Chapitre 3: l'exil
Mattthieu Noël, encore. Aujourd’hui la France va mal. Ou peut être était-ce hier ? Ou peut être que c’est juste tous les jours. Ce matin les travaux ne m’ont pas réveillé. J’ai dormi comme une souche. Mais à mon réveil, les choses n’avaient pas changé. Les mêmes infos, le même ciel gris, la même chambre d’étudiant mal rangée.
La routine est la même. Aujourd’hui je me lève plus rapidement que les autres jours. J’aurais le temps de déjeuner. Je balaye mes étagères du regard. Deux sachets de pâtes entamés, une boîte de thon. Rien qui fasse rêver un matin d’hiver. Je me dirige vers la cuisine commune. Deux oranges dans le fond de mon frigo. Il faudra s’en satisfaire.
Je grimace en croquant. Les oranges sont acides, mais c’est bien le seul goût qu’elles ont. Je regrette déjà d’avoir déjeuné.
Je sors de l’immeuble. Les éboueurs ne passent plus depuis plusieurs semaines. Les poubelles s’entassent dehors, l’odeur commence à se faire sentir. Je grimace à nouveau.
Je rentre dans l’école. Dans ce grand hall ouvert sur cinq étages, au multiples escaliers et passerelles dans tous les sens, on pourrait se croire à Poudlard. Ce matin, j’ai un oral. Avant, j’aurais stressé, j’aurais répété jusqu’au dernier moment, puis j’aurais fini par bégayer et faire une prestation médiocre. Mais maintenant, je ne ressens plus rien. Tout est insignifiant. Et l’oral aussi. Seul face à cet amphithéâtre rempli, ces 70 étudiants qui n’ont pas envie d’être là, à 9h du matin, et ces professeurs à l’œil plus ou moins réveillé, je ne tremble pas.
La suite, je ne m’en souviens pas. Rien d’important, rien d’intéressant. J’étais là, mais j’étais absent. Je pensais à des choses qui ne sont pas, mais qui pourraient. À toutes ces choses qui sont, et qui auraient mieux fait de ne plus être. Et puis à des détails insignifiants, tous ces petits artéfacts du quotidien que l’on ne remarque pas, hormis lorsque l’on ressent un ennui profond. Et j’ai divagué encore.
Face à l’océan, on peut se sentir tout petit. Sur un canoé, à quelques centaines de mètres du large, là où les mers sont claires, en regardant en dessous, en voyant l’immensité des profondeurs, je me suis senti minuscule. Je me suis dit que la vie tenait à si peu de choses, une chute du haut d’une falaise, un coup de queue de baleine, un coup de fesse d’éléphant. On est si peu de chose.
Et pourtant, c’est là, au milieu de cette immensité, que j’ai su que j’étais vivant, bien plus qu’ailleurs. Bien plus que dans cet amphithéâtre, applaudi par des dizaines d’élèves qui n’ont rien écouté, et bien plus que dans cet appartement, où les jours se répètent inlassablement.
Alors j’ai pris mon sac, je me suis levé, et je suis parti. Je n’ai pas regardé en arrière. Je n’ai pas fait attention à Colin et Robin, qui passaient à l’oral. Sans rancune, les gars. J’ai quitté l’amphi, j’ai quitté l’école. J’ai erré quelques temps dehors, sur la place. J’ai vu des voitures passer. J’ai levé la tête, j’y ai vu le ciel gris de Paris. Et un avion. Alors je me suis dirigé vers l’arrêt de bus, et j’ai attendu. Je suis monté, et à la gare j’ai continué jusqu’à l’aéroport.
Là, au milieu des foules actives et pressées, j’ai fait un choix primordial. Je suis allé à l’accueil, et j’ai acheté un billet dans le premier vol avec des places disponibles. Je voulais partir, n’importe où, loin d’ici.
Là où je suis arrivé, je n’ai plus besoin de mots. Ils sont inutiles quand on ne se comprends pas. Je n’ai plus besoin de tout ce que j’ai appris non plus. J’ai besoin d’apprendre des choses plus terre à terre, des choses essentielles, nécessaires à ma survie.
Alors j’ai tout mis de côté. J’ai tout oublié, et j’ai vécu au jour le jour. Est-ce que j’ai à manger pour demain ? Est-ce que je peux dormir en sécurité ce soir ? Des questions que je ne m’étais jamais posé avant, et qui m’ont fait me sentir vivant à nouveau.
J’ai faim, j’ai froid, j’ai peur. Mais qu’est-ce que la vie est belle.
Ce soir, je dors, une fois de plus, à la belle étoile. Là-haut dans mon arbre, ficelé à ma branche, les étoiles veillent sur moi, et le ciel n’est pas gris.
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