Chapitre II — Comment Panurge fist resformer la gastroneaumie des selphes-servyces
Panurge estoit nommez Ministre de l'Esducation, et resflechissoit a la maniesre de ne plus devoir y despenser un rond. « Que mangeoient les estudians de France ? intesrogea-t-il un des interessez.
— Hé miladzou ! respondit l'autre. Nous festoyons a grands renfors de poulardes, lesquelles nous glissons entre deux épaisses tranches de pain blanc ; nous aimons aussi y mestre des tranches de moutons dépecés, oignons et austres sauces du lointain Orient ; nous nous enivrons d'un hydromel noir et pétillant, et nos desserts ne sont que glaces couvertes de caramel et de cette mystérieuse drogue noire qui nous venoit des Americques.
— Cela m'a l'air fort bon ! s'exclama Pentagruel. Je resquisitionne tout cela. Panurge, illustre cuisinier, charge-toi de leur trouver des plats de substitution. »
Panurge descida donc des menus que mangeroient dorenavant les escoliers, leur garantissant une alimentation plus saine et esquilibree tout en tentant de rester dans des frais convenables. Il dressa la liste des plats qui suyt :
- testiculles de sanglier a la persillade grillees a la forge pour se faisoir plus croustillantes ;
- pois chiches plus chiches que pois que cultivoient les benedictains ascetiques de la Laponie subpolaire pour leur mangeaille hebdomadaire ;
- restes de volaille mal plumee donnee aux chiens car susceptible d'avoir la gale ;
- nefles et panais ayant passé trois mois en mer ;
- sandehouiches semblables a leur anciesne ripaille mais provenans du hault seigneur Macque-d'Onalde ;
- pauvre tripaille de viperes, lezars et austres basilicques ;
- œil de bœufs et de moutons, baignant dans un ragoût d'instestins de chevre ;
- petits bouts d'Angloys hereticques à picqueter avecque un cure-dents ;
- racines de mandragore, ainsi qu'elles furent prescrites à la femme d'Abraham pour enfanter (cela causa la naissance de six mille enfançons a travers la contree) ;
- copeaux d'escorce, feuilles mortes, salades de sept ans d'aage ;
- vin rapportez de l'espocque d'Alexandre le Grand ;
- le tout assaissonnez d'un nectar de ciguë qui faisoit les delisces des sages grecs.
Ainsi mangeoient les pauvres escoliers, tandis que Pantagruel se remplissoit la panse à la romaine d'esturgeons, de dauphins, de raies mantas, de langues de flamands roses, de cuisses de paons, de gencives de cancrelats, d'orteilles de grenouilles et de fesses de licornes. Il en vinst a quemander des plats de Gascogne, de Bretagne, de Perigord, de Pas-de-Calais, de Normandie, de Picardie, de Coste-d'Azur, de Corse, de Provence, de Savoye, d'Auvergne, de Jura, de Moselle, et ce uniquement pour sa premiesre collation de la matinee. Et toute la France de s'esbaudir de posséder un roi aussi beau et gros capable de faire voler en éclats les royaumes voisins d'un simple esternuement. L'on bastit une auberge spescialement pour lui, et bien fol serait le manant qui y viendrait prendre victuailles, tant il estoit jaloux qu'il en desfendoit l'acces à toute austre quidam que luy ; au poinct que l'on nommoit l'establissement "Le Fou Quête".
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