Derrière la vitre

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Ça fait bientôt cinq jours que mon quotidien a été bouleversé. Je n’ai pas de nouvelles de mes amis depuis l’accident. Tout est arrivé si vite…

Je ne me souviens pas des détails. J’étais avec ma sœur et ma mère, on s’amusait à courir après un crabe dans le sable. C’était une belle journée. L’eau était claire. Le soleil chauffait ma peau. Il y avait beaucoup de monde avec nous, ce jour-là. L’océan grouillait de poissons qui se faufilaient entre les algues. Rien ne semblait pouvoir venir perturber ce bonheur.

Et pourtant.

En un éclair, il n’y avait plus personne. J’ai d’abord pensé que j’étais dans un rêve, mais le danger était bien réel. Un deuxième éclair. J’ai ressenti une douleur déchirante me transpercer un bras, puis le noir m’a envahi. Je me suis réveillé bien après la tempête. Le calme s’est installé, mais mon esprit n’a pas cessé d’être agité.

Tous les jours depuis, je suis emprisonné dans une espèce de paradis. Où que j’aille, je croise les mêmes têtes. A une heure précise, de la nourriture est jetée dans la cage, et mes camarades se battent pour manger. Moi, j’attends patiemment la fin de la bagarre pour pouvoir grignoter les restes dans mon coin. La douleur s’est enfin évaporée, je peux me déplacer librement. Peut-être pourrai-je bientôt me battre, moi aussi ? Mais j’ai perdu un bras lors de l’accident, je suis en désavantage.

Personne ne me ressemble ici. Je suis toujours seul. Tous ceux avec qui je vis depuis quelques jours semblent être heureux et sont toujours entourés de leurs semblables. Les petits avec les petits. Les gros avec les gros. Les féroces avec les féroces, et ceux qui le sont trop disparaissent du jour au lendemain. Seuls les timides restent cachés, mais où qu’on aille, la cage est trop petite pour s’échapper. Et même si on arrive parfois à se faire oublier derrière un rocher, les monstres n’hésitent pas à déclencher une machine de torture. Ils frappent sur les barreaux, produisant un bruit infernal qui nous fait perdre tous nos sens. D’autres crient de toutes leurs forces, et certains prennent un malin plaisir à nous suivre en courant tout autour. Ils sont tellement nombreux, on ne peut pas lutter contre eux…

Je me suis fabriqué un petit coin rien qu’à moi, où personne ne vient m’embêter. De là où je suis, je peux observer tout l’enclos, ainsi que les allées et venues de ceux qui me retiennent prisonnier. Lequel peut bien être le chef ? Même si je le savais, je ne pourrais certainement pas lui sauter dessus. Mais le fait est qu’ils se ressemblent tous, eux. Seules les couleurs et la longueur des poils varient. Chaque jour, j’en vois défiler par centaines. Et pas une fois je n’ai vu deux fois le même. Ils doivent se relayer pour nous surveiller, mais où veulent-ils qu’on aille ? Ont-ils besoin d’être autant ? Qu’ai-je jamais fait dans ma vie pour mériter tel traitement ? Poursuivre un crabe méritait-il que j’en perde un bras ? Jouer avec ma sœur était-ce si grave qu’on m’ait retiré ma famille ? Passer un après-midi à la plage devait être puni par une éternité en prison ?

La seule pensée qui m’apaise est de savoir que ma famille et mes amis ne sont pas avec moi. J’espère qu’ils ont pu s’enfuir avant l’éclair, qu’ils sont rentrés à la maison et qu’ils sont en bonne santé. Je prie pour qu’ils ne viennent pas me chercher, c’est un lieu trop dangereux. Au moins, je suis nourri.

Je tourne la tête et je sursaute. Deux yeux immenses sont rivés sur moi. Depuis combien de temps suis-je observé de la sorte ? Cependant, j’ai beau analyser son regard, je ne décèle aucune haine malsaine, ni aucune pitié, seulement de la curiosité innocente. J’ai déjà pris l’habitude d’être surveillé de près, mais c’est différent cette fois-ci. J’ai envie de savoir ce que pense celui-ci. Je veux savoir comment j’ai été amené ici, je veux comprendre pourquoi, je veux connaître qui sont tous ceux qui me tournent autour. Je me rapproche de lui petit à petit, jusqu’à n’être plus qu’à quelques centimètres. Sa main est posée sur la barrière, comme s’il voulait me toucher. Ses yeux n’ont pas bougé, ils sont toujours scrutés sur moi.

J’aimerais engager la conversation. Pouvons-nous communiquer entre nous ? Parlons-nous la même langue ? Je ne suis même pas sûr qu’il puisse m’entendre. J’écarte les bras soudainement pour me donner en spectacle, mais la réaction que j’obtiens n’est pas celle attendue. Il écarquille les yeux de surprise, et la magie a disparu.

– Maman, regarde la pieuvre ! hurle le petit garçon en pointant l’animal dans l’aquarium du doigt. C’est bizarre, elle n’a que sept bras…

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