissant les Eschem.


Ces derniers s'installaient dans sa forêt du Sud-Ouest, fort heureusement loin des Vastiu. Rhessek les soupçonna d'attendre leur Mémoire... et de chercher à le conduire à la faute. Son instinct le poussait à chasser ces pertubateurs.

Que n'aurait-il pas donné, pour embraser leurs tentes, dévorer leurs chevaux, chèvres et pourceaux, écraser leurs chiens. Mais ceci n'entrait pas dans son rôle. Aux Humains d'écrire leur propre Histoire... Aux dragons de règler leurs affaires entre eux.


Le dragon haïs prit par ailleurs son temps pour arriver. Deux nuits s'étaient succédées, depuis que le ténébreux avait maudit Sirame. Ceci permit à cette dernière d'accéder à la magie du sang. Restait à Rhessek de respecter sa part du marché. Il profita toutefois de ce temps pour échanger une dernière fois avec Ivutak, l'informant sur l'organisation du campement ennemi et sa localisation.

Deux nuits supplémentaires passèrent. Rhessek n'éprouvait plus les conséquences de sa malédiction, se sentait frais et dispo pour une confrontation. Enfin, un conglomérat de peurs attira son attention. Loin à l'Ouest, quelque chose sinuait dans la large rivière, sans pour le moment violer le territoire de l'égorgeur. Ce dernier profita du sort lancé à Sirame pour la prévenir, avant de s'approcher lentement du futur lieu d'intrusion. Certaines crevasses lui donneraient d'agréables lieux d'envol, puis il pourrait s'efforcer d'attirer son adversaire en son milieu céleste pour lui faire la peau.


Le soleil parcourut un quart de sa course, quand un rugissement aigu retentit. Rhessek sut que les hostilités débutaient. Prêt, il jaillit dans le ciel, survola l'eau bien assez haut pour éviter le moindre risque. Cela suffit à attirer l'envahisseur.


De l'eau, une silhouette presqu'indiscernable du fond et longiligne surgit. Rhessek en tresaillit et manqua un battement d'ailes. L'autre... l'autre était immense. Le ténébreux, pourtant grand, se sentit petit pour la première fois depuis des lustres.


Son adversaire souple et malingre s'éleva par à-coups dans sa direction, mêlant avec ses ailes mouvements de nage et appui laborieux sur les airs. Il ressemblait beaucoup à un serpent ailé et plat, aux pattes fines collées contre le corps. Ce vieil essvek devait posséder des branchies. Rhessek gronda à son intention. Pour que ce petit dragon puisse remplir une rivière en largeur, il devait compter au moins deux dizaines de millénaires.

  • Quel est ton nom, sale schiarks ? le provoqua Rhessek.


L'intrus lui répondit d'un sifflement menaçant, et lui cracha de larges flammes. Rhessek ne perdit pas de temps à s'interroger sur cette manœuvre inutile et fatiguante à l'altitude où ils se trouvaient déjà, assez haut pour que les naseaux et les yeux piquent. Il ajusta sa trajectoire, s'assura que les articulations de ses serres ne souffraient pas du froid. Plus bas, il ouït une réponse essoufflée. Déjà ?

  • Svedress... tu me... devras... ta mort !


Le dragon noir plaqua alors les ailes, raidit le cou et se laissa tomber. L'autre montait toujours à sa rencontre. Erreur. Rhessek détendit la patte postérieure, griffes en avant. Sa proie dévia à peine, il suivit sa trajectoire d'un infime mouvement de queue. Le ténébreux plia légèrement les pattes, prêt à l'impact.


Au dernier moment, Rhessek se plaça comme un rapace, serres en avant et se fracassa de tout son poids contre l'intrus. Ce dernier ne comprit la manœuvre que trop tard, tout son flanc et la moitié de son aile churent, arrachés par l'attaque.


Le blessé rugit, tenta de mordre, n'atteignit que de l'air. Rhessek prit le temps de planer en cercles de plus en plus bas, attendant que son adversaire s'épuise. Il étudiait également ses mouvements, sa manière de se mouvoir...


Son instinct lui souffla des incohérences. Ses souvenirs, également. Son adversaire ne réagissait qu'après une latence anormale. Son vol s'avérait trop basique et pataud. Il ne se soignait pas... Anomalies. Besoin de plus d'informations.


Rhessek se rapprocha prudemment du blessé qui chutait enfin, épuisé et trop confus pour un dragon ailé dans le ciel. À croire que son corps ne connaissait pas cet élément, que ses muscles et ses fines écailles bleu-argentées découvraient ce milieu.


Son odorat donna enfin un sens à ces étrangetés. Humain. Cela sentait le sang humain... Rhessek feula. Non... l'autre n'avait pas fait ça ? Il n'avait pas pu... Schiarks, c'était bien sa veine ! Deux éléments ! Son ennemi maîtrisait deux éléments ! Non content de rassembler trop d'humains, il fallait que ce soit une rareté détenant deux éléments ! Qu'il sombre dans l'Oubli ! Où se cachait-il, ce sans-terres ?


Il avait corrompu un humain dans sa chair, trompé son esprit pour l'amener à se comporter comme un dragon... Abominations ! Bien une fourberie de dégénéré, que ces abjections !


Lassé des mugissements de l'humain corrompu, l'égorgeur démontra l'utilité de sa corne et l'éventra d'un coup de tête bien placé. Lui restait à trouver le véritable ennemi. Désormais, il savait encore mieux que chercher. Non seulement un essvek immense lié à l'eau, mais aussi un autre ténébreux. Voilà qui faciliterait ses recherches.


Svedress dut comprendre qu'il venait de perdre sa honteuse doublure, aussi à la nuit tombée serpenta-t-il à travers la même rivière. Poursuivant la provocation, il s'attarda à la limite du territoire, avant d'y pénétrer franchement.


Là, il fit connaître sa présence avec force rugissements destinés à marquer le territoire, se frotta aux arbres, couvrit de son odeur glauque les marques olfactives du maître des lieux. Ce dernier prit son mal en patience. Tant d'injures.


De nouveau mis en échec, Svedress se résolut à venir chercher son adversaire. Rhessek planait toujours au-dessus du cadavre quand le vieux mâle s'éleva dans le ciel.


Il volait bien mieux que le corrompu.

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