XIV
La pièce inconnue est sombre. J’ai froid. De l’autre côté du mur, je l’entends crier. La porte est scellée. Puis, l’image se floute. Je me repère difficilement. Le volume sonore de ses appels augmente. Il faut que je la rejoigne. Je m’acharne sur la poignée. Elle ne cède pas. Je redouble d’efforts. Les hurlements sont désormais alarmants. Je tambourine avec vigueur, mais les charnières refusent de rompre. Je dois la sauver, la sortir de là ! « Laura », je l’appelle. « LAURA ».
Il me faut quelques secondes avant de réaliser que je suis réveillée et en sueurs. L’écran de mon téléphone affiche 23:12. La sensation maudite et prémonitoire m’envahit. Je présage le pire. Je me lève, tremblante. L’effort dégrade ma respiration déjà allaitante. J’étouffe.
- Sarah ?
Je rentre en trombe dans sa chambre. Elle n’y est pas.
Non, non, non !
Une vague de pleurs déferle de la tête jusqu’aux pieds et mes larmes coulent abondamment. Le manque d’oxygène engourdit mon corps.
Hélène !
Je sors de l’appartement et me précipite sur le palier voisin en m’appuyant contre les murs. A l’instar de mon cauchemar, je tambourine, suppliant Hélène d’ouvrir. Quand la poignée s’actionne enfin, ce n’est pas elle, mais Christelle qui est face à moi, les yeux endormis.
Je rentre sans autorisation et j’appelle Hélène. Mon souffle douloureux limite le flot de mes paroles. Un homme en caleçon est présent, mais je n’y prête pas attention. La suite, j’en ai peu de souvenirs. J’entends juste :
- Elle fait une crise de panique. Aide-moi à l’allonger !
Ça tombe bien, mon corps me lâche. Je m’effondre et je ne dois qu’à Christelle et l’inconnu d’en sortir indemne. Mes muscles se crispent. Une main serre la mienne et Christelle murmure à mon oreille. Je ne sais pas ce qu’elle dit, mais je m’apaise.
Je n’en peux plus de porter ce fardeau. « C’est parce que tu m’as abandonné, Laura, que je suis si malheureuse. Tu n’avais pas le droit de me laisser affronter tout cela, seule ».
Je ne sais pas depuis combien de temps je suis restée allongée. Ma respiration reprend progressivement un rythme normal. Christelle, aux côtés de l’homme qui a enfilé un tee-shirt, rompt le silence.
- Hélène m’a dit que tu faisais des crises d’angoisses.
- Désolée de vous avoir réveillé, mais Sarah est en bas.
- T’inquiète, t’as bien fait ! Lui, c’est Franck mon copain.
Ses propos me surprennent. J’ai bien fait de la déranger ? Elle qui passe son temps à m’éviter… Ou peut-être, ai-je mal interprété ses intentions !
Je suis encore sonnée et je n’aurais pas dû insister sur Franck et sa surprenante présence au Domaine des Amazones durant la nuit. Le règlement des locataires le tolère-t-il ?
- On est féministe, rit Christelle accompagnée de Franck. Pas anti-mec !
- Dans ce cas là, me défends-je, il va falloir repenser le nom de l’association. Parce que dans la mythologie grecque, les Amazones haïssaient les mâles…
- Oulaaaa ! Ne dis pas ça devant Hélène ! Elle met le sujet sur le tapis à chaque réunion. Elle veut le changer en mettant en avant le terme sororité.
En parlant du loup … Hélène choisit ce moment pour faire son entrée dans l’appartement. Elle est surprise par ma présence tardive à terre au milieu de son séjour. En refermant la porte, elle plisse grossièrement les paupières avant de demander :
- Qu’est-ce vous faites ?
Okay ! Si j’avais un doute à son arrivée, cette fois j’en suis sûre : elle a un coup dans le nez. Et ce n’est pas uniquement la bouteille de vin rouge qu’elle tient dans une main qui me fait le conclure.
- Hélène, t’abuse ! lui dit sèchement Christelle. Je t’ai dit de m’appeler, si tu picolais trop !
- T’énerve pas, j’ai pris un taxi, répond-elle. Alors ?
Elle prend un air compatissant lorsque je lui explique la situation. Les yeux brillants, elle use de mimiques démesurées. Elle est rigolote quand elle est saoule !
- Puisque t’es là, me dit-elle en levant le bras. On va boire un petit coup !
Le breuvage rouge a pour effet de me détendre dès la première gorgée. C’est un Bordeaux d’une excellente qualité, parait-il, et qui coûte un bras.
Non, ce n’est pas parce que je suis bordelaise, que je suis experte en œnologie !
Hélène raconte sa soirée et je pouffe à chacune de ses paroles. Le vin a été choisi par le gars avec qui elle a passé la soirée et c’est la seule chose d’intéressant à retenir.
- Il était ennuyeux à mourir ! J’ai bu les trois quarts de la première bouteille et j’en ai recommandé une autre. J’espère qu’il me prend pour une alcoolique et qu’il ne me rappellera pas !
Il s’avère que Christelle et Franck sont aussi joviaux que sympathiques. On s’esclaffe tellement fort que Sarah nous rejoint.
- Vous faites soirée et vous m’invitez pas ? Sympa les voisines !
***
- Allez, allez ! Noëlie, c’est mou, là ! rugie Jeff.
Ma main dans ta figure, tu vas voir si elle est molle !
Je suis un tantinet susceptible ce matin. Faire une série de flexions après la cuite de la veille est évidemment la raison de ma mauvaise humeur.
Je ne regrette pas mon excès de la soirée d’hier. J’ai passé un excellent moment. Il m’a rappelé qu’être entouré de sa famille et de ses amis est primordial. Certes, je ne peux pas considérer Hélène, Sarah et encore moins Christelle comme telles, mais elles sont si bienveillantes envers moi, que je ne peux pas non plus les en exclure.
Dès que je rentre, je reprends contact avec mes meilleurs amis. Je m’en fais la promesse ! Nous nous sommes éloignés, uniquement par ma faute. J’ai refusé leur soutien et la distance s’est installée.
J’ai tellement changé depuis la mort de Laura. Ma vie d’avant me manque.
Jeff, fidèle à son énergie délirante, prodigue le dépassement de soi. Je suis peut-être dotée d’un dynamisme d’escargot, mais rien que le fait de m’être extirpée de mon lit et de venir au stade fait, pour ma part : objectif atteint !
- Pas chassés ! hurle le sadique. Allezzz !
Je suis à la ramasse. Malgré le regard inquisiteur du maître de cérémonie, je laisse tomber ! La fraicheur de l’eau dans ma gorge est jouissive. Surtout quand on lutte contre la gueule de bois.
Par reflexe, je jette un œil sur mon téléphone. Un appel manqué et un message vocal. Mon cœur se serre lorsque je prends connaissance de l’émetteur.
Depuis la lettre d’adieu de Laura, je n’écoute plus les messages. Je préfère le contact direct plutôt que d’entendre un contenu, dépourvue de la possibilité d’agir. Illusoire soit-elle.
Je m’éloigne. Au bout de trois sonneries, mon destinataire décroche.
- Noëlie Lefévre. Bonjour Maître. Vous m’avez appelé ?
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