Bradbury mensuel : Décembre
Fanor relut une dernière fois ses textes. Le cœur battant, il estima se trouver toujours aussi mauvais. Néanmoins, il ne lui restait que cette dernière nuit pour mettre son plan à excécution. Après des lunes et des lunes de réflexion, de travail, de retravail acharné, de traductions, de fulgurances, il doutait de pouvoir faire mieux.
Anxieux, bien plus qu'avant les batailles, qu'après des trahisons, il leva les yeux vers son demi-frère, son acolyte de cette nuit décisive. Ce dernier penchait la tête et grimaçait devant les traductions et retranscriptions phonétiques dans leur alphabet.
- Il se chante même pas ton truc, râla Soker.
- Ça se fait moins dans leur culture...
- Culture à la... bizarre.
Fanor grogna, et rassembla ses affaires. Il espéra ne pas s'être trompé dans ses calculs et avoir mis de côté assez de pierreries et d'argent. Les deux sortirent de la tente. Ils s'assurèrent que l'émissaire des elfes yrdeïs dorme profondément en cette heure crépusculaire. À leur grand soulagement, oui. Aussi se mirent-ils au travail, dans le silence curieux et complice du reste du clan.
À son réveil, l'émissaire Yavael sentit une douce odeur de terre humide et fraîchement retournée. Quand elle émergea de son lieu de résidence temporaire, elle découvrit stupéfaite tout un texte, écrit dans sa langue, creusé dans le sol, imprégné de lettres d'argent et décoré de pierreries.
Après de nombreuses turpitudes,
Sans gémir ni pleurer,
Après partage de vissicitudes,
Viens l'heure d'admirer
Le ciel de sang, le ciel d'obscurité
Le silence d'en bas,
Les choses de l’ombre vont s'animer
Elles murmurent tout bas
Dans leurs confidences, je guette ta voix
Quête ton doux regard
Dirige tous mes espoirs avec foi
Je rêve de te voir
La nuit étend son emprise sur le monde,
Et mon cœur bats d'espoir
Celui fou de te revoir, de t'apercevoir
Sous la lune ronde,
Nombre d'espoirs se voilent et se dévoilent,
Ils brillent dans les cieux,
J'adresse aux étoiles un vœu pieux,
Être un temps digne de ton regard,
Mériter ton affection,
Rêver nos horizons,
Partager, chanter et danser nos arts,
Bien que nos cultures diffèrent,
À nous le chant, à nous la danse,
Que nos cœurs restent ouverts
Pour vivre une romance,
À toi l'art oratoire de la poésie,
Art où mon ingorance tenait de l'hérésie,
Peut-être à nous si telle est ta volonté
De développer l'art afin de transcender
De jour comme de nuit, nos deux cultures,
Et sous l'étincelance des astres,
Partager ensemble présent, futur
Yavael, je t'aime
Long vol radieux
L'elfe mit les poings sur les hanches. Bien que ce ne fut pas signé, elle se doutait bien de l'auteur. Il n'en existait qu'un, pour avoir tant cherché à s'imprégner de sa culture sans oser l'approcher pour autant.
Fanor tresaillit quand on frappa au poteau de l'entrée de sa tente. Il manqua de défaillir en reconnaissant la sublime Yavael et ses yeux brillants comme des étoiles. Il bafouilla des salutations de mise, elle l'interrompit :
- C'est toi qui a labouré ce poème devant chez moi ?
- Ou... ou...
Quel con, il avait oublié de signer ! Devinant le reste, Yavael se permit d'entrer chez lui, puis posa révérencieusement genou à terre. Fanor crut défaillir de bonheur. À son tour, il s'agenouilla, mit avec délicatesse son front contre celui de son aimée. D'un même mouvement, ils se relevèrent, prirent le temps de se contempler. Puis, avant que l'émissaire ne manque de temps pour rentrer chez elle, ils s'embrassèrent, déjà impatients, dans deux saisons de se revoir après cette déclaration.
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