Retour à la maison
Chapitre 1
Jacinthe
L’angoisse me taraude. Je suis pourtant en sécurité, de retour à la maison, près de lui. Près d’Anton. Rien ne devrait être plus réconfortant : je ne suis plus seule dans une chambre qui n’est pas la mienne, qui n’appartient d’ailleurs à personne. Toutes mes affaires sont posées sur le lit. Des vêtements, surtout. Quelques livres aussi. Je n’ai pas la force de tout ranger. Mes yeux se posent sur chaque objet, mon esprit m’ordonne de tout remettre en place, mais mon corps ne suit pas. Je n’ai réussi qu’à défaire le contenu de mes bagages. Bagages. Comme si j’étais partie en vacances, alors que je reviens d’un séjour à l’hôpital. Les larmes affluent dans mes yeux, brouillant ma vue. Je m’effondre sur le sol, assaillie par l’impuissance, les sanglots et la douleur des émotions. J’ai le souffle court, mon cœur s’emballe, des couteaux imaginaires s’enfoncent dans ma poitrine. La honte et la culpabilité me donnent des coups dans le ventre. C’est un cercle vicieux, toujours le même, et, comme à chaque fois, il se referme sur moi. Mes ongles s’enfoncent d’instinct dans mon bras, lacèrent ma peau. Je ne les arrête pas. C’est le seul moyen d’effacer la douleur intérieure. Le sang afflue, laissant s’écouler la souffrance, exfiltrée de mon corps. Indésirable. Ces instants de rage me calment. Complexe paradoxe. Rien n’est tout noir ou tout blanc. Quelques minutes passent, à la fois rapides et lentes. Mes larmes cessent enfin, la torpeur les remplace.
Reprenant peu à peu mes esprits, je remarque qu’il a acheté une nouvelle lampe en forme de lanterne, qui se marie bien au bleu pastel et au blanc qui habillent notre chambre. Mon refuge. Je suis assise en tailleur sur le tapis aux longs poils blancs. J’observe la bibliothèque remplie de livres, de bibelots et de photos, ainsi que de nouvelles bougies décoratives qui n’étaient pas là avant… Avant l’hôpital. Il a pensé à moi pendant tout ce temps, il a été, et est toujours, plein de petites attentions et moi, je ne lui apporte que de l’inquiétude et de la souffrance. Songer à cela fait couler de nouvelles larmes sur mes joues. Une sensation d’abattement m’entoure et mon corps, épuisé, se laisse glisser sur le doux tapis, tel un nuage, seul réconfort dans ce monde de brutes.
Je m’imagine être sur le plus haut des nuages. Au-dessus de moi, le bleu du ciel et le soleil. Pas de pluie à l’horizon. Rien ne peut m’arriver, aucune tempête ne peut m’emporter, je suis en sécurité. Je laisse mes yeux se fermer et le sommeil me prendre dans ses bras.
Anton
Je prépare un thé aux agrumes pour Jacinthe. Son préféré. J’essaie de faire en sorte que son retour se passe pour le mieux. J’ai envie qu’elle se sente en sécurité chez nous. Qu’elle se sente entourée d’amour et de douceur. C’est ce dont elle a besoin. Ce que j’espère pouvoir lui offrir.
Je prends la tasse et me dirige vers la chambre. Elle est probablement en train de ranger ses affaires. Je n’ai pas osé la déranger, supposant qu’elle avait envie de se retrouver un peu seule. J’imagine les difficultés qu’elle a dû rencontrer à l’hôpital. Le bruit, le manque d’intimité réelle en plus de sa souffrance… Je ne sais pas comment elle a pu supporter ça pendant tout un mois.
J’ouvre doucement la porte et je remarque que ses affaires sont éparpillées sur le lit. Je m’arrête un instant, saisi d’une inquiétude soudaine. Faites que ça ne recommence pas ! J’entre dans la chambre et la vois. Allongée sur le tapis, elle dort. J’esquisse un sourire en m’approchant d’elle. Sa bouche est légèrement entrouverte, quelques mèches de ses longs cheveux bruns chatouillent son visage. Je les enlève délicatement et dépose un baiser sur son front. Elle semble si paisible. On dirait un ange.
Un ange blessé. Sur son bras gauche, je remarque des traces de sang. Saleté d’automutilation. Était-ce trop tôt pour la faire revenir à la maison ? Peut-être qu’elle n’était pas prête… Qu’est-ce qui lui a donné envie de se faire mal, cette fois ? Je ne la réveille pas, je la laisse se reposer un peu. Je prends la couverture noire si douce qu’elle aime tant et la pose sur elle.
Je retourne dans la cuisine, dépose la tasse sur le comptoir et vais m’asseoir devant l’ordinateur portable posé sur la table. J’ai un projet de publicité à proposer la semaine prochaine et je devrais avancer dans ma présentation. C’est sans compter sur mes pensées, qui voguent vers notre rencontre, vers cet instant où ma vie a basculé sans que je ne m’en aperçoive. Le jour où j’ai rencontré Jacinthe, mon âme sœur.
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