L'araignée et sa toile

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   Assis sur une chaise bon marché dans la cave de l'un des hôtels les plus luxueux de Paris, attend un homme. Âgé d'une quarantaine d'années, ses cheveux autrefois d'un brun presque noir commencent aujourd'hui à grisonner. C'est avec une impression de profonde lassitude qu'il lève parfois les yeux de son magazine à l'aspect affligeant, pour regarder la faille incrustée dans le sol. Cette plaie, une craquelure d'une dizaine de mètres de long et d'un bon mètre de large, éructe à intervalles réguliers de sombres volutes. Ceux-ci semblent vite emportés par la lumière éclatante des quelques spots qui fixent l’abîme.

   Un œil attentif et quelque peu entraîné discernera autour de mon propriétaire des fils, comme de légers cordons de nylon flottant dans les airs. Les anciens Nordiques appelaient cet enchevêtrement de lignes d'énergie : le Wyrd. Reliant chaque chose, cette toile est utilisée par les mages pour puiser leurs forces, surveiller leur territoire, et dispose également d'un certain nombre d'utilisations annexes que je me ferais un plaisir de décrire à ma fin.

   Edward est resté assis neuf heures durant aujourd'hui. Le crépuscule commençe à tomber alors que sur un des filins qui volète près du sorcier, une brillance évolue. Ce doit être un murmure, les réminiscences d'un sort lancé sur son territoire qui provoque des perturbations dans le Wyrd. Cependant, au moment où Edward saisit le fil c'est un cri qui nous frappe mon maître et moi. Celui d'une jeune femme.

Avant que je ne puisse crier gare, la sacoche qui me contient est violemment soulevée. Titubant dans un mélange de surprise et de peur, Edward se précipite vers l'escalier menant au hall de l’hôtel Raphaël, courant dans les rues de Paris serrant dans sa main un fil.

*

Notre course s'arrête devant un des hauts immeubles haussmanniens de notre vieille Paris, en proie aux flammes. L'air se fait acre, la brise charriant avec l'odeur du bois brûlé, celle insidieuse et quasi imperceptible du souffre :

"_Scrib tu sens ça ? chuchote Edward en posant sa main sur la sacoche.

_ Oui je le sens. C'est problématique. Que comptes-tu faire ? Cet endroit va bientôt grouiller de pompiers et de policiers, de quoi nous donner des sueurs froides en ce qui concerne la paix de ce quartier.

_Aha ne t'inquiète pas mon ami, je vais régler ça vite, sur les marches du monde tu me suis ! Edward prononce ses derniers mots avec force, les agrémentant de quelques signes de mains pour finir par toucher la rose tatouée sur le dos de sa main.

L'air autour de nous commence alors à se brouiller, et tandis que disparaît de mes pages la sensation angoissante du feu tout proche, les passants qui se pressaient, les téléphones levés pour contempler ce spectacle morbide, semblent tout à coup s’effacer, ne laissant sur le sol que des ombres mouvantes.

   De simples gestes du bras suffisent à Edward pour écarter les flammes privées de leur vigueur dévorante. Alors que celui-ci monte les marches de l'immeuble avec son flegme habituel, nous arrivons au deuxième étage, dans une pièce où le feu semble avoir été repoussé contre les murs. Au centre de cette pièce au mobilier Louis XIII, trône une marque, avec partant de celle-ci deux traces, semblables à des griffures. Nous constatons en nous rapprochant que cette tache noirâtre au sol, outre le fait d'être formée au milieu de ce qui semble être un cercle ésotérique, paraît également se distordre comme un mirage au-dessus d'une route en été. Ce n'est qu'après l'avoir tâté avec prudence du pied que le sol commence à se fragmenter et à se craqueler, laissant apparaître un gouffre semblable à celui qui se trouve dans la cave de l’hôtel saint Raphael avec, loin chutant dans l’immensité infinie, une lueur vacillante :

_"Bien je crois que nous manquons de temps pour prendre une décision mon cher... dans le doute !", Sur ces mots Edward se jette dans le gouffre tandis que des chaines commencent à se tendre à ses poignets. Loin d'être un de ses sorts, elles sont la manifestation de la punition qui le lie à son territoire, ce qui assure une protection importante quand on décide de sauter dans les limbes.

Les chaines crissent sur le bord de l'ouverture tandis que nous chutons dans le vide. Immobilisé à une centaine de mètres plus bas, la lueur se révèle être une frêle silhouette féminine :

_ "Scrib, avec moi" hurle mon maître alors que nous commençons à psalmodier.

Sur la toile du monde

Nous marchons

Fils protecteurs de la réalité moribonde

Nous vous appelons

Afin qu'au néant dévorant cet enfant

Nous dérobons

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