La Brume, le Frimas et la Fumée

4 minutes de lecture

Le bruit d’une bougie soufflée. Dans les cendres d’une feue lumière, une voix vaporeuse sans histoire ni langue.

Elle s’élève petite, buée en guise d’yeux et doigts de fumerolles dans un monde flou et informe.

La petite chose ressent peu, surtout la faim et les aiguilles glacées ARRÊTEZ ÇA

Le tout n’est que thrène. Un cri de détresse, lorsque je nais. Sons étouffés ; comme dans le ventre de maman. L’air fait mal fait mal il pique Des cris d’enfant je crie AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH Arrête  arrête  arrête  ARRÊTE  Arrête la douleur j’ai mal ARRÊTE ÇA AAAAAAAAAAAH

Sois silencieux sois doux sois le ventre de Maman où es-tu maman j’ai faim maman j’ai mal

gris gris froid et glacé et les aiguilles et l’air fait trop mal donc j’ai arrêté de respirer. Serre-moi maman

Où est maman ?

À travers les boucles de la brume, à travers ses doigts de fumée squelettiques, je sens. Les contours brouillés des arbres flottants offrant cruellement leurs doigts-mamans, comme pour me toucher, me faire sentir le toucher, aider à me prétendre en vie.

Ils ne m’atteignent jamais. Car les morts sont morts. Et affamés.

Toucher toucher toucher les confus Serrez-moi serrez-moi serrez-moi s’il vous plaît

Mais les immuables échappent à son contact. Ils s’enfuient ; leur âme reste en arrière. Vole de la sylve vers la vorace non-bouche.

Pas câlin ça

Mange mange mange

Petit manger

Encore faim

Ça veut jouer. Voir les enfants. Les enfants veineux et palpitants. On joue ! Ensemble ! Unis dans le flanc chaud-douillet.

Je suis les sons de la berceuse de maman je veux dormir mais je ne peux pas dans ses bras mais je ne peux pas t’es pas ma maman c’est pas moi dans tes bras

Le pas-moi dort tout rose je touche son front ton front à travers la fumée et tu me vois

Viens jouer ta maman crie ça fait mal viens on part oublie ta maman elle t’aime pas bleu et c’est pas ma maman

Viens jouer ça fait mal je sais fait froid je sais on devrait trouver maman il fait seul et froid on va se blottir contre les lueurs rosées elles sont douces et tièdes

Celle-là sait marcher elle pourra peut-être distancer la douleur le mal les aiguilles glacées je ferme ses yeux et ensemble pas moins gelés affamés endoloris

Plus aideront peut-être

Mes nombreuses voix sourdes pleurent et faim pour la pâle chaleur de nos amis fais-moi un câlin fais-moi un câlin fais-moi un câlin un rire comme une étoile piquante viens derrière le voile muet joue avec moi faim faim faim

Toi petit toi pourquoi tu pleures pleur c’est triste pas triste je mange ta triste regarde ! Viens jouer maintenant ! Pas triste tu vois ? vois…? vois…

vois

Le repos lent. Le gris grandissant. La brume enrobante.

Nos têtes nombreuses s’amassent comme une forêt une montagne. Souviens-toi du doux chaton Souviens-toi de la lumière à quoi elle ressemblait On appelle maman mais on chuchote du silence Le monde muet le monde coton le monde fumée C’est froid on le déteste L’air-glace pique on le tapera on le piquera on s’assemble pointus et on pousse on pousse on pousse on est nombreux pomponneux et blessants et blessés et

AAAAAAAAAAAAAAAAH

[Elles observent, les veines pulsantes, accusatrices. Pulsent dans notre vide, dans notre tête.]

Nous prétendons nous dresser et marcher prétendons respirer et voir et toucher et ne pas souffrir Nous suivons les étincelles de chaleur les dévorons sitôt nées Viens jouer Où est maman Les mamans disent des sons sans nous caresser et les mains chaudes s’approchent mais nous ne ressentons rien à travers l’omniprésence d’aiguilles glacées Nous croyons qu’elles nous enlacent ou nous poussent ou nous transpercent mais les aiguilles glacées emplissent tous nos ressentis et nous les pierres brumeuses craquées   Et nous grandissons

nous grandissons

nous grandissons

La faim aussi

Des échos troubles immergés pleurent dans le froid flou. Une grise tristesse distordue veut jouer Veut jouer jouer jouer. Veut maman maman maman

Des formes m’envoient des ploc ploc. Trop loin trop gros peux pas sentir le chaud elles sont vives elles font ploc ploc je veux jouer pourquoi vous courez

J’ai faim les lueurs douces nous donnent envie de les manger s’il vous plaît venez jouer pourquoi elles s’éteignent toujours et pourquoi les pleurs et pourquoi les cris alors que c’est moi qui ai mal

Une épine pointue perçante empoisonnée traverse les aiguilles glacées et AAAAAAAAAAAAAH  ça nous fait mal ça nous fait mal ça nous fait mal la brûlure froide

elle tue     ARH

elle tue

       AH          elle tue        AARG

RAH

elle nous tue

une lumière blanche perce la brume

enfin

  enfin

      ENFIN elles nous touchent

  des mains nous touchent

     nous sentons les mains

       des mains maman ?

         Il y a une boule de larmes dans mon ventre. Elle s’envole nourrir les nuages. Quelqu’un a dû pleurer parce que l’air est triste et humide.

des dents mordent notre bruine

Faim aussi ?           Aaaaaaaaa !

La noirceur se resserre et s’approche et nous enserre et dévore le monde et tout s’éteint et j’ai peur

nos petits bras volutes tiennent nos petits bras volutes

mais la tempête souffle nos flammèches

Ils nous laissent   Plus de nous, jamais    Ils crient, plus de faim, jamais

Les étincelles s’écendrent   elles nous quittent   elles nous quittent   elles nous quittent   elles nous quittent   elles nous quittent   elles nous quittent   elles nous quittent   elles nous quittent   elles nous quittent   elles nous quittent   elles nous quittent

elles me quittent.

tout petit essouffle

tout seul et froid et blessé et affamé et

           AH

ça fait si mal…

  pourquoi…

Maman...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Gaëlle N. Harper ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0