L'attaque au Donjo

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Les élèves de Ren Takato d'origines diverses viennent apprendre ou se perfectionner sous sa férule. Les nobliaux sont ceux qui font le moins d'effort. S'entraînant avec Ren Takato, ils y voient surtout le prestige d’être formés par le maître incontesté de la capitale des Provinces-Unies. Par ailleurs, l'argent familial leur assure la disposition d'une troupe dont le nombre d'hommes est proportionnel à leur fortune.

Ceux qui travaillent dur au Donjo, ce sont les mercenaires qui ont accumulé assez d'écus au cours de missions dangereuses et souhaitent s’améliorer pour rester en vie. Il y a aussi ceux qui cherchent à être plus efficaces, afin d'être recrutés pour escorter. Là, mêlés aux gardes armés, ils seront seulement chargés de la défense rapprochée d'un noble ou d'un de leurs rejetons. En fait, leur objectif est d'être engagé pour des activités bien moins difficiles et beaucoup moins dangereuses. Tous savent qu’accompagner les caravanes ou les marchands qui se déplacent d'une région à l'autre est le meilleur moyen de venir retrouver les dieux.

Durant son apprentissage des armes, Mina s'est amourachée d'un garçon qui se joue d'elle. Le jeune nobliau, un vicomte est son premier béguin. Au final, après plusieurs semaines de flirt, elle lui offre sa première nuit d'amour. Satisfait, Louis-Etienne l'abandonne, sa victoire obtenue, retrouvant sa compagne habituelle avec laquelle il sort depuis longtemps, sans que Mina ne l'ait jamais su. Marquée par le chagrin, elle s'attache peu par la suite. Takato qui a suivi l'affaire sans intervenir s'efforce de consoler Mina. Quant au nobliau, Ren ne le ménage pas, l'obligeant à travailler durement et à affronter des adversaires qui ne sont pas à sa mesure. Fréquemment, il envoie clairement le jeune homme se faire rosser.

Pourtant, c'est un autre tour que va prendre ce conflit amoureux. Contraint par son père à suivre la formation du Donjo le plus réputé, Louis-Etienne digère mal la rudesse du maître d'armes à son égard. Le fait que Mina le rabroue, quand il veut l'enlacer ou l'embrasser l’énerve tellement, que progressivement, il devient agressif avec elle. Mais Mina qui travaille toujours aussi fort pour s'améliorer le tient très fréquemment à distance, quand ils combattent sous la directive de Ren Takato, ce que le jeune homme accepte encore moins.

Elle ouvre les yeux péniblement. Son corps la fait souffrir de toutes parts. Sa tentative, pour porter sa main à sa tête plus douloureuse que le reste, échoue. C’est quand elle prend conscience qu'elle est attachée et enfermée, que tout lui revient en mémoire. Dans le Donjo, alors qu'elle rangeait les armes et nettoyait le sol après le départ des élèves, elle avait vu s'avancer vers elle Louis-Etienne, son tourmenteur habituel accompagné de trois autres garçons inconnus d'elle. Son regard, son mauvais sourire lui avaient immédiatement laissé comprendre que ça ne se passerait pas comme d'habitude. À l'évidence, cet imbécile ne se bornerait pas à se moquer de ses origines, ni du ménage qu'elle fait.

Elle balaie la pièce des yeux. Chacun des quatre a pris place de façon à lui interdire toute tentative, que soit sortir ou accéder au râtelier d'armes. Son balai se révèle sa seule défense. Mina déglutit, son pouls s'accélère.

— Ah ! Des courageux, à ce que je vois.

La remarque n'est relevée que par l'un d'entre-deux et encore brièvement.

Ça sent le guet-apens bien préparé.

Deux se sont approchés. Le vicomte est resté en arrière, il semble se délecter de la situation. Personne n'a prononcé le moindre mot, sans doute pour l'impressionner. Alors que les deux sont presque à portée de main, Mina se lance à l'attaque. Son balai qui attendait, posé au sol comme si elle allait continuer son ouvrage, s'est transformé en un bâton de combat. L'extrémité est venue frapper le plus proche à l'estomac le faisant se plier en deux sous la douleur. L'autre, qui a marqué un temps d'arrêt, se voit gratifier d'un balayage à la tempe qui l'abasourdit. Mais le coup a brisé le manche en deux. Comprenant que leurs camarades sont en difficulté et la pensant désarmée, les deux autres se sont précipités. Mina n'est pas resté sur place.

Bouger, vite, mettre le plus d’écart avec eux.

Pourtant, impossible d'aller à un râtelier prendre une arme. Chaque tentative est contrée par un ou deux garçons. Malgré tout, elle les tient à distance grâce à son morceau de bois. Le temps passe, elle est seule au Donjo, Ren est sorti en ville. Ce n'est pas en laissant s’égrener les traits de bougie qu'elle se tirera d'affaire. Deux pas sur le côté, un demi-tour, elle fonce vers le plus costaud des quatre, il avançait confiant. Surpris par sa feinte, elle le bouscule, mais un réflexe et il tend la main pour l'attraper, ce qu'il réussit à moitié. Mina se débat pour se libérer. Les autres se sont approchés, il faut bouger. Le garçon qui cherche à la maîtriser se penche sur elle pour la prendre par la taille. Mauvaise idée. Mina se redresse et lui envoie un coup de tête qu'il reçoit en pleine face. Un craquement, un cri. Elle se dégage, s’éloigne un peu. Lui se tient le nez, le sang qui coule macule sa main et ses habits.

Quel idiot. J'espère qu'il n'est pas trop amoché…

Un instant de flottement dans la bande, puis les quatre s’organisent en arc de cercle autour d'elle, l'acculant vers un mur.

Il faut trouver une ouverture ou la créer.

Louis-Etienne l'invective, se moquant d'elle pour lui faire perdre ses moyens ou la distraire. Elle est dangereuse, sans doute meilleure que lui, même s'il ne peut pas l'admettre venant d'une fille. Le morceau de bâton qui lui reste est une arme, tous les deux le savent. Un signe de la tête et le quatuor avance pas à pas vers elle. Le plus petit, le moins expérimenté est légèrement décalé dans la demi-lune. Elle fait deux pas en direction de l'autre côté. Puis dans un contre-pied, elle court vers le maigrichon qu'elle bouscule et se retrouve à l'extérieur de l'étau. Pas le temps de bouger que la nasse s'est reconstituée.

— Vous deux, occupez-vous d'elle, lance le vicomte ! Toi avec moi.

Ils se dirige vers un râtelier, prend un gourdin léger, désigne un autre à son complice et les deux garçons reviennent rapidement pour encadrer Mina.

— La lâcheté se mesure aux armes qu'on utilise. Minable que vous êtes !

C'est un instant de gagné, mais elle sait qu'elle n'a aucune chance contre ce type d’instrument. Son bâton est trop court, les quatre nombreux. Seule la surprise lui donnera un avantage, faible, mais… Elle se lance en visant Louis-Etienne au visage. L'esquive du vicomte lui permet d'éviter d'être éborgné, mais l'extrémité brisée lui marque la joue d'une balafre à laquelle il porte la main. La légère hésitation de Mina à la vue de la marque sans doute indélébile, qu'elle a fait au jeune homme lui est fatale. Malgré un pas de côté quand elle entend un sifflement, elle reçoit un coup de gourdin à la tête. Assommée, elle tombe au sol.

— Enfin ! Coriace cette garce, commente l'un des garçons.

— Oui, on a mis trop de temps. On l'embarque. Maintenant, attachez-la bande de bons à rien ! s'écrie-t-il, tenant sa main sur sa joue blessée !

Passablement en rogne après les coups reçus, ils ne la ménagent pas. Les cordes avec lesquelles ses pieds et ses poignets sont tellement serrées, qu'elle sent la douleur du sang qui ne passe plus dans ses extrémités, malgré l'étourdissement dont elle sort lentement.

— Allez, on ne traîne pas, on l'emmène comme prévu, ordonne le vicomte.

Le garçon au nez cassé la saisit, sans effort il la charge sur son épaule. Alors qu'ils se rapprochent de la sortie qui mène vers les écuries, ils entendent le martèlement des sabots d'un cheval qui tire un fiacre.

— Toi, tu la fais taire et les autres, vous prenez chacun un gourdin. Et sans bruit !

Ainsi armés, les trois garçons se positionnent derrière la porte, celui qui maintient Mina s'est éloigné. Il s’est placé le long du mur, de telle sorte que le maître d'arme ne puisse pas voir celle qu’il maîtrise, encore à moitié assommée sa bouche est couverte d'un linge qui l'empêche d'avertir l'arrivant. Le vicomte se tient face à l'entrée. La porte s'ouvre. Ren Takato s'avance, il marque un temps d'arrêt en découvrant Louis-Etienne, appuyé sur son gourdin comme sur une canne. Le sifflement qu'il perçoit avec retard ne lui permet pas de parer le coup. Il est frappé violemment à la tête. En dépit de cela, il se tourne vers son agresseur pour recevoir un deuxième choc qui l'assomme pour le compte.

— Bravo ça, c'est bien mené !

Encore estourbie, Mina a vu le maître d'armes s'effondrer et le sang couler de sa tête. Elle les invectives, s'agite en tous sens. Le chiffon qui lui obstruait la bouche tombe. Elle se met à traiter les quatre lâches des mots les plus orduriers qu'elle connaît. Louis-Etienne la regarde et rit :

— Ah, voilà ! C'est un langage de fille des rues, digne de ce que tu es malgré tes grands airs. On va te montrer comme on les traite, nous autres. Allez ligotez le vieux et emmenez-le avec elle et bâillonnez-la correctement, il ne faudrait pas qu'elle se mette à crier dehors.

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