L'apprentissage
Dans les premiers temps, Mina a participé aux simples entraînements au Donjo. Ce qui s’est révélé difficile fut le commencement des combats au corps à corps. Outre la réticence des élèves à l'associer à leur groupe, plusieurs ont carrément refusé de combattre avec elle.
"Maître, vous ne pouvez pas me demander de me battre avec une femme, ça ne se fait pas. En plus, elle n'est pas de taille"
Ou encore :
"Maître, je vais la blesser, je n'oserai pas lutter vraiment avec elle comme avec les autres. Vous ne pouvez pas me demander ça"
Mais, peu à peu, elle a été intégrée aux combats, non que les élèves en aient envie, mais l'énergie ou la hargne qu'elle y met a bien obligé les garçons à se battre avec elle sérieusement ! Le risque de se retrouver touché ou frappé, voire vaincu par LA FILLE ! Honte suprême, pour des hommes qui la dépassent d'une tête voire de deux, n’est pas acceptable.
C'est ce qui finit par arriver. Elle luttait avec Hank, fils d'un bourgeois qui souhaite le voir en mesure de défendre ses convois. Deux fois l'an, le père expédie vêtements et divers produits dans les régions froides du grand nord et rapporte les fourrures qui serviront à enjoliver les tenues des nobles dames et des seigneurs.
Hank est solide, mais sans enthousiasme quand il combat. Il a décidé depuis longtemps que ce sont les mercenaires qui combattront, quand lui restera auprès des chariots, ou mieux encore dans l'une des boutiques de son père. Boutique où il sera à l'abri du soleil, de la pluie et du froid. Ce jour-là, après avoir copieusement rossé Mina, sans y mettre la moindre once de méchanceté, celle-ci, qui sent un peu partout sur son corps les endroits où le glaive en bambou l'a frappé, s'est brusquement révoltée. Cognant avec encore plus de hargne qu'à l'habitude, elle perce la solide garde que l'allonge confère à son adversaire. Alors qu’il se défend d’une attaque qui doit le toucher à la gorge, Hank, surpris laisse une ouverture sous son bras levé dans laquelle elle s'engage. Délaissant son arme, elle frappe de son poing gauche au-dessous des côtes du garçon, qui se plie en deux sous la douleur, mais se voit renvoyé en arrière, par le coup de tête de Mina qui s'est déjà relevée. Hank déséquilibré bascule et tombe au sol, à demi assommé par la collision. Ils restent tous deux interloqués. Le silence, que la fin de leur passe d'arme laisse planer, gagne progressivement la salle d'entraînement, puis des murmures courent d'élève en élève. Toujours décontenancée, Mina tend la main au garçon pour l'aider à se redresser. Il regarde la silhouette encore un peu floue qui prolonge le bras. Un léger, puis un large sourire fend son visage et finalement, c'est un éclat de rire qui le secoue et gagne Mina puis la salle toute entière. Pour la première fois Mina vient de battre plus grand et plus fort qu'elle.
— Vous n'avez rien d'autre à faire ?
Le Maître d'armes les apostrophes, les renvoyant à leur travail. Hank saisit la main de Mina qui l'aide à se relever. Après un salut reconnaissant sa défaite, il se remet en position, attendant son adversaire pour continuer leur échange. Ils finissent leur affrontement en étant davantage méfiants l'un et l'autre. Cette feinte, ce coup porté n'ont pas amélioré sa technique. Par contre maintenant, ses adversaires la prennent plus au sérieux et ses combats s’approchent de ceux que les garçons réalisent entre eux.
À côté des entraînements et des luttes, Mina a vu son temps libre réduire comme peau de chagrin. À la moindre occasion, son mentor lui demande d'écouter sur les marchés ou sur les places la rumeur de la ville. Entendre les racontars, parfois avinés, des commerçants. Démêler le vrai du faux dans les propos des mégères. Suivre la garde dans les rues, voire celles qu'elle évite et pourquoi. Mesurer les temps morts des soldats dans leurs rondes sur les remparts et aux portes de la cité. Et toujours en fin de journée, le nettoyage des pièces salies par les élèves. Pas de jour de repos comme les autres. Le dimanche, elle se retrouve à lire des parchemins, étudier la législation. Elle qui croyait qu'elle en savait assez pour passer entre les filets des gardes, de la milice ou des juges, découvre que les textes qui régissent le royaume impliquent autant les marchands, que les nobles et les pauvres. Chacun a une place dans les livres des lois.
Ce qu'elle préfère ce sont les courses que le Maître l’envoie faire. Elle y trouve des moments de liberté, qui l'amènent parfois à l'autre bout de la ville, pour acheter chez tel commerçant une marchandise précise et l'obligation de négocier le meilleur prix. Si les débuts sont laborieux, peu à peu, quand les marchands la voient arriver, ils se répandent en lamentation, pleurant à l'avance sur le rabais qu'elle tirera d'eux, chacun sachant qu'à la fin de la négociation, chacun y aura suffisamment gagné.
Fluette à son arrivée, les mois passant, Mina s'est étoffée. Des muscles se sont installés, après bien des courbatures. Son souffle s'est fait plus fort, à courir sur le terrain d'entraînement. Ses jambes sont devenues dures des marches des escaliers gravies à vive allure pour chaque punition. Des cals sont apparus, à force de manier les bâtons, les sabres et épées de bambou ou les lances. Lors des combats à mains nues, les coups systématiquement reçus d'abord douloureux ont fini par devenir supportables, quand elle ne parvient pas à les éviter complètement ou les rendre. Sa petite taille, sa différence de musculature ont rapidement été compensées par la vitesse de réaction et ses contre-pieds qui surprennent ses adversaires. Puis est venu l'apprentissage de l'usage des arcs. L'arc court pour commencer, plus adapté à sa morphologie et dont la moindre portée en fait une arme utilisée à cheval ou lors d'attaques surprises. Quand son tir s’est fait précis et ses volées de flèches rapides, c'est l'arc long qu'il lui a fallu apprendre. La tension de la corde qui nécessite une traction importante est pénible. Sa précision s'en ressent. Elle ne deviendra jamais une grande adepte de cette arme.
En comparaison, l'arbalète et ses carreaux assassins s'est imposée à elle, malgré le temps nécessaire pour tendre le câble à l'aide de la manivelle. Quelques mois après, Ren lui en fera confectionner une, particulièrement souple, qu'elle pourra réarmer rapidement avec les deux mains.
Finalement, ce sont des armes de combat qu'elle apprend à utiliser, légères ou lourdes. Harnachée comme tous, elle commence par recevoir plus de coups qu'elle n'en donne. Puis, vive et alerte, elle devient l’égale des moins doués ou des lourdauds, pour être progressivement redoutée, quand elle doit affronter en combat individuel ou lors de duels deux, puis trois ou quatre adversaires. Ces jours-là, elle termine couverte de bleus et la tête bourdonnante des coups de sabre, de lance ou de bouclier que son casque protège de son mieux, quand ce n'est pas un marteau de guerre allégé qui la frappe. Et toujours, les courses sur le terrain d'entraînement, parcours parfois interrompu par l'apparition d'une cible sur laquelle elle doit lancer des dagues de jet, sans reprendre son souffle pour ajuster son tir. Des épreuves encore pendant lesquelles un adversaire surgit, lui laissant à peine le temps de dégainer son épée, quand le maître d'armes lui laisse en porter une. L’assaut déséquilibré face à un combattant armé, alors qu'elle-même ne l'est pas, se révèle toujours difficile. Seule sa rapidité, ou sa souplesse lui permet d’éviter son adversaire et de continuer sa course, quand elle n'arrive pas à prendre le dessus.
Une autre facette du combat est d'apprendre à mettre hors de nuire un agresseur qui vient l'attaquer par derrière. Un apprentissage douloureux quand elle est assaillie par Ren lui-même. Un soldat d'élite dont les déplacements silencieux surprennent Mina dans des conditions inattendues, celui-ci ne la prévenant pas quand il la soumet à l'exercice. Les mois ont passé, les années se sont succédées. Les épreuves factices ont été remplacées par de vraies missions durant lesquelles il a fallu déjouer les risques réels. Ne pas se faire prendre, ne pas être blessée et revenir, sa tâche remplie correctement révélant toujours une part de surprise parfois heureuse, mais souvent porteuse de danger. La formation de Mina ne s'est pas arrêtée à courir, manier les armes les plus diverses et savoir écouter. Ren qui lui a appris à lire, écrire et compter l'a envoyée dans des régions différentes pour pouvoir parler des dialectes et des langues étrangères, quand elles n'étaient pas étranges. Étudier l'histoire des royaumes et leur géographie pour arriver à la compréhension des conflits. Des guerres que les traités de paix signés, porteurs de clauses obscures ont parfois de nouveau alimentées.
C'est lors de plusieurs missions, quand elle s'est trouvée menacée qu'elle a découvert ses dons. Le premier, gagné pendant de son apprentissage, est celui de la rapidité d'exécution qu'elle ne percevait pas réellement. Sa vie mise en danger, tout naturellement ses gestes sont devenus plus rapides, plus forts, lui permettant de se déplacer avec une célérité surprenante et d’apparaître là où on ne l'attendait pas.
Le deuxième s’est révélé quand, rentrant de mission, une rangée de gardes du prévôt bloque l’accès à Moissanges. Marmonnant son dépit et le temps perdu, elle s’avance sans réfléchir au-devant des soldats du fonctionnaire. Qu’ils l’ignorent et la laissent traverser sans réagir, elle en est bouche bée. Dans sa surprise, elle manque de se faire prendre, quand elle arrête de grommeler, ressortie derrière la rangée des gardes. C’est la tête d’un passant qui la voit apparaître devant lui qui l’alerte. Comprenant à demi, elle recommence ses murmures sur un ton de basse et continue jusqu'à se retrouver à l'abri dans une ruelle où elle cesse de se dissimuler. Épuisée par l'exercice, Mina s'est laissé glisser au sol pour reprendre des forces, s'étonnant et se réjouissant d'une trouvaille qu'elle s'est exercée à contrôler régulièrement depuis.
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