L'Expedition de Norh Chapitre 2
– Si mon instinct ne me trompe pas… il reste encore 143 minutes avant la quatrième heure, finit-il par dire après un moment.
– Mouais… ça nous laisse une petite fenêtre de temps pour atteindre au moins l'entrée. ajouta Mordo.
Une fois ceci dit, un silence à la fois étrange et relaxant s'installa. Le bruit de la mer vint apporter un semblant d'ambiance tandis que chacun était dans ses pensées. Le professeur avait son chapeau sur la figure et Katherine se tenait recroquevillée devant le brasier. Seul moi et Gaunt étions encore assis.
Plutôt que de laisser planer ce calme gênant entre nous, je décidais alors d'engager la conversation. Bien que Gaunt m'ait l'air d'être le genre d'homme à pouvoir rester muré dans le silence dans problème, je n'étais pas de ceux qui aimait le calme à outrance, surtout ici.
– Dites… vous aussi vous avez rencontré un chevalier pas vrai ?
– Oui.
– Enfin, je pense même pouvoir dire plusieurs au vu de votre équipement, n'est-ce pas ?
– Exact.
Ses réponses en monosyllabes me rendaient confus. Voulait-il écourter le dialogue où était-ce sa manière de parler à quelqu'un avec qui il n'était pas familier ?
– Vous êtes un Shadowman chasseur comme le professeur où… un Classé ?
– Chasseur.
– Ah je vois… et… désolé de vous le demander mais, si ce n'est pas indiscret, avez-vous déjà rencontré le Roi Doré ?
Gaunt marqua un temps de pause, comme je l'imaginais pour une question de cette envergure. J'entendis un grognement reconnaissable, et mon regard se porta vers Mordo qui avait soulevé son chapeau noir.
– C'est un conseil de vieux petit… évite de parler du Roi Doré comme ça… ça pourrait te coûter des membres… où la vie.
Sans en dire davantage, Mordo laissa retomber son chapeau, ne me laissant que le silence comme compagnon. Le mutisme de Gaunt se prolongea assez longtemps pour que je décide de mettre fin à sa réticence par moi même.
– Laissez tomber… j'aurais pas dû poser ce genre de question.
Gaunt hocha simplement la tête, avant que son regard ne se porte vers l'horizon. Sans penser à rien je suivis ce dernier pour apercevoir le point de lumière vu auparavant.
– Vous savez ce que c'est…? demandai-je. Une autre ville ?
– Non. C'est ce qu'on appelle un phare. Il monte, monte, jusqu'à une autre partie de la tour de Norh.
– Une autre partie ?
– La tour est un bordel architectural gamin, intervint Mordo sans bouger, la ville vers laquelle on se dirige n'est qu'un segment parmi d'autres… en prenant tel chemin à tel moment, c'est possible de se retrouver dans une inexplorée de Norh… quand bien même, ça fait des décennies que des Shadowman arpentent cet endroit.
– Je vois…
– Ouais, ajouta-t-il, le Néant Gravitique bâti d'interminables bordels… la tour de Norh, la ville de l'Horloge… même la Prison Éternelle… que des coins paumés où tu risques ta vie à chaque pas.
Mordo avait craché tous ces noms que je connaissais à peine avec tant de dégoût que je supposais déjà une mauvaise expérience dans son vécu. Lorsque j'avais appris que ma demande d'expédition avait été acceptée par un vétéran, j'ai trouvé assez curieux de voir apparaître un personnage patibulaire comme lui. Cependant, depuis maintenant trois heures à ses côtés, un peu plus de mille trois cent minutes que l'on marche et parle, je dois bien avouer que je décelais chez lui un semblant de sympathie.
Le temps continua de défiler, et je finis par imiter mon professeur et ma camarade en m'allongeant sur le tapis d'herbes. Gaunt seul était resté assis, les jambes croisées. À défaut d'être simplement immobile, le Shadowman se mit alors à lire son livre à lui. Je continuais de le regarder du coin de l'œil, le sommeil ne venant pas.
J'avais compris que Mordo était capable de créer du feu, c'était inscrit dans son livre. Sûrement y avait-il d'autres choses écrites dedans, mais vu leur importance, je doutais qu'il partage quoique ce soit à ce sujet.
Gaunt lui, semblait contempler le contenu de son livre à lui, sûrement des informations sur des choses qui le concernait.
Mon livre à moi était encore vierge. Je n'avais aucune expérience en dehors de la citadelles d'Hirwimd, en conséquence, aucune chance de croiser ni d'expérimenter quoique ce soit qui puisse en remplir les pages.
Sûrement était-ce le cas de Katherine également. J'étais assez certain qu'elle vienne d'un Royaume, ces lieux immenses n'ayant rien à voir avec les Citadelles. Il était fort possible que la vie là bas soit plus simple, ou du moins, pas aussi cruelle, d'où son dégoût pour les cadavres.
– Hey les jeunes. Debout. Interrogation surprise.
La voix quasi caverneuse de Mordo le fit tressaillir. Je faillis percuter le brasier dans la précipitation, mais je parvins à me redresser un tant soit peu correctement.
Katherine qui s'était assoupi se réveilla en sursaut, prenant déjà une expression de peur.
Sans montrer une once d'empathie pour nous avoir surpris de la sorte, Mordo poursuivit :
– Y a un truc très important que vous devez apprendre en tant que Shadowman…
Il toucha son nez, son front puis son oreille, jetant des regards énigmatique vers nous.
– L'instinct. C'est primordial si on veut pouvoir survivre. Alors procédons à un test.
J'ai réajusté ma position, prenant un air aussi attentif que possible. Katherine fit de son mieux pour faire de même.
– Y a quelque chose qui arrive. Moi je sais ce que c'est et d'où ça vient… avec évidemment plus de précisions que vous, et je sais si il s'agit d'un danger où non. Je sais que vous serez pas foutu de répérer la chose, mais vous devez pouvoir sentir qu'il y a un changement dans l'environnement… c'est la base.
Je suis resté stoïque, davantage concentré sur l'espace autour de moi. J'essayais de trouver quelque chose de spécial autour de moi, mais rien de particulier ne venait.
Mes yeux ont croisés ceux de Mordo qui esquissait un sourire amusé dans ma direction, conscient de mon échec. Soudain, un mouvement de la part de Katherine attira notre attention à tous les deux.
Son corps dirigé vers un endroit pointé par son doigt, elle semblait focalisée sur un point que je ne parvenait pas à discerner.
– Y a quelque chose là bas…? dis-je plus pour me convaincre moi-même.
Jusqu'ici assez passive, Katherine n'avait pas montrée de réelles compétences dans un quelconque domaine. Bien que je n'ai moi non plus, pas encore pu briller dans autre chose que le maniement de l'épée - bien futile à l'heure actuelle j'en conviens - j'estimais mon mental d'acier comme étant une preuve de compétences supérieures aux siennes.
– Elle est forte… argumenta soudain Gaunt.
J'ai cligné des yeux, avant de m'assurer auprès du professeur si ce que j'avais entendu de la bouche de son camarade signifiait bien ce que j'imaginais. Mordo hocha simplement la tête, me laissant mordre mes lèvres sidéré.
– Son était intérieur favorise l'efficacité de son instinct. ajouta Gaunt.
– C'es-c'est à dire ?
– Elle a peur, répondit Mordo, alors son instinct est bien plus affûté que le tiens. En particulier pour déceler les menaces qui lui seront mortelles.
J'ai fixé encore hébété Katherine, qui, assise en position de recul, prête à fuir à reculons, fixait toujours l'horizon maritime. Je ne ressentais toujours rien. Pas de danger. Pas de changements dans l'atmosphère. Juste le bruit des vagues.
– Soit patient… ça arrive. me lança Mordo.
Au bout d'un moment, une forme émergea de la brume. À son approche, je pu entendre les bruits de l'eau déplacée par le petit bateau qui se dirigeait vers notre plateforme.
Des individus de toutes sortes étaient à son bord. Environ une quinzaine. Pas seulement des Shadowman où Shadowoman, mais aussi des Valkins. Un de ces nains de tenait à l'arrière du bateau, où un dispositif sous la forme d'une pierre lumineuse, permettait la poussée du navire.
Des chaînes noires attachées au bateau traînaient un corps massif en grande partie immergé. Je n'avais aucune idée du genre de veilleur que c'était, moi qui n'en avait jamais vu de marins. Néanmoins, je pouvais dire sans peine que c'était le plus gros spécimen que j'ai jamais vu. Son corps énorme laissait paraître, même sous la surface, une ombre large imposante.
Un sifflement de Mordo me surpris, alors qu'il contemplait la créature sûrement morte.
– Pas mal… beau veilleur.
Le bateau s'immobilisa à côté de la plateforme, et un Valkins se plaça au bord du navire. Son large sourire adressé à Mordo accompagnait parfaitement son nez épais et ses joues gonflées. Il avait une allure patibulaire, et un air presque pathétique. Cependant, je préfèrerais laisser mes préjugés de côté. Les Valkins n'étaient pas des petites pointures, et des quelques riches dont j'avais entendu parler dans la citadelle, ces nains étaient souvent cités.
– Hey Mordo !! Encore en expédition avec des gamins ?! hela le Valkins d'un air joyeux.
– La routine, vieille carcasse ! Et toi Hudïn ? T'as encore eu une bonne prise on dirait !
– Et comment ! C'est un gros celui-ci !
Pendant que ces deux là se parlaient, je voyais de temps à autre plus exactement le corps du veilleur mort. Les mouvements de l'eau révélaient parfois une plus grande surface de la créature, laissant apparaître des entailles que jamais auparavant je n'avais vu.
C'était si grand que je pouvais aisément m'y glisser pour aller sonder les entrailles du veilleur.
Katherine elle, semblait toujours apeurée, mais son regard n'était pas porté sur la créature, non. Suivant ses yeux, je suis tombé sur quelqu'un assis sur le côté du navire, dos tourné. Ses longs cheveux blancs pur tombant sur ses épaules, et une tresse enroulée autour de la tête, elle arborait une veste déchirée à ses extrémités, et portait une sorte d'armure en argent en dessous.
– Je constate que Varssa est toujours en forme. lança soudain Mordo à l'adresse de Hudïn.
Le Valkins se mit à rire et se tourna vers le membres du navire.
– Fais un petit coucou à Mordo et Gaunt, Varsa ! pressa-t-il à l'adresse de la concernée.
La personne aux cheveux blancs que j'observais de dos, à alors tournée la tête un court instant. Le temps de faire un signe de main au professeur et son camarade.
Sa peau grise parcourue de cavités, ses yeux d'un bleu étrange ! Je ne connaissais que peu cette race, mais je savais en reconnaître une membre.
C'est une Nyr !
Recevant amicalement le signe de la dénommée Varsa, Mordo continua :
– Mais qu'est-ce que tu fous par ici Hudïn ? C'est bientôt la quatrième heure mon vieux !
– T'inquiètes ! Avec Varsa on tiendrait un siège ! Je dois envoyer un de mes gars pour aller prévenir Madame. Oublie pas qu'avec elle, les veilleurs ça rapporte gros !
J'ai froncé les sourcils à la mention du mot siège, mais ce n'est qu'après que j'ai réalisé à quel point cet évènement était sérieux. Ça n'a rendu plus tard Varsa que plus incroyable dans mon esprit.
En parallèle, un Valkins sauta du navire à la plateforme et prit le chemin que nous avions prit. Il disparut rapidement dans le couloir obscur, me collant un léger frisson dans la moelle épinière.
Au même moment, le feu, que j'avais oublié, rétréci brusquement. Après une décroissance constante et rapide, il finit même par s'éteindre. Mordo prit ceci pour un signal, et se leva. Gaunt fit de même alors que Katherine regardait avec nostalgie le brasier mort, tandis qu'elle se relevait tel une fuyarde.
– Je te laisse Hudïn ! Notre pause est finie, j'ai ces deux gosses à ramener à la ville !
– Je te conseille de presser le pas mon gars ! Avec la hausse des décès à cause de la guerre, lors de la quatrième heure ces derniers temps, les veilleurs sont nombreux et costauds !
– T'en fait pas pour moi le vieux. Je balancerais Gaunt si ça chauffe ! Il me rapporte pas un rond dans cette expédition !
J'entendis le Valkins éclater de rire, tandis qu'on s'éloignait rapidement, prenant la direction de l'escalier pour reprendre l'ascension.
Je reçu un coup de coude de la part de Mordo durant la montée.
– Hey, gamin. Je te conseille de pas trop prendre la confiance.
– Qu'est-ce qui vous fait croire que je ne suis pas sur les gardes professeur ?
– Y a souvent deux types de jeunots que je croise. Les réalistes et les bouffis d'assurance… la deuxième catégorie je la repère facilement quand elle vascille pas face à Varsa où Gaunt.
Je fronçais les sourcils, ayant l'impression que Mordo attendait de moi une démonstration de faiblesse.
– Je ne sais pas ce que tu t'imagines… mais quand on est inexpérimenté comme toi, c'est plutôt une bonne chose d'avoir peur… continua Mordo avec sérieux. Ton instinct est plus aiguisé…! Mais toi, il est verrouillé. Tu peux me raconter des bêtises, mais ton instinct lui ne ment jamais… sauf quand tu le bloque pour garder la tête haute…
Il finit par me dépasser, non sans ajouter d'un air grave :
– Sache que même à cloche pied et les yeux bandés quelqu'un comme Varsa pourrait te massacrer gamin… fais pas le mâle alpha quand tes capacités suivent pas, ça te coûtera la vie.
Nous avons alors poursuivi notre marche, une fois de plus dans les ténèbres les plus intenses. Pas une once de lumière pour nous guider.
On ne pouvait que suivre Mordo qui semblait toujours apte à se mouvoir même sans le moindre repère visuel. Bien que je ne soit pas toujours confiant vis-à-vis de ses compétences dans le domaine, il fallait au moins lui accorder le fait qu'il était un guide plutôt efficace dans l'obscurité.
Ses pas qu'il exagérait nous aider à le suivre au son, nous permettaient de ne pas le perdre. Il suffisait de rester sur ses talons et le tour était joué.
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