Réveil

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Jacinthe

Je me réveille, la soyeuse couverture noire étendue sur mon corps. Anton l’a sans doute posée là. En me relevant, j’aperçois un papier déposé sur le sol. À toi.

Ces petits messages sont une source de réconfort infinie. Un moyen pour moi de m’exprimer lorsque les mots sont coincés au fond de ma gorge. Une des ses – nombreuses – façons de me montrer son amour.

Ma Jacinthe,

Je suis venu t’apporter une tasse de thé, mais tu étais endormie. Tu étais si belle et si paisible que je n’ai pas voulu te réveiller. J’ai remarqué le sang sur ton bras. Je ne pensais pas que ton retour à la maison serait si difficile. Je suis prêt à t’aider, nous allons surmonter les difficultés ensemble. Ne t’en veux pas, mon amour. Moi, je ne t’en veux pas. Je t’aime.

Lire ses mots me fait du bien. Ils me rappellent que je suis à ma place, chez moi, avec quelqu’un qui m’aime et me connait par cœur. Bien sûr que je m’en veux. La culpabilité me ronge chaque seconde, elle s’insinue en moi, même lorsque je ne m’en aperçois pas. Elle se cache quelque part dans les abysses de mon cœur et choisit son moment pour apparaître. C’est souvent dans ces moments-là que je perds le contrôle. Et c’est dans ces moments-là qu’Anton garde son sang-froid et m’enveloppe de son amour.

Je sors de la chambre pour le rejoindre. Il est assis dans la cuisine, face à son ordinateur portable. Il a revêtu sa chemise blanche pour venir me chercher à l’hôpital et la porte toujours en cet instant. Ses yeux bleus semblent fatigués et soucieux. Je l’observe sans réellement oser m’approcher. S’il réagissait mal ? S’il était fâché ? J’ai tellement honte de moi, de ces marques sur mon bras. Je voudrais me cacher, mais je dois assumer mes actes.

Je m’approche doucement de la table et Anton lève lentement la tête. Son regard est si tendre que la crainte de sa réaction s’envole aussitôt. Sans un mot, je m’assieds sur ses genoux, entoure son cou de mes bras et laisse couler de nouvelles larmes. Ses mains attrapent mon visage, et je plonge mes yeux dans les siens. Le bleu de ses iris me captive. Ses doigts tentent d’essuyer mes larmes et ses lèvres s’emparent doucement des miennes. Mon cœur se réchauffe. J’esquisse alors un petit sourire, bien qu’il soit plutôt triste.

- J’avais peur que tu ne souries plus, mon ange, me dit Anton.

De honte, je baisse les yeux. Les siens se font inquiets.

- Que se passe-t-il ? Tu n’as pas à être gênée. Je te l’ai écrit, je ne t’en veux pas. Tu as lu mon message ?

- Bien sûr. Mais je ne pensais pas me refaire mal aussi rapidement. Je pensais être guérie.

- Ce genre de choses ne se guérit pas si facilement, Jacinthe.

- Je sais, mais je me disais que, comme le médecin acceptait que je revienne à la maison…

- Il pensait, et moi aussi, que ce serait mieux pour toi. Ici, je suis avec toi en permanence. Je peux travailler de la maison la plupart du temps. Et puis, tu as toutes tes affaires, tu peux t’enfermer dans une pièce si tu as envie d’être seule… Mais le psychiatre nous a expliqué que tu aurais d’autres crises.

- Et il pense que je vais encore…

- Tenter de te suicider ? Il n’a jamais dit une telle chose.

Ce mot. Il me donne envie de vomir. J’ai honte de cela aussi. Je t’ai fait souffrir en voulant mourir. Je n’avais pas réellement prémédité mon geste. J’avais eu des idées très sombres, ça oui. Mais je ne me croyais pas capable de passer à l’acte. Et pourtant… Le désespoir est un manipulateur sans vergogne. Il s’insinue en vous, vous hypnotise, vous contrôle, et ne vous quitte pas sans lutter. Encore et encore.

Anton

Et ça continue encore et encore. C’est que le début d’accord, d’accord.[1] Jacinthe a passé un mois à l’hôpital après sa tentative de suicide et pourtant, je sais pertinemment que le plus dur reste à faire.

- Jacinthe, on va trouver des solutions. Déjà, je vais faire plus attention à toi.

Jamais je n’aurais imaginé que Jacinthe veuille en finir. Je savais bien que ça n’allait pas. À vrai dire, je n’allais pas très bien non plus, à ce moment-là et je m’étais retranché dans le boulot pour éviter de faire face à mes émotions. Jusqu’à en négliger celles de la femme de ma vie. Je me sens coupable, moi aussi. Peut-être que si j’avais fait un peu plus attention, tout se serait passé autrement…

- Qu’as-tu à te reprocher, Anton ? Tu es toujours là pour moi.

- Je n’ai pas su voir ta détresse. J’ai failli à mon devoir.

- Ton devoir ? me demande Jacinthe, à moitié amusée.

- J’ai le devoir de te protéger et de te porter secours.

- Mais enfin, on n’est pas mariés…

- Est-ce si important ? C’est tout comme, non ? On n’a juste pas de papiers officiels et aucune cérémonie de faite.

Mon ton est plus agressif que je ne le veux.

- Non, tu as raison, ce n’est pas important.

Sa voix est presque brisée, ses yeux regardent le sol.

- Excuse-moi, je me sens juste comme un imbécile. Je me vante parfois de te connaître par cœur et je suis incapable de t’empêcher…

- Chut, me coupe-t-elle. Je sais. Je comprends. Mais tu n’as rien à te reprocher. Je n’étais pas tellement présente pour toi non plus, du moins, mentalement.

Je secoue la tête, attrape le sac plastique sur la chaise d’à-côté et en sors un livre que je donne à Jacinthe.

- Jane Eyre ? C’est pour moi ?

- Évidemment !

- Depuis le temps que je voulais le lire ! Merci, Anton !

Le baiser qu’elle m’offre, le plus fougueux depuis des mois, me redonne le sourire. Malgré les difficultés, tu n’as jamais oublié ta passion pour les livres. Je sais que tu n’as jamais lu ce classique de Charlotte Brontë et j’ai envie que tu le découvres, que tu vibres avec Jane et que tu tombes amoureuse de Mr. Rochester.

- Je pense que Jane t’inspirera. C’est le genre de personnage que tu apprécies. Une femme forte et courageuse.

- Le genre de femme que j’aimerais être.

- Que tu es.

Si seulement elle pouvait s’en rendre compte.

[1] Extrait de la chanson Encore et encore de Francis Cabrel.

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