Mauvaise rencontre
En dehors de ses nuits et du temps à travailler, Mina traîne souvent dans la rue. Pour chaparder et manger un peu plus à sa faim. Parfois, elle troque ses larcins contre des vêtements ou d'autres objets qu'elle échange à leur tour selon ses besoins, ses envies ou quand l'occasion se trouve de faire une bonne affaire. Néanmoins dans la rue, de nombreuses bandes sévissent et elle doit les céder, quand elle se fait piéger par l'une ou l'autre des cliques. Et régulièrement, elle se fait corriger en raison de ses douze printemps et de sa petite taille. Sa solitude en fait une proie idéale.
Ce soir, elle rentre chez elle quand une bande l'intercepte. Cinq ados un peu plus âgés qu'elle, menés par un gamin, presque un adulte. À plusieurs reprises elle s'est déjà fait rançonner par eux.
— Tiens, v'la notre amie Mina. Qu'est-ce que t'nous rapporte la p'tiote ?
C'est leur chef qui s'exprime ainsi dans le phrasé des rues. Sûr de lui, sûr de sa force face à cette grignette maigrichonne.
— Rien, j'ai rien. La journée a été mauvaise, les gardes qui tournent et qui surveillent, vous savez ben comment ç'est, répond la fille dans le même sabir.
La journée n'a pas été bonne c'est vrai, mais c'est la règle, je cacherai toujours mes larcins à des affreux comme vous.
Le grand s'approche d'elle, lentement.
— Allons, c'est pas à moi que t'vas raconter des histoires, j'suis dans la rue depuis bien plus longtemps qu’toi et j'sais qu'on ramène toujours quèque chose, même la plus mauvaise journée. Allons, donne.
— Mais non, j'ai rien pris aujourd'hui, jt'assure.
— Arrête tout de suite !
Au-dessus de lui, il y a ceux qui le rançonnent comme tous les voleurs de la ville. Des voleurs et des rançonneurs qui cèdent une part de leur butin à l'ordre des voleurs. Une richesse destinée au grand maître de cet ordre qui n'a pas d'autre travail à faire que menacer avec plus ou moins de violence les plus petits que lui. L'un de ceux qui figurent tout en bas de cette communauté l'a empoignée par le col de sa chemise. Tournant le tissu dans son poing pour la lever en même temps, il tire Mina vers lui.
— Donne, maintenant !
Il joue sur sa force, son ton est menaçant. Un instant impressionnée Mina, dans un réflexe inattendu, copie les gestes qu'elle a vus faire des dizaines de fois au Donjo. Elle attrape le poing du grand à deux mains et tout en faisant tourner le poignet de l'adolescent surpris par la défense, elle passe une jambe derrière celles de son adversaire et pousse de toute ses forces, accompagnant la lourde chute du gamin désarçonné par l'attaque. L'arrivée au sol est violente. Plutôt habitué à impressionner ses adversaires par sa taille et la présence de ses acolytes, il n'a rien vu venir. Mina qui est tombée sur lui, entraînée par son propre mouvement se relève avec prudence. Abasourdie par sa propre audace, elle regarde le désastre qu'elle vient de commettre. Le grand s'ébroue, autant sonné par l'attaque que par sa chute, il se relève lentement. Les cinq autres gamins, surpris comme lui, attendent la réplique de leur chef. Il secoue la tête pour remettre ses idées en place, regarde la gamine et sa maigre troupe. S'il ne reprend pas la situation en main, c’en est fini de commander à sa bande d’idiots.
— Attrapez-moi c'te gamine, j'vais ben lui montrer qui c'est le plus fort ici !
Les gamins hésitent, entourant Mina qui consciente de ce qui l'attend, s'est mise en position défensive, comme elle le voit faire toutes les fois où elle assiste en douce aux combats des mercenaires au Donjo. Les gamins hésitent d'autant plus que sa posture les impressionne. Légèrement penchée en avant, elle passe d'une jambe sur l'autre, paraissant prête à attaquer.
— Allez, attrapez-la cette gamine, m'dites pas qu’vous avez peur d'elle !
D'un même pas, ils avancent, tandis que leur chef reste prudemment en arrière.
— Vous vous croyez où ! Lance une voix depuis l'encoignure de la ruelle, six contre une gamine. Très courageux, très très courageux.
Un instant passe pendant lequel les gamins et leur chef se regardent, inquiets. La voix qui les interpelle est restée dans l'ombre. On ne voit de lui que l'esquisse de sa tenue banale.
— Je vous regarde et je ne vois que des couards. Pas un qui oserait l'affronter en face à face. Surtout pas toi, grand courageux qui vient de se vautrer par terre face à une gamine qui pèse la moitié de son poids.
Les secondes s'égrènent. Mina n'a pas relâché sa défense. Cette voix, elle la connaît, c'est celle du Maître et pas question de baisser les bras devant lui, elle sait qu'elle va se faire remettre à sa place et même sûrement plus, voyant comment il traite les gardes, les mercenaires et tous ceux qui viennent s'entraîner chez lui, et même les nobles !
Ne pas relâcher sa garde
— Je vous propose un marché. Vous l'affrontez l'un après l'autre et celui qui réussit à la battre j'ajoute une pièce à ce qu'elle a dans ses poches.
Les secondes s'ajoutent aux secondes. Les vauriens encore plus inquiets de l'offre de l'homme hésitent, s'écartent lentement.
— Et toi, le chef, leur chef... Tu l'affrontes cette gamine ? J'en doute, elle t'a déjà battu, pas vrai ?
Mina inquiète elle aussi, ne voit pas ce qu'il veut faire.
Je ne sais pas me battre ! Au mieux, j'ai eu de la chance, le grand ne s'attendait pas à mon attaque. Je n'aurai pas une seconde chance, avec lui comme avec un autre. Je ne fais pas le poids !
À cet instant, l'homme s'avance et les gamins reconnaissent le maître d'armes.
— Bien, je vois qu'il y a là de grands courageux. Des courageux qui vont retourner d'où ils viennent, c’est-à-dire nulle part.
Les gamins s'éloignent, la tête basse, quand la voix les rappelle.
— Ah, un détail, ne pensez pas un instant à l'attaquer un soir dans une ruelle sombre ou ailleurs en lâches que vous êtes. Parce que si ça se produit, je viendrais vous chercher pour vous corriger tous ensemble, plusieurs fois, longtemps et devant tout le monde. Est-ce que je me fais bien comprendre ? À partir de maintenant, elle est intouchable par vous ou n'importe qui. Si quoi que ce soit lui arrive, ce seront vous les responsables et vous subirez une correction en public !
Les gamins partent, lentement, puis rapidement. Passé le coin de la rue, leur chef tente de reprendre la main sur sa piteuse troupe.
— Vous avez vu, elle est formée par le maître d'armes, on n'avait aucune chance.
— Laisse tomber !
L'un deux, plus sensé, s'écarte. Il vient de se rendre compte que son chef n'en est pas un. Il s'est servi d'eux depuis le début, jouant sur son âge pour les impressionner, comme il impressionnait les gamins qu'il terrorisait, grâce à eux en réalité, grâce à leur nombre et pas parce qu'il est fort ou intelligent.
— Aller, venez !
L'ordre de son chef tombe, menaçant.
— Venez sinon quoi, tu vas nous faire quoi, tu vas me faire quoi ? Tu crois qu’tu me fait peur, après ce qu'on vient de voir. Toi, not’ chef ridiculisé, par une gamine qui pèse rien ! Dégages !
Le grand s'avance, pour mater la rébellion de ce gamin qui sape son autorité. Et c'est sa deuxième déconvenue de la soirée. Le gamin au lieu de reculer, s'avance et sans attendre frappe au ventre son chef, son ancien chef qui se plie en deux, la respiration coupée sous le coup, il tombe à genoux devant lui. Après un coup de pied dans les côtes et leur ancien chef s'effondre en gémissant.
— Mauvaise soirée, on dirait. Et dire qu'on te croyait notre chef parce que t’étais le plus fort. Grosse déception hein ? Salut.
Il se détourne et part dans la rue, suivi par ses comparses, abandonnant le grand au sol. Le plus dégourdi devenant à son tour le nouveau chef d'une bande de gamins des rues.
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