L'Expedition de Norh Chapitre 3
L'ascension dura un long moment encore, si long que j'étais même incapable de déterminer combien de temps elle à durée. Néanmoins, nous avions enfin pu voir le bout de cette montée sans fin. Une lumière aveuglante m'a brûlée les yeux quand j'entendis Mordo s'adresser à nous.
– On est arrivés les jeunes, lança Mordo, située au quatrième étage, voici la première ville de la tour de Norh !
Nous sommes sortis de l'escalier un à un, d'un pas presque pressé.Tandis que mon regard se portait en arrière, le temps que je vois enfin Gaunt émerger de l'obscurité du couloir, j'entendis la voix soulagée de Katherine.
– Enfin…! Ils vont pas y croire quand je leur dirais que j'ai réussi !
Tous deux se tenaient au bord du hall surplombant le vide. Je n'avais pas encore pu voir la ville, mais au loin, à hauteur pareille à la nôtre, je pouvais discerner une construction similaire. À celle où nous étions. C'était un grand hall pareil à celui croisé devant la plateforme au bord de la mer.
– C'est un autre hall que je vois là-bas…? demandai-je au professeur.
– Ouaip, c'est un des huit passages menant à cette ville.
Je finis par arriver au même niveau qu'eux, me permettant enfin de voir la dire ville, située bien plus bas.
C'était une vaste zone encerclée par des escaliers la reliant aux différents hall de passage. La ville était densément construite, à tel point que j'avais peine à voir les rues. Des lumières bleutées étaient visibles à travers le fenêtres des habitations, pour sûr c'était un endroit vivant. Les voix des habitants étaient audibles de là où nous étions, me donnant un étrange sentiment de paix. Voir autant de vie, bien plus que de veilleurs, me soulageait presque. Après cette longue ascension j'avais besoin de revoir un peu la société.
– C'est quoi cette tour ? interrogea soudain Katherine.
Son doigt pointa un grand bâtiment trônant au centre de la ville. Les habitations de deux étages faisaient pâle figure face à cet édifice qui en faisait sûrement cinq voire six.
– C'est l'administration… là où on doit se rendre. Là-bas, mon job sera fini. lança fièrement Mordo l'air pressé de se débarrasser de nous.
– Mais si on est quasiment déjà en ville on risque plus rien non ? On peut prendre la route nous-mêmes si ce n'est que ça,. dis-je intrigué.
Le poing de Mordo atterrit brusquement sur ma tête.
– Petit con. Tu crois vraiment que parce que c'est peuplé y a pas de veilleur ? Ils peuvent aller jusque là-bas si jamais les chasseurs de garde arrivent pas à les tuer. Et je te rappelle que vous pouvez très bien vous faire kidnapper où tuer même en ville, alors faites pas les imbéciles. Je dois vous ramener entier, compris ?
Tandis que je me remémorait le corps de mes anciens camarades d'expédition, j'ai hoché la tête, évitant le regard sombre de Mordo qui finit par se tourner, interpellé par quelque chose. Mes yeux le suivirent alors que son corps se retournait complètement, pour faire face à la scène.
Gaunt brandissait une de ses deux épées de Chevalier, sur ses gardes, tandis qu'une brume d'Essence rampait en dehors de l'escalier. Des pas lourds résonnaient, de plus en plus proches. Ce n'est qu'à ce moment-là que mon attention remarqua les tremblements qui s'étaient déjà emparés de Katherine.
– Quelque chose approche. déclara le Shadowman sur le qui-vive.
Katherine se mit à reculer, en même temps que moi, après s'être dégagée de la paralysante peur qui bloquait ses mouvements. Le sol sous nos pieds tremblait doucement. Mordo dégaina vite son arme de Chevalier, qui apparut dans ses mains.
J'attendais avec anxiété, de voir ce qui allait sortir du couloir, quand le veilleur émergea enfin de l'ombre. Il était grand. Immense même. Un frêle soldat en armure, portant une longue épée sur son épaule, si grande qu'elle pouvait nous faucher nous quatre d'un swing.
Il marcha jusqu'à nous d'un pas lent et puissant, faisant trembler le sol à chaque mouvement. Il laissa tomber son bras, frappant du sol son immense arme dont le fer claqua avec force.
– Il est gros ce con…! grogna Mordo.
Il tint son énorme épée d'une seule main et alla saisir son livre rangé à sa taille. Continuant de pointer son arme, le professeur ouvrit ce dernier qu'il soutenait dans la paume de sa main.
– Voilà le genre de veilleur qui peut sortir de la brume d'Essence les jeunes ! cria-t-il à notre adresse.
Au même moment, son arme de Chevalier scintilla intensément au niveau de la pointe. Brusquement, un jet de lumière bleuté vint traverser l'ensemble du hall, allant exploser contre le mur au dessus de la sortie de l'escalier.
C'était digne d'une arme de chevalier ! Une puissance qui dépasse allègrement le bâton de fer aiguisé me servant d'épée.
Les gravats pleuvaient sur le sol, une poussière abondante couvrait le veilleur, m'empêchant de voir si ce dernier avait succombé ou non.
Des tremblements vinrent faire trembler de nouveau le sol, mais un frisson me parcouru quand je compris qu'ils venaient de plus loin. D'autres veilleur d'acabit similaire au géant de métal se tenant devant nous étaient en approche.
Katherine et moi même étions sur le qui-vive, tendu pour ma part, et tétanisée du côté de ma camarade. Les petits soldats auxquels nous avions à faire auparavant étaient déjà des menaces pour nous, capable de nous tuer en cas d'inattention, alors des colosses de ce styles n'étaient clairement pas de notre niveau.
Le cratère béant créé par le tir de lumière de l'arme de Mordo émergea, une fois la fumée partiellement dissipée. Avec lui, réapparut le soldat en armure géant, avec un bras et une partie de son corps en moins. Il dégoulinait de lui une cascade de sang bleuté relâchant des vapeurs d'essence, et si il s'agissait d'un Shadowman, je n'aurais eu aucun doute sur sa mort. Cependant, c'était un veilleur, et Mordo nous l'avait appris : les veilleurs se régénèrent.
L'endroit où se trouvait son cœur ayant été épargné par le tir, il était en mesure de survivre, et de recouvrir ses parties perdues.
De l'essence sous forme de fumée aux nuances bleuâtres vint recréer son corps détruit. Le soldat géant n'attendit cependant pas une restauration complète pour se remettre en mouvement.
– D'autres arrivent Mordo, je te laisse celui-ci, déclara soudain Gaunt.
Tout en prévenant le professeur, il s'était muni de sa deuxième arme de chevalier, une épée rouge sombre de longueur moyenne.
– Compris. Évite de clamser okay ?
Gaunt ne répondit rien et courut jusqu'à l'entrée de l'escalier. Le soldat géant le laissa passer sans broncher, davantage concentré sur Mordo qui l'avait endommagé.
Au même moment, d'autres frêles soldats en armure de plusieurs mètres de haut ont alors émergés, tous munis de leur grandes épées.
Cependant, au milieu de ce groupe de géant, se trouvait un autre, un peu moins grand mais beaucoup plus large. De couleur noire parsemée de gravures étincelant de lumière verdâtres, il se mouvait maladroitement, un gigantesque hachoir posée sur son épaule. Son casque de soldat était bardé de trous, desquels s'échappaient une fumée verte et sombre.
Avant même que Mordo ne lance ses avertissements, j'entendis Katherine lancer un petit cri de terreur, étouffé par sa peur viscérale. L'imposant soldat au hachoir n'était pas un veilleur du même acabit que les soldats géants à ses côtés.
– Changements de plan les gamins ! Vous filez d'ici y a plus rien à voir c'est trop dangereux ! cria Mordo avec exaspération.
Je sentais dans la voix du professeur cette forme de crainte sous jacente qui n'annoncait rien de bon. Même avec un veilleur de presque dix mètres en face, il avait les yeux rivés sur le nouveau venu. Si l'inquiétude me passait au-dessus de la tête jusqu'ici, voir Mordo concerné de la sorte me rendait nerveux.
– Qu'est-ce qui se passe ?! C'est quoi ce veilleur ?! ai-je crié.
En parallèle, Gaunt avait atteint la troupe sortant de l'escalier, et activa sans attendre ses armes de Chevalier. Son épée rouge était prise de fractures multiples, comme si elle se consumait de l'intérieur. L'autre, une épée bleu-vert aux formes zigzaguant, se mit à briller intensément.
– Les grands c'est une chose, mais l'autre avec son hachoir c'est un dangereux ! Plus il reste en vie longtemps plus il peut répandre un poison d'une violence inouïe ! répondit Mordo précipitamment. Maintenant dégagez de là ! Descendez en ville, je m'occupe de l'autre et je vous rejoins !
Katherine, contrairement à moi qui hésitait, ne perdit par une seconde pour engager la descente. Je vis, avant qu'un second tir de Mordo ne me voile la vue, l'épée en zigzag de Gaunt s'allonger comme un fouet jusqu'à s'enrouler autour de lui tel un serpent géant.
La seconde explosion causée par Mordo fut pour moi le signal qu'il était temps d'y aller. Des cris de bataille venant de Mordo étaient audibles même depuis les escaliers. Le bruit du métal fracassé contre du métal résonnait dans mes tympans.
Mes jambes semblaient favorables à l'idée de filer d'ici, et chacun de mes pas précipité me portait deux marches plus bas. J'ai alors croisé sur le chemin Katherine qui regardait au bord de l'escalier, la ville plus bas. Elle donnait l'impression de voir la mort lui arriver dessus, de ses yeux livides, son teint pâle et sa bouche grande ouverte.
Tout en ralentissant brusquement, je pris quelques instants pour voir aussi ce qu'elle contemplait, avant de m'arrêter définitivement.
Le chaos.
C'était ce que je voyais arriver sur la ville.
Depuis les sept autres Hall menant à celle-ci, une abondante brume d'Essence venait telle une tempête. Au milieu de ces remous luminescent, des veilleurs massifs, grands et nombreux approchaient.
Il y avait des soldats géants comme ceux plus haut, mais aussi d'autres de ces guerriers porteurs de poisons. En plus de ces deux types de veilleurs venaient s'ajouter d'autres que je n'avais encore jamais vu.
D'immenses vautours s'échappaient des Hall en hurlant. Ils survolaient la ville, couvrant de leur ombre les bâtiments plus bas. Des êtres d'un blanc livide semblables à des chevaux dévalaient les escaliers avec d'autres encore tous aussi étranges que terrifiant.
Katherine recula, la main sur la bouche, encore sous le choc.
– C'est pas possible…! On peut pas aller là-bas…!! On peut aller nulle part !
J'étais tenté de la contredire mais c'était impossible. La ville subissait un assaut de tous les fronts. Bâtie comme elle était, c'était comme si tous les habitants étaient pris dans un piège.
Je vis alors une énorme tête de soldat voltiger et tomber, puis une explosion plus haut souffler des débris au-dessus de nos têtes. Avant que ne réalise ce qui se passe, je me suis alors retrouvé dans l'étreinte du vide, fixant avant confusion la rue coincée entre deux bâtiments plus bas.
Je n'eus que le temps de comprendre que j'étais en chute libre, avant qu'une main ne saisisse mon vêtement par derrière.
Le vent me giflait violemment la figure, ébouriffant mes cheveux avec violence alors que ma chute ralentissait. Ma tête pu se lever un court instant, me laissant tout juste l'occasion d'apercevoir Mordo au-dessus de moi.
Katherine tenue par son autre main, il planait au-dessus de la rue. On se déplaçait à vive allure, comme si on volait.
Le sol se rapprocha rapidement, de sorte qu'en quelques secondes, je pus poser mes pieds à terre, en même temps que Katherine. Mordo atterrit quelques mètres plus loin, sous l'effet de l'inertie, et se retourna d'un air grave vers nous.
En un instant, il effaça l'écart entre nous en un battements de cils, me saisissant moi et Katherine par le coup avant de nous approcher de lui.
Ses yeux furetaient de tous les côtés. Des bruits de destructions, de gravats s'écrasant au sol et d'autres cris de bataille résonnaient dans un flot continu. C'était un bordel sans nom qui se profilait autour de nous, et la voix incisive de Mordo nous le dit comprendre.
– Écoutez-moi bien les morveux, je le dirais qu'une seule fois : La situation prend une tournure imprévue et vous allez faire face à une quatrième heure particulièrement violente. Quand je vous dis un truc vous obéissez et réagissez à la seconde près, pas de concession.
Il nous lâcha brusquement, me laissant avec une douleur à l'épaule et au cou. J'avais l'impression qu'à la place de son bras une masse de métal s'était posée sur moi.
Mordo se mit ensuite en mouvement, marchant à vive allure.
– Suivez-moi ! Je vais nous créer un chemin !
Moi et Katherine nous sommes alors mis à courir, suivant à la trace un Mordo beaucoup moins détendu qu'auparavant.
Autour de nous c'était la guerre, si je puis dire. Des corbeaux géants volaient au-dessus de nos têtes, poursuivis par des chasseurs Shadowman qui sautaient de toits en toits.
Alors qu'on courait pour garder une certaine proximité avec le professeur, je voyais les rues étroites s'animer de plus en plus.
Des shadowboy et shadowgirl sortaient des diverses habitations et boutiques précipitamment. Munis de leurs armes, ils empruntaient les divers escaliers placés près de tous les bâtiments pour atteindre le toit de ces derniers.
D'autres sortaient par les fenêtres et autres balcons, des lances longues en main, pour s'occuper de gérer à distance les ennemis.
Katherine était bien plus vive que moi, et dans l'agitation générale elle slalomait habilement entre les passants pris de frénésie. Mordo n'hésitait pas à pousser tous ceux sur son chemin, qui continuaient néanmoins leur route, comme si une telle brutalité était normale.
Je pris de la vitesse pour me rapprocher de lui, poussant également ceux sur le passage, comme lui, mais ma force était vraisemblablement inférieure à la sienne. À chaque bousculade j'avais l'impression de rencontrer des colosses confinés dans des corps frêles.
La foule se densifiait petit à petit de telle sorte que je faillis perdre de vue le professeur. J'avais le souffle presque court à force de perdre du temps à éviter les gens trop forts pour que je les écarte moi même.
Les bruits d'explosions s'étaient eux aussi intensifiés, et très vite, j'aperçus les premiers veilleurs terrestres envahir les rues derrière moi.
Katherine apparue brièvement dans mon champ de vision, courant comme une sprinteuse au bord du chemin. J'ai serré sur la gauche pour la rejoindre mais le temps de contourner un shadowboy me barrant la route, elle finit par me distancer.
Mordo était encore discernable de son épée bien trop grande perchée dans dos, mais plus l'agitation augmentait plus c'était difficile de le suivre.
Les premiers bruits de combats proches retentirent alors dans mon dos, me faisant frissonner d'effroi. L'inquiétude ne m'avait jamais étreinte jusqu'ici, mais dans une situation pareille je n'étais définitivement plus en confiance.
– Dispersez-vous !! hurla une voix derrière. Préparez la formation d'attaque !
– Tous vers les bâtiments ! Go go go !!
Les voix fusaient comme des rugissements dans mes oreilles, puissantes et autoritaires. Mon regard se porta vers l'arrière, me laissant voir les véritables compétences d'un chasseur.
La foule si compacte s'est dispersée dans un mouvement de masse coordonné. Des corps ont bondi vers les bâtiments et très vite, les différents chasseurs ont sautés de paroi en paroi, avec une agilité bluffante. Ils semblaient presque marcher sur les murs tant ça leur était aisé.
En quelques secondes la rue s'est vidée, me laissant alors contempler avec horreur les veilleurs chevaux blancs pâle galoper dans les rues. Ils étaient si grands. Si puissant. Leurs sortes de sabots battaient le sol en pierre avec furie, et leur tête allongée sertie de quatre paires d'yeux dévisageait tous les chasseurs déjà sur les hauteurs.
– Putain !! criai-je.
J'étais le seul encore sur la route et devant moi, bien plus loin, se trouvait Mordo qui ne cessait de creuser l'écart.
Une armée de quadrupèdes blancs envahirent alors la rue, et très vite les premiers chasseurs lancèrent l'offensive depuis les airs.
J'ai accéléré, fixant Mordo presque volatilisé, tentant de puiser dans mes forces, celles que je possédais, et celles que je désirais posséder. Les Shadowman étaient capables de déployer une force inouïe, alors j'en étais forcément capable moi aussi.
Mes jambes fatiguées de courir se renforçaient rapidement et ma respiration se régulait à toute vitesse. Je sentais le vent me fouetter le visage bien plus vite qu'auparavant, mon corps se mouvait plus aisément !
Mordo ne me paraissait plus si loin désormais ! J'ai continué de prendre de la vitesse, pris d'un regain de confiance.
À l'arrière, j'entendais des cris fuser de partout. C'était une spectacle sonore insupportable tant je n'y étais pas familier, et très vite, le désir de voir comment se déroulait l'escarmouche me fit tourner la tête.
Sûrement n'aurais-je pas dû… ou du moins pas à cet instant précis.
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