Chapitre 5 : Noël

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Aujourd’hui, c’est Noël. Noël, c’est l’anniversaire de papa. Et papa est mort.

C’est arrivé soudainement. Comme un verre que l’on renverse par hasard, comme un feu qu’on oublie d’éteindre. Un jour tout allait bien, un jour il n’était plus là. Il discutait, puis il est tombé. Comme ça. Sans rien dire. Sans s’en rendre compte. Et toute de suite, il est parti.

Le calme et la soudaineté de sa mort contrastaient avec l’effervescence de son ami, des pompiers, et de ma mère en larmes qui s’afféraient autour de lui, à tenter de le ramener pendant de longues minutes. Et de nous tous, déchirés, choqués, face à l’inconcevabilité de la réalité. Une semaine d’espoir relatif, pendant laquelle nous avons vécu toutes les phases du deuil. Du maigre espoir à la vérité, dure et ferme. Jusqu’au bout, nous avons voulu y croire. Mais dès le début, nous savions que ce serait un combat impossible.

Et le retour à la vie. Au quotidien morose. À toutes ces petites choses qui n’avaient déjà pas sens avant, mais qui en ont encore moins après. Et l’aveu à moi-même, instantanément, que je ne comprends pas. Que je n’assimile pas. Que pour moi, ce n’est pas arrivé. J’en parle aux gens, je reçois des messages, je lis les mots. Mais ce n’est pas moi, ce n’est pas mon père. C’est détaché de moi. C’est impossible.

De mon plus jeune âge, et jusqu’au bout, mon père, ça a été une force de la nature. De ceux qui ne veulent pas aller à l’hôpital avec un trou dans la jambe, disant que ça va aller. On le pensait tous, que cela irait, et pour de longues années encore. Cet homme qui toute sa vie aura tenté tous les sports, en aura fait son métier, celui-ci qui faisait de l’apnée et avait un cœur si solide, un jour, sans crier gare, son cœur a dit stop.

J’ai toujours pensé que le sport nous préservait de ce genre de choses. Qu’un cœur entrainé, endurant, ne pouvait pas se stopper du jour au lendemain. J’avais tort. Rien n’est prévisible avec certitude quand il s’agit de la vie, et elle a tôt fait de nous le rappeler.

Mon père aimait la nature. La beauté du ciel et des montagnes, le cri des oiseaux, la forme des nuages. Il pouvait passer des journées entières là-haut, dans le ciel, à jouer avec les courants d’air, pour rallonger toujours plus le temps qu’il y passait. Il prenait des photos. Toujours mal cadré, parfois avec la mauvaise caméra, souvent floues. Mais c’était la preuve qu’il vivait de l’instant, de ce qu’il voyait avec ses propres yeux.

J’ai toujours pensé qu’un jour, lui et moi, nous volerions ensemble, qu’il m’apprendrait, comme il m’a appris tant de choses, et que je comprendrais enfin pourquoi il aimait tant cela.

Tout ce sport que j’ai pu faire, tous ces entraînements de natation, soir après soir, où il m’emmenait, inlassablement. Quand nous nagions ensemble, puis quand il s’est mit à la plongée par la suite. Ces compétitions, pour lesquelles il venait me réveiller à six heures du matin, et prenait mes temps avec assiduité. Plus tard, les triathlons, l’escalade, les sorties vélo du week-end. Et depuis l’enfance, les randonnées en famille, en Corse, dans le Massif central, dans les Alpes, en Martinique …

J’ai toujours marché dans tes traces, j’ai testé tout ce que tu faisais, je t’ai imité, me forgeant une opinion qui était souvent la même que la tienne, parce que dans le fond, je ne suis que ton reflet.

À la cérémonie, j’ai fait un discours. Mais c’était trop court, bien trop, pour résumer tout ce que tu représentais pour nous. Tout aura toujours un sentiment d’inachevé à présent, car tu es parti avant de finir tout ce que tu avais commencé. Tu manques à maman, papa. Tellement. Et tu nous manques à tous. Aujourd’hui tu pars. Tu pars, mais c’est incompréhensible, inexplicable, soudain et injuste. Je t’aime.

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