9. Une éclaircie providentielle (Auguste Mars)

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L'automne s'installait lentement dans l'Atelier. Des pluies de feuilles enflammées tombaient dans les allées ancestrales du jardin, comme des lettres d'amour perdues, aux couleurs éteintes par les larmes du ciel. Les écrivains en herbe qui fourmillaient d'habitude dans ce haut lieu d'écriture étaient absents, obnubilés par la reprise du travail et de l'école. Ne subsistaient plus que les fantômes, qui s'amusaient à faire voleter les feuilles mortes dans un souffle glacial.

Cependant, par une journée d'octobre encore plus grise et pluvieuse que les précédentes, alors les spectres commençaient fermement à s'ennuyer, un bruit gargantuesque, comme venu du fin fond des enfers mythologiques, envahit l'Atelier, faisant trembler les arbres millénaires et les murs de pierre blanche. Les esprits effrayés bondirent derrière les troncs tremblants, se demandant quelle créature pouvait bien faire un boucan pareil. Ce n'était pourtant pas encore Halloween ?

Une silhouette apparut bientôt au bout de l'allée, et les ectoplasmes crurent d'abord que c'était un vieil homme, tant la silhouette était courbée, avant de découvrir avec stupéfaction que le fauteur de troubles était un adolescent boutonneux, aux cheveux gras et décoiffés, aux oreilles démesurées et mal lavées, à l'appareil dentaire abîmé, avec à la main un téléphone qui semblait revenir de la guerre tant son écran était fêlé. C'était cet instrument d'abrutisation des masses qui vomissait une de ces infâmes musiques aseptisées, commerciales et parfaitement insupportables venues de Corée, dont l'auditeur reprenait de façon désordonnée la mélodie, d'une voix encore en train de muer. Cette attitude totalement irrespectueuse pour cette éminente place de culture contrastait fort avec l'intérêt que portait l'adolescent pour les feuilles encore rougeoyantes des arbres et pour la finesse de l'architecture du lieu, qui lui conférait une beauté immémoriale et mélancolique.

L'adolescent en question se faisait couramment appeler Auguste, et c'était un ancien habitué de l'Atelier, mais cela faisait bien longtemps qu'il n'y était pas retourné. Pour une raison parfaitement incompréhensible, il avait préféré revenir en ce jour parfaitement calme et vide de monde plutôt que de préparer ses contrôles pourtant de plus en plus pressants et nombreux. Et il appréciait beaucoup ce retour, retrouvant avec plaisir les arbres et le bâtiment, même si il ne savait pas encore ce qu'il allait y faire. Les fantômes en revanche n'appréciaient guère cette arrivée inopportune, fulminant de colère derrière leurs arbres, mais ils n'osaient pas sortir de leur cachette tellement le vacarme était effrayant.

En regardant autour de lui, Auguste remarqua une pièce qu'il n'avait jamais vue auparavant. Intrigué, il arrêta sa musique et poussa la lourde porte de chêne qui s'ouvrit dans un grincement. C'était un bureau sombre, et si poussérieux que le jeune homme fut pris d'une violente quinte de toux, dévoilant une vieille machine à écrire cachée sous la poussière. Auguste s'approcha et lut le texte inachevé et jauni par le temps et l'abandon, qui pendait misérablement de la machine. Par la différence notable des styles d'écriture et des histoires, il comprit que c'était un texte commun, certainement commencé il y avait déjà un moment, et que personne n'avait continué depuis bien longtemps. Cela formait un ensemble assez incohérent, mais l'idée était si amusante qu'Auguste s'assit devant la machine, lança au grand malheur des fantômes une nouvelle playlist et se laissa porter par l'inspiration.

Après avoir bataillé plus d'une heure et à grand bruit contre la machine à écrire, Auguste relut son texte, satisfait, puis se leva et sortit de la pièce. La pluie avait cessé, et lorsque l'adolescent eut quitté les lieux, les fantômes poussèrent un long soupir de satisfaction, et la sérénité retomba sur l'Atelier.

~~

Dans le bureau, quelque chose commença à bouger. Le tiroir s'ouvrit, et le lutin sortit en s'étirant et en baillant. Enfin, ce jeune rustre était parti ! Son vacarme l'avait tiré du sommeil en sursaut, et il avait d'abord cru au retour de Lorenzo, avant de se rendre à l'évidence : une deuxième calamité fréquentait les murs de l'Atelier... En espérant qu'elle ne revienne pas de sitôt !

Avec tout ce boucan, il ne se rendormirait pas avant un moment... Enfin bon, il en profiterait pour jeter un oeil sur le tapuscrit. Il lut le texte de l'adolescent et soupira : on aurait dit une rédaction de 3ème, un de ces écrits ridiculement romantiques et naïfs d'adolescents, rempli de fautes d'orthographe et sans originalité.

Le lutin remarqua, juste au-dessus, une écriture manuscrite qui lui était familière. N'était-ce pas celle de la fée Klandestine ? Qu'avait-elle bien pu écrire ?

Alors qu'il lisait le poème, un rayon de soleil perça l'épaisse couche de nuages et tomba dans la pièce. Les grains de poussière voletant dans le bureau brillèrent comme des lucioles, et le feuillage des arbres s'enflamma dans le vent frais d'octobre.

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