Chapitre 1
À ma fenêtre, je peux voir les grues du chantier s’activer. Je les observe attentivement, ces grues. Leurs va et viens incessants, et les bruits des engins autour. Un bipbip incessant, comme un radar de recul. Des bruits sourds lorsque la grue pose quelque chose au sol. Un marteau piqueur. Peut être deux. Je surveille tout cela, à l’affut. La moindre erreur ne m’échappera pas. Après m’avoir réveillé aussi tôt, je n’attends rien de moins que l’excellence de leur part.
J’enfile ma robe de chambre et je me dirige vers la salle de bain. J’ouvre le robinet. Je teste l’eau. Glaciale. Parfait. Rien de mieux que commencer une journée par un bain de visage vivifiant. Je pisse un coup. Le bleu du produit des toilettes se mélange à mon jet et l’eau tourne vers un joli vert. J’aime beaucoup le vert. Je tire la chasse.
Mon réveil sonne. Ou plutôt, la radio s’allume. Pile à l’heure pour la chronique de Mathieu Noël. Je me souviens qu’avant, il me faisait rire. Maintenant, j’ai l’impression d’écouter la même chose en boucle.
Nous sommes le 17. Le chocolat d’aujourd’hui est un peu petit, mais je m’en satisferais. Je mets mes chaussettes. Puis je m’habille. Je mets mes écouteurs. JeanJass sert des prods de feu en ce moment, je ne m’en lasse pas.
Je sors finalement. Je suis en retard, comme d’habitude. J’habite en face de l’école, c’est pratique. En face des travaux aussi, c’est moins pratique.
Et puis, face à l’entrée de l’école, je me rends compte que je n’ai pas envie.
Pas d’étudier, ça j’aime ça.
Non, c’est plus global. Je n’ai pas envie de continuer. Tout.
Alors je sers les bretelles de mon sac, et je me mets à courir. D’abord lentement. Je n’ai pas couru depuis longtemps. J’arrive à un carrefour. Il est encore temps de faire demi-tour.
Non.
Je me relance. Je cours vite maintenant, bien trop vite pour aller loin. Bientôt, ma gorge pique. Le goût du sang. Je ne pensais pas être en aussi mauvaise forme. Je ne m’arrête pas, mais je ralentis un peu. Je cours, je cours, l’esprit vide, ailleurs. Je ne suis pas là, je ne pense à rien. Juste, je cours. Est-ce cela que ressentais Forrest ?
Après une éternité à courir dans des chaussures clairement pas faites pour, mes pieds sont dans un sale état. Où suis-je ? Combien de kilomètres ai-je fait ? Je suis tenté de prendre mon portable pour voir. Mais tout cela n’aurait plus aucun sens. J’ai quitté la ville, je suis sur des petites routes désormais. Je peux voir un village au loin. Puis mes pieds se rappellent à moi, et je m’effondre dans le champs à côté de la route.
J’ai atterri sur le dos, et mon ordinateur est clairement cassé. Mais sur le moment, je m’en fiche. Je suis là, sur le dos, à chercher mon souffle. Mes pieds retrouvent des sensations petit à petit et je me rends compte que la douleur que je ressentais n’étais qu’un avant-goût. Le ciel est gris. La terre est boueuse. Je sens une goutte sur mon front. Il se met à pleuvoir. Alors je ris. Je ris, puis je cris, puis je ris à nouveau. Et enfin, je pleure. Je ne sais pas combien de temps tout cela a duré, mais je n’ai pas bougé pendant longtemps.
Un fourgon s’arrête et le chauffeur, vieil homme au visage sympathique, me demande si tout va bien. Je me relève enfin, et je me rends compte que mes pieds ne vont pas super. Je lui dis que ça va, mais que j’aurais bien besoin d’un transport. Il me demande où je vais, et je lui retourne la question.
Il va dans le sud, et je lui demande s’il peut m’emmener avec lui. Le gars hésite un peu. Je le comprends, j’ai le dos couvert de boue et il y a un instant j’étais allongé dans un champs sous la pluie à crier. Mais visiblement il en faut plus pour attaquer la gentillesse de cet homme. Il me propose même une serviette, que j’accepte volontiers. Je ne pensais pas qu’il restait des gens aussi généreux sur cette planète.
Et me voilà parti, vers le sud.
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