Merci Melchior !

8 minutes de lecture

Quelqu’un me touche. Le bras. Le visage. Je fronce les sourcils. On me parle mais mes yeux sont si lourds… Je n’ai pas envie de les ouvrir. Et puis, il y a le gros bonhomme de neige au milieu de la patinoire qui nous tend les bras. On glisse, main dans la main. Je sens le vent sur mon front. C’est froid. C’est bon. Je serre fort la main de celui qui m’accompagne. Des paillettes virevoltent autour de nous. A mes pieds, mes patins à glace ont la forme de mes escarpins Louboutin. C’est bizarre ça, quand même… Je me tourne vers mon compagnon qui n’a pas lâché ma main. Je ne vois pas vraiment son visage : Ses cheveux bruns le recouvrent en partie à cause du vent. Il me dit quelque chose que je ne comprends pas.

– Hein ?

– Amélie, ouvrez les yeux.

Mais pour quoi faire ? On est bien là, non ? Et j’ai déjà les yeux ouverts… À moins que tout cela ne soit un rêve ? Mais non, je sens sa main dans la mienne, le froid sur mon front…

– Allez, Amélie. Regardez-moi.

Je râle mais essaye de lui obéir. Mes paupières clignent. Ma vision est floue. Son visage aussi. Mais je reconnais plus ou moins les contours de ma chambre derrière lui. Mais où est passée la patinoire ? Et le bonhomme de neige ? Un élancement me fait porter la main à mon front. Un linge humide et frais y est posé. Je renifle. Je dois être hyper sexy à regarder. Cette pensée me fait ouvrir les yeux bien plus grands. Je fixe mon interlocuteur et j’espère que ce n’est pas de la bave que je sens perler aux coins de mes lèvres.

– Bonjour Amélie, vous vous souvenez de moi ?

– Vaguement…

Je ne mens qu’à moitié. Je ne sais pas si j’avais déjà vraiment vu son visage, mais si c’était le cas je mérite d’être fouettée de l’avoir oublié (et si c’est lui qui tient le fouet, ce serait encore mieux !). Ce type est-il vraiment infirmier ? Il est bâti comme un rugbyman, avec des cheveux bruns qui encadrent un visage carré en y apportant une touche de douceur. Et ses yeux… Bleus clairs, non, gris. Une couleur qu’on ne décrit que dans des romans de cul ! Je déglutis. J’ai mal à la gorge. Putain de grippe. Cependant, je suis rassurée de constater que mes pensées sont à peu près cohérentes même si elles tournent en boucle autour d’un unique sujet : Laurent.

– Je suis l’infirmier remplaçant de votre grand-mère.

– Oui, bien sûr, dis-je en me redressant dans mon lit.

Le linge de mon front tombe et Laurent le rattrape à la volée et, dans le même mouvement, applique le dos de sa main sur ma joue.

– La fièvre semble être tombée.

– Je me sens mieux.

– Menteuse.

En temps normal, je lui aurais sauté à la gorge : pour qui se prenait-il pour me traiter de menteuse ? Mais là, je me contente d’un regard étonné, à peine outré.

– Regardez vos mains : vous tremblez. Vous êtes sans doute déshydratée après la nuit que vous venez de passer. Et vous avez encore mal à la tête : vous êtes plus pâle que ce linge.

Il brandit le morceau de tissu qui couvrait mon front et se lève. Je me rends compte qu’il tenait encore ma main quand un froid inexplicable me saisit quand il la lâche.

– Ne bougez pas, je vais vous préparer une petite collation pour que vous repreniez des forces.

Je devrais dire non. Je devrais me lever, lui prouver que je vais mieux. Je devrais sortir cet Apollon de mon appartement. Mais je me contente lâchement de mater ses fesses moulées dans son jean quand il quitte ma chambre. Dès qu’il en a franchi le seuil, j’ai l’impression de pouvoir enfin respirer de nouveau à fond.

– La vache… murmuré-je pour moi-même en plaçant ma main contre ma poitrine.

Mon cœur y cogne comme un damné à une porte de prison. C’est quoi cet enfer ? Je me force à respirer à fond pour gagner en lucidité puis m’aventure à m’asseoir au bord de mon lit. J’ai une envie pressante, il va falloir que je me lève. Du bruit dans la pièce d’à côté me fait tendre l’oreille. Laurent parle, mais à qui ?

– Non, non, ça ce n’est pas une bonne idée… Mais, tu vas te faire mal… Attends...

Je me lève. Sa voix est restée douce et calme malgré le discours. Je me doute qu’il est en train de parler à Melchior. Qu’est en train de faire cet abruti de chat ?

– Non ! Ne bouge plus, j’arrive… Hé ! Aïe…

Bruit de chute. Je me dirige vers la porte en posant une main contre le mur, au cas où mes jambes n’aient pas envie de m’emmener jusqu’au bout.

– Vous allez bien ? lancé-je en pénétrant dans le séjour.

Laurent se tourne vers moi. Une guirlande électrice entoure son torse, son tee-shirt est largement déchiré et je crois voir une trace de sang en dessous. Quant au sapin, il est de nouveau à terre. Du coin de l’œil, je vois Melchior filer sous le canapé. Cette fois-ci, il sait qu’il a dépassé les bornes. Je porte une main devant ma bouche.

– Oh, mon Dieu ! C’est Melchior qui… Je suis désolée !

Je m’avance vers Laurent pour l’aider mais il est bien plus rapide que moi.

– Pas de panique, c’est juste un coup de griffe. Il s’était emmêlé dans la guirlande électrique. Asseyez-vous, je ne voudrais pas avoir à vous ramasser par terre.

– Non, mais ça va.

Il a déjà ôté la guirlande, remis le sapin debout et enlevé son tee-shirt. Je crois que j’écarquille les yeux : ce n’est pas possible d’avoir des abdos comme ça !

– OK, je m’assois…

Je préfère être dans le canapé pour ne rien louper du spectacle et éviter tout étourdissement consécutif à ma galopade cardiaque. Ce type me fait un effet de dingue. Bon, d’un autre côté, il doit faire cet effet-là à un paquet de nanas…

Je le vois appliquer une compresse imbibée d’antiseptique sur une griffure longue de vingt bons centimètres, juste sous ses pectoraux. Saleté de chat… Je ne peux retenir un petit sourire satisfait du spectacle et détourne vivement le regard quand je croise le sien. Et je rougis. Oh, punaise ! Allons, ça doit être la fièvre qui revient. Et dans la pénombre du séjour, il n’a rien dû voir.

Melchior sort prudemment de sous le canapé et me regarde pour jauger de mon énervement. Je gratte discrètement le canapé à mon côté et il comprend que je ne lui en veux pas vraiment. Il me rejoint et frotte sa tête contre ma paume.

– T’es un vilain chat, lui dis-je en le gratouillant.

Je sais, je ne suis pas convaincante du tout. Mais je donne plus ou moins le change pendant que Laurent remet son tee-shirt déchiré. Disparition des abdos du dieu grec. Quel dommage ! Merci Melchior pour ce spectacle inopiné.

Quelques minutes plus tard, un plateau atterrit devant moi, sur la table basse et Laurent regarde Melchior qui s’étale sur tout le canapé à mes côtés. Ce dernier soutient son regard, comme pour le défier de le pousser pour prendre sa place. Finalement, Laurent s’installe en face de moi, sur un pouf. Je baisse les yeux sur le plateau pour y découvrir deux bols de soupe, une omelette et quelques tranches de saucisson.

– Je me suis préparé un p’tit truc pour moi aussi, j’espère que cela ne vous ennuie pas.

– Je vous en prie, c’est le moins que je puisse vous offrir.

Là, tout de suite, je lui offrirais bien autre chose mais je ne suis pas du tout en état d’aller au bout de mes envies. La vie est injuste : la seule fois où je me trouve chez moi avec un type super sexy, c’est pour partager un bol de soupe avec lui. Vie de merde. Je soupire et attrape mon bol. Cela fait du bien de boire un peu même si ma gorge me brûle encore. Laurent pousse un verre d’eau vers moi et un comprimé blanc. Je tente de me rebiffer.

– Je vais mieux.

– Pas vraiment. Vos yeux sont brillants : je pense que la fièvre va remonter. Buvez, vous en avez besoin, et prenez un doliprane en attendant de voir si cela suffira.

Je grimace mais accepte de me soigner. Après tout, c’est lui l’infirmier. Je remarque seulement à cet instant qu’il fait toujours nuit dehors.

– Mais quelle heure est-il ?

Il regarde sa montre.

– Un peu plus de quatre heures du matin.

– Oh, mon Dieu ! Vous avez passé la nuit à travailler ?

– Non, pas vraiment. J’ai terminé vers 22 heures, un peu après être venu vérifier comment vous alliez.

– Mais… Mais vous n’êtes pas rentré chez vous ?

– Si, pour me reposer un peu. Mais je voulais repasser vous voir.

Ah si seulement il n’était pas en train de me dire qu’il voulait s’assurer que j’allais bien mais qu’il m’avouait que je lui manquais…

– Ce n’était pas la peine, vraiment.

– Ce n’est pas l’impression que j’avais.

Il y a une drôle de lueur dans son regard et je me demande à quoi il est en train de penser en finissant son omelette. Quant à moi, je ne sais pas si c’est l’effet de la soupe ou de notre conversation, mais je sens une certaine chaleur me gagner. Je m’enfonce dans les profonds coussins de mon canapé et je baille. Je vois Laurent se lever, débarrasser le plateau dans la cuisine, puis revenir vers moi. Inexplicablement, mon cœur s’emballe de nouveau et j’en tremble presque. Fièvre ? Emotion ? J’ai du mal à comprendre ce que mon corps me raconte. À tel point que je ne fais pas attention à ce que me dit mon bel infirmier.

– Hein ?

– Il faut vous recoucher.

Je me rappelle l’impression que j’ai eue dans ses bras quelques heures auparavant, quand il m’avait trouvée dans le canapé et portée dans ma chambre. Quelques détails me reviennent, entre autres ma tenue du moment. J’étais allongée sur mon canapé, en collant noir, avec mon chemisier blanc ouvert sur mon soutien-gorge à dentelles… Ouh là ! Je comprends mieux la petite lueur dans ses yeux toute à l’heure… Je devais offrir un joli spectacle dans l’état où j’étais. Je tente de ravaler ma honte et je me redresse.

– OK, j’y vais.

Mais apparemment mes jambes ne sont pas convaincues. Je vacille, me tient au canapé, arrive à faire deux ou trois pas. Soudain, Laurent est contre moi. Son bras passe dans mon dos, sa main attrape mon coude alors qu’il me soutient contre son flanc. Il sent bon. J’ai envie de m’appuyer contre lui mais je résiste. Je lance un petit « merci » à moitié étranglé (j’espère même qu’il ne l’a pas entendu) et nous avançons jusqu’à ma chambre.

Parvenus à mon lit double, de folles images tournent dans ma tête mais je les repousse : inutile de se faire mal en imaginant ce qui n’arrivera pas. J’ai déjà donné dans ce trip là, très peu pour moi. Il m’installe sous ma couette, m’empêchant de la remonter jusqu’à mon menton.

– La fièvre remonte, ne vous couvrez pas trop.

Je hoche la tête, soudain terrassée par la fatigue.

– Reposez-vous, je reste à côté.

– Mais… Non… Rentrez chez vous…

– Vous rigolez ? Si je dis à votre grand-mère toute à l’heure que je ne vous ai pas surveillée toute la nuit, je vais me faire lyncher !

Il sourit. Il est craquant. Il est là parce qu’il rend service à ma grand-mère. Il n’est pas pour moi. Mon cœur se serre dans ma poitrine. Je réussis à lui rendre un pauvre sourire.

– Allez, Amélie, dormez…

J’adore comme il prononce mon prénom. C’est doux comme une petite brise en plein été, mystérieux comme le murmure d’une cascade lointaine, prometteur comme les premières notes envoûtantes d’une symphonie inconnue. Doux comme le sera son souvenir quand le me rappellerai de cette étonnante soirée de Noël.

Annotations

Vous aimez lire Enricka Larive ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0