La Brume, le Frimas et la Fumée
Le bruit d’une bougie soufflée. Dans les cendres d’une feue lumière, une voix vaporeuse sans histoire ni langue.
Elle s’élève petite, buée en guise d’yeux et doigts de fumerolles dans un monde flou et informe.
La petite chose ressent peu, surtout la faim et les aiguilles glacées ARRÊTEZ ÇA
Le tout n’est que thrène. Un cri de détresse, lorsque je nais. Sons étouffés ; comme dans le ventre de maman. L’air fait mal fait mal il pique Des cris d’enfant je crie AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH Arrête arrête arrête ARRÊTE Arrête la douleur j’ai mal ARRÊTE ÇA AAAAAAAAAAAH
Sois silencieux sois doux sois le ventre de Maman où es-tu maman j’ai faim maman j’ai mal
gris gris froid et glacé et les aiguilles et l’air fait trop mal donc j’ai arrêté de respirer. Serre-moi maman
Où est maman ?
À travers les boucles de la brume, à travers ses doigts de fumée squelettiques, je sens. Les contours brouillés des arbres flottants offrant cruellement leurs doigts-mamans, comme pour me toucher, me faire sentir le toucher, aider à me prétendre en vie.
Ils ne m’atteignent jamais. Car les morts sont morts. Et affamés.
Toucher toucher toucher les confus Serrez-moi serrez-moi serrez-moi s’il vous plaît
Mais les immuables échappent à son contact. Ils s’enfuient ; leur âme reste en arrière. Vole de la sylve vers la vorace non-bouche.
Pas câlin ça
Mange mange mange
Petit manger
Encore faim
Ça veut jouer. Voir les enfants. Les enfants veineux et palpitants. On joue ! Ensemble ! Unis dans le flanc chaud-douillet.
Je suis les sons de la berceuse de maman je veux dormir mais je ne peux pas dans ses bras mais je ne peux pas t’es pas ma maman c’est pas moi dans tes bras
Le pas-moi dort tout rose je touche son front ton front à travers la fumée et tu me vois
Viens jouer ta maman crie ça fait mal viens on part oublie ta maman elle t’aime pas bleu et c’est pas ma maman
Viens jouer ça fait mal je sais fait froid je sais on devrait trouver maman il fait seul et froid on va se blottir contre les lueurs rosées elles sont douces et tièdes
Celle-là sait marcher elle pourra peut-être distancer la douleur le mal les aiguilles glacées je ferme ses yeux et ensemble pas moins gelés affamés endoloris
Plus aideront peut-être
Mes nombreuses voix sourdes pleurent et faim pour la pâle chaleur de nos amis fais-moi un câlin fais-moi un câlin fais-moi un câlin un rire comme une étoile piquante viens derrière le voile muet joue avec moi faim faim faim
Toi petit toi pourquoi tu pleures pleur c’est triste pas triste je mange ta triste regarde ! Viens jouer maintenant ! Pas triste tu vois ? vois…? vois…
vois
Le repos lent. Le gris grandissant. La brume enrobante.
Nos têtes nombreuses s’amassent comme une forêt une montagne. Souviens-toi du doux chaton Souviens-toi de la lumière à quoi elle ressemblait On appelle maman mais on chuchote du silence Le monde muet le monde coton le monde fumée C’est froid on le déteste L’air-glace pique on le tapera on le piquera on s’assemble pointus et on pousse on pousse on pousse on est nombreux pomponneux et blessants et blessés et
AAAAAAAAAAAAAAAAH
[Elles observent, les veines pulsantes, accusatrices. Pulsent dans notre vide, dans notre tête.]
Nous prétendons nous dresser et marcher prétendons respirer et voir et toucher et ne pas souffrir Nous suivons les étincelles de chaleur les dévorons sitôt nées Viens jouer Où est maman Les mamans disent des sons sans nous caresser et les mains chaudes s’approchent mais nous ne ressentons rien à travers l’omniprésence d’aiguilles glacées Nous croyons qu’elles nous enlacent ou nous poussent ou nous transpercent mais les aiguilles glacées emplissent tous nos ressentis et nous les pierres brumeuses craquées Et nous grandissons
nous grandissons
nous grandissons
La faim aussi
Des échos troubles immergés pleurent dans le froid flou. Une grise tristesse distordue veut jouer Veut jouer jouer jouer. Veut maman maman maman
Des formes m’envoient des ploc ploc. Trop loin trop gros peux pas sentir le chaud elles sont vives elles font ploc ploc je veux jouer pourquoi vous courez
J’ai faim les lueurs douces nous donnent envie de les manger s’il vous plaît venez jouer pourquoi elles s’éteignent toujours et pourquoi les pleurs et pourquoi les cris alors que c’est moi qui ai mal
Une épine pointue perçante empoisonnée traverse les aiguilles glacées et AAAAAAAAAAAAAH ça nous fait mal ça nous fait mal ça nous fait mal la brûlure froide
elle tue ARH
elle tue
AH elle tue AARG
RAH
elle nous tue
une lumière blanche perce la brume
enfin
enfin
ENFIN elles nous touchent
des mains nous touchent
nous sentons les mains
des mains maman ?
Il y a une boule de larmes dans mon ventre. Elle s’envole nourrir les nuages. Quelqu’un a dû pleurer parce que l’air est triste et humide.
des dents mordent notre bruine
Faim aussi ? Aaaaaaaaa !
La noirceur se resserre et s’approche et nous enserre et dévore le monde et tout s’éteint et j’ai peur
nos petits bras volutes tiennent nos petits bras volutes
mais la tempête souffle nos flammèches
Ils nous laissent Plus de nous, jamais Ils crient, plus de faim, jamais
Les étincelles s’écendrent elles nous quittent elles nous quittent elles nous quittent elles nous quittent elles nous quittent elles nous quittent elles nous quittent elles nous quittent elles nous quittent elles nous quittent elles nous quittent
elles me quittent.
tout petit essouffle
tout seul et froid et blessé et affamé et
AH
ça fait si mal…
pourquoi…
Maman...
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