2.

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J’emménageai un mois plus tard.

Il était environ 8 heures lorsque Simon et Julien se présentèrent devant mon ancienne adresse. Je les attendais depuis un bon moment dans ma voiture, apeuré à l’idée de sonner à la porte et de découvrir Hélène en chemise de nuit, l’odeur de cet enfoiré de Romain Martot souillant cette tenue que j’avais moi-même tant effleurée.

J’aurais pu – dû – ignorer ces détails, entrer et me concentrer sur mon fils. Lorsque je vivais encore sous ce toit, il avait l’habitude de se lever assez tôt. Peut-être dormait-il plus tard désormais, évitant ainsi de trop traîner avec son beau-père ? Peut-être aurais-je pu en profiter pour m’expliquer enfin avec Hélène ?

— Salut, me lança Simon d’un air joyeux.

Aucun doute, il était content de se trouver là malgré la météo pluvieuse du jour.

Julien m’envoya un sourire pincé sans émettre le moindre son. Pour sûr, il venait rendre service mais s’en serait bien dispensé. Peu importait, il était là.

— Salut, les gars. Désolé pour la date. Rien d’autre ne collait.

Ils acquiescèrent sans un mot. Je n’étais pas dupe. Ils étaient mes amis depuis le collège et je savais très bien qu’une partie d’eux devait se dire qu’avec tout ce fric en ma possession, je pouvais très bien m’offrir un vrai camion de déménagement. Mais je savais aussi que c’était justement parce qu’ils étaient mes amis depuis longtemps que je préférais que ce soit eux qui soient là, et non pas des inconnus qui s’immisceraient dans ma vie privée. J’en avais assez comme ça. Je n’avais donc pas eu besoin de les convaincre ni même d’expliquer mes problèmes d’emploi du temps concernant Jérémie. Un week-end sur deux en période scolaire, quelques jours pendant les vacances et deux semaines consécutives durant l’été. C’était le commun accord entre deux parents qui ne veulent que le bien de leur enfant.

— T’en fais pas, me répondit Simon. On est là. C’est tout ce qui compte.

Le connaissant, je pensai qu’il aurait voulu poser une main amicale sur mon dos ou mon épaule. Mais il retint son geste.

Je tendis la main vers la sonnette et pressai le bouton. La porte s’ouvrit moins de cinq secondes plus tard. Contrairement à ce que je m’étais imaginé, Hélène était habillée. Elle avait perdu du poids et cela se traduisait par un jean un peu trop ample. Martot, le coach sportif, avait bien su la prendre en main. J’avais tout de même réussi l’exploit de pousser ma femme à tomber dans les bras de son prof de sport. Un cliché rien que pour moi.

— Salut, Dam. T’as bonne mine.

J’ignorai sa remarque et jetai un œil par-dessus son épaule. Les quelques meubles et cartons qui m’étaient destinés étaient alignés sur quelques mètres.

— Jérémie est réveillé ? demandai-je.

— Non, il dort encore.

— Je ne l’ai pas vu depuis dix jours. J’avais au moins imaginé que tu l’aurais réveillé pour l’occasion.

Et quelle occasion ! pensai-je. Le départ officiel et définitif de papa.

— On s’est couchés tard, hier. On avait les Clément à dîner.

Les Clément. Ceux avec qui nous étions amis depuis huit ans et qui continuaient donc à se présenter comme si de rien n’était ? Avaient-ils remarqué que le nouveau maître des lieux faisait une tête et une épaule de plus que moi ?

— Ah, répondis-je. Et… il est là ?

Elle croisa les bras sous sa poitrine. Son sein droit eu comme envie de sortir de son décolleté avant de reprendre position. Quelques mois plus tôt, j’aurais profité du spectacle sans éprouver la moindre gêne.

— Tu as le droit de prononcer son prénom.

Sale con, dis-je intérieurement, fier de moi.

À vrai dire je ne voulais pas d’histoire, et ce, même si je mourrais d’envie de cracher ma haine.

J’entrai et m’approchai de ces quelques affaires disposées anarchiquement devant l’escalier. J’ouvris un carton : quelques livres, une affreuse assiette en émaux de Longwy et deux paires de chaussettes. Mais qu’est-ce que ces chaussettes pouvaient bien faire là ? Il y avait aussi des stylos en vrac et des feuilles volantes. En gros, Hélène avait posé le carton au pied de mon bureau et tout poussé dedans comme ça venait. À moins que ce ne soit son mec qui ne s’en soit chargé.

Tandis que je faisais un bref état des lieux, ma future ex-femme s’adressait à Simon et Julien comme s’ils étaient encore dans les mêmes dispositions d’amitié vis-à-vis d’elle. Elle ne semblait pas embarrassée le moins du monde. Comment pouvait-on autant se tromper sur une personne ? Julien ne réagissait pas trop. Simon, poli de nature, demeurait sur la retenue. Son rire était aussi bref que ses réponses. Contrairement aux Clément, ils avaient choisi l’autre camp, car il fallait bien admettre qu’il s’agissait de camp et de parti pris à présent.

Nous chargeâmes la camionnette de Julien en moins d’une demi-heure. Le tout sous le regard froid et évaluateur d’Hélène, surveillant nos manœuvres comme si on menaçait de la voler.

— Bon… lançai-je sur le pas de la porte, on y va.

Droite et postée comme une autruche ou je ne sais quel volatile capable de vous regarder de haut, elle resta un temps à m’observer sans rien dire. Je crus un instant qu’elle réfléchissait à tout ça. À toute notre histoire jusqu’à se retrouver dans les bras d’un sombre con aux biceps bourrés d’hormones. Mais elle se contenta d’un bref « OK ».

— Tu m’amènes Jérémie samedi prochain ?

— Bien sûr. Tu m’enverras juste ta nouvelle adresse, ajouta-t-elle en faisant rouler ses yeux.

J’avais toujours détesté cette manière qu’elle avait de signifier une chose simple. Un instant je me sentis heureux de ne plus avoir à le subir au quotidien. Puis je repensai à ses mains sur les miennes, aux petits plis de son front lorsqu’elle exprimait l’inquiétude, à l’odeur de sa nuque derrière sa cascade de cheveux. Et ça… Oui, ça me manquait.

— Je te l’envoie dans la journée.

Puis je tentai de sourire. Échec cuisant. Sa tentative ne réussit pas mieux.

— Fais attention à toi, Damien.

Et la porte claqua à moins de vingt centimètres de mon nez.

Je rejoignis ma voiture, prêt à indiquer le reste du parcours à mes compagnons (nous devions encore aller chez Ikea, Boulanger et vider l’appartement dans lequel je vivais depuis presqu’un an), lorsque je sentis une main sur mon bras.

— Elle ne doit pas se sentir mieux que toi, dit Simon. Elle ne trouve pas ses mots, c’est tout.

J’acquiesçai. Après m’être autant trompé, c’était possible. Mais une petite voix au fond de moi me soufflait le contraire. Non, Hélène savait très bien ce qu’elle faisait. Elle avait peut-être choisi le premier venu pour y parvenir, mais ce qu’elle voulait, c’était me faire mal. Me punir.

Je le méritais.

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