Déni

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Regonflé d’une détermination nouvelle, j’ai pu reprendre le cours de ma vie.

Passer du temps avec ma petite femme lors de mes rares moments calmes. Aller au sport ensemble. Retrouver une vie de jeune couple, porté par une libido nouvelle.

Neuf mois idylliques, ou presque, aux côtés de ma Line adorée. Si seulement j’avais pu m'accrocher à ça et en profiter, malgré tout, il m’arrivait parfois d’avoir des pensées pour Emeline. Imprévisibles et incontrôlables, elles perçaient dans mon esprit pour le quitter aussitôt.

Peut-être, en fin de compte, que c'était une sorte de piqûre de rappel pour s’assurer que j’avais toujours conscience du danger qu’elle représentait pour moi.

Le premier jour d’avril sonna comme une blague. La semaine avant Pâques, Renan est tombé malade. Un bon petit virus, de quoi le coucher presque une semaine. Heureusement, nos employés ont répondu à l’appel. Même ceux profitant d’un congé avant le rush s’étaient relayés pour nous prêter main forte.

Le vendredi – à deux jours de Pâques– avant l’aube, l’équipe au taquet et moi, qui n’avait pas dormi plus de trois heures, nous activions pour être fins prêts.

Les vendeuses s’affairaient à peser, emballer et étiqueter les différents moulages chocolats sortis du laboratoire. Cette année-là, aux traditionnels lapins, poules et cloches s’ajoutèrent les cœurs souriants, les chats et les cabosses magiques. La sculpture de Renan, représentant le sphinx, amenait toujours plus de monde devant notre boutique. Nous avions des commandes à ne plus savoir qu’en faire.

Pâques a toujours été le moment de l’année que je préfère, dernière festivité avant une période un peu plus calme. Mais pour l’heure, j’en avais déjà par dessus la tête, ce qui n’empecha pas ma vendeuse de m’interpeller :

— Chef, Edwin n'a pas pu venir non plus. Il vient de prévenir.

Concentré sur ma confection de pièce montée, je n’ai répondu que d’un hochement de tête et d’un sourire. Que voulait-elle que ça me fasse ? C’etait de toute façon une journée de merde. J’en avais dès lors la certitude.

— Mais, Chef, qui va livrer l’Aérion et la Forge alors ?

Les fragiles choux fourrés dans mes mains éclatèrent sous la pression que cette question ajouta à celle, déjà omniprésente, dans ma tête. Je ne me figeais pas seulement pour un problème de logistique, mais parce que mon esprit m’envoya au même instant une image furtive, mais délicieusement terrifiante, de la sirene de la Forge.

Oui, je savais que j’allais être le livreur du jour. Qui d’autre aurait pu ? Demander à mes employés, sur le pied de guerre depuis une heure du matin, de livrer en début d'après-midi ne me parut pas correct. Le week-end allait être long, eux aussi avaient besoin de repos.

Avec le recul, je me demande si ça n’était pas juste une bonne excuse.

J’allais donc la recroiser.

Madame Martinelli.

L’appeler par son patronyme était une manière de me distancer d’elle aux yeux des autres. En vérité dans ma tête, elle n’avait même plus de nom. Quand je ne pouvais m'empêcher de penser à elle, j’entendais un bruit, un souffle discret, celui que j’imaginais échapper de ses lèvres dans une extase contenue. L’interdit avait un son que je refusais d’entendre à nouveau. Je niais son existence. Dans un réflexe de protection, j'étais allé jusqu’à refuser de répondre au téléphone quand le numéro de la Forge s’affichait. Je m'étais sevré de son image.

Du moins je le croyais, qu’est-ce que j’étais naïf !

Ne subsistait que son aura sexuelle, que j’avais côtoyée quelques heures il y a presque un an.

Je n’en avais parlé à personne. Même pas à Renan.

En pénitence, quand je n'étais pas au boulot, je m’épuisais à la salle de sport, suant pour extirper cette gangrène qui infiltrait mon couple, quoique j’en dise.

Heureusement que Line n’y voyait que du feu. Pour elle, je m’évertuais à rester l’homme que j’avais promis d’être, un point c’est tout.

Et c’est ce jour-ci que la pulsion s’est ravivée. Comme si mon cœur se mettait à dérailler et que mon corps somatisait. Une étrange chaleur dans mon bas-ventre. Ce fut incontrôlable.

En pilote automatique, je travaillai d’arrache pied toute la matinée, un compte à rebours dans la tête, égrenant ces minutes, ces heures, jusqu’à ce qu'elle soit à nouveau sous mes yeux.

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