L'enlèvement
Mina se retrouve à nouveau étouffée par un chiffon sur la bouche auquel est ajouté un sac qui l'aveugle. Elle a à peine vu que le maître d'armes subissait le même traitement. Portée par le costaud de la bande, elle est jetée dans un véhicule. Le cri qu'elle pousse quand sa tête cogne au montant de porte est amorti par le bâillon et le tissu qui la couvre. Aux secousses, elle perçoit qu'on les a mis dans un cabriolet. Le trajet les mène au travers des rues pavées de la ville. Pas un mot n'est échangé entre les complices. Les bottes de l'un d'eux, sans doute le vicomte, sont posées sur son torse la meurtrissent. Les chaos du carrosse se sont accentués avec la vitesse.
On a quitté la Moissanges, où peuvent-ils nous emmener, sûrement dans une propriété du comte, à moins qu'il n'ait déjà donné une maison à son fils ?
L'arrivée à destination se fait comme au départ, sans douceur. Mina et son mentor sont emportés dans la demeure. Elle sent qu'on les descend dans des caves. Liée comme elle l'est, impossible de tenter quoi que ce soit. Le cheminement se termine quand après un bref arrêt, elle est jetée au sol sans ménagement, vite rejointe par son professeur quand elle entend le choc sourd d'un corps à côté du sien.
— Qu'est-ce que tu comptes faire d'eux maintenant ? C'était pas prévu que ça se passe comme ça. On était d'accord pour donner une leçon à la femme, mais le Maître d'armes, c'est pas pareil.
— Quoi, tu as peur ? Ça change quoi ? La fille je vais lui montrer ce qu'il en coûte de me traiter de haut et après…
— Oui, et après ? demande un autre des comparses.
— Je me débarrasse d'eux, pas le choix maintenant.
— Tu es fou, tu sais ce qu'on risque ?
— Si personne ne parle, il ne se passera rien. On est assez loin de la ville, nous jetterons les corps dans la rivière, une pierre au cou et il ne restera pas de traces.
— Pas d'accord ! Il s’agissait juste de donner une leçon. Moi, je vous laisse. Je ne me rendrai pas complice de deux meurtres !
— C'est ça, dégage. Je n'ai pas besoin de lâches. Dégage je te dis !
Le grincement d’une porte qui s'ouvre, un cri, le bruit d’un corps qui s'effondre.
— Attachez-le avec les autres. Quoi ! Vous voulez qu'il nous dénonce ? Tôt ou tard, c'est ce qu'il aurait fait, il ne nous laisse pas le choix ! Allez dépêchez-vous avant qu'il ne se réveille.
Des bruissements, des frottements, des grognements.
À les entendre, il doit être lourd, si ça se trouve, c'est celui qui m'a attrapée par derrière.
— Il ne vaut mieux pas traîner ici pour le moment. On va à l'auberge manger et boire une bouteille. On reviendra s'occuper d'eux cette nuit.
Les trois complices quittent la cave. La porte se referme. Mina qui écoute ne perçoit pas de verrou bloquer la pièce.
Bon, c'est déjà ça, maintenant il faut profiter du peu de temps qui nous reste.
Elle rampe, cherche le corps du maître d'armes.
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Ses deux mains liées, elle se penche, du bout des doigt, elle tire un petit couteau de l'une de ses bottes. Le prenant par le manche, elle tâtonne pour taillader les lacets de ses pieds. Une violente douleur quand la corde la libère. Elle se met à genoux pour essayer de coincer la lame pour dégager ses poignets. De réussites en échecs, peu à peu, les liens finissent par être coupés. Malgré la brûlure du sang qui revient à ses doigts, elle se défait du sac qui lui recouvre la face et retire son bâillon. A côté d'elle, deux corps. Ren Takato et le larron devenu victime. Elle pose la main sur l'épaule du maître qui tressaille, se penche vers la tête encapuchonnée et murmure :
— C'est moi, Mina, j'ai réussi à me délivrer, je m'occupe de vous.
Le grognement d'un bref assentiment lui confirme qu'il est vivant. Dès lors, elle ne perd pas de temps et coupe les liens qui l’entravent. Tandis que l'homme se défait du sac et de son bâillon. Celui-ci se redresse. Une brève accolade les rapproche un instant.
— Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait de lui ? demande le maître.
— Ils allaient lui faire subir le même sort que nous, c'est plus un idiot qu'un assassin. Le mieux, c'est de le mettre dans notre camp pour le moment. De toute façon, il faut fuir rapidement. Si j'ai bien compris, nous avons peu de temps.
Mina défait les liens du garçon. Le bâillon retiré, c'est avec un regard halluciné qu'il les regarde.
— Mais comment vous avez fait pour vous détacher ?
— On est moins bêtes que vous quatre. Pour autant, on ne va pas livrer tous nos secrets, lui jette Takato. Maintenant, tu as le choix, tu les rejoins et tu leur annonces notre fuite ou tu files avec nous. Dans un cas, tu deviens un assassin et tu risques malgré tout de finir en cadavre. Mais, je doute qu'ils te fassent confiance, l'autre solution… C'est de venir avec nous.
— Oui, mais ils me retrouveront et ça reviendra au même, je terminerai au fond d'une rivière.
— C'est un moindre danger, car je ne vais pas laisser ça passer. Ce ne sont pas trois gamins qui dictent la loi.
— Vous allez les tuer ?
Un rire bref du maître.
— Non, mais il y a parfois pire que la mort. Viens, on va s'occuper de ça rapidement. Ah, un détail, pour gagner brouiller les pistes, on emporte les cordes et les sacs. Ça leur donnera un peu de réflexion, s'ils en sont capables, et on gagnera davantage de temps.
En silence, ils sortent de la cave, guidés par le larron. Toujours dans la plus grande discrétion, après avoir gravi la volée de marches, ils entrouvrent la porte qui mène à l’extérieur de la maison. Dans la cour tout est calme. La voiture qui les a amenés est partie avec le vicomte et ses deux complices.
— D'où êtes-vous partis, demande Ren ?
— On s'est retrouvés ici au domaine et on est parti au Donjo avec la calèche.
— Ça veut dire que vous êtes venus avec des montures ?
— Oui, nos quatre chevaux. On a pris l’attelage qui reste toujours là avec ses bêtes.
— Ça tombe bien, on est trois. Allez, direction les écuries.
La maison est silencieuse, elle semble n'être occupée qu'occasionnellement et le personnel doit venir avec le comte. Les coursiers sont sellés et menés par la bride jusqu'à l'arrière des bâtiments. C'est par les prés et les chemins des pâtures, qu'ils regagnent la ville. Inutile de prendre le risque de rencontrer les compères qui se sont arrêtés dans un bourg pour manger, boire et fêter leur victoire avant de revenir. Il fait nuit noire, quand ils arrivent aux portes de la cité. Les gardes royaux qui les contrôlent les laissent passer en reconnaissant le maître.
— On va où, demande Mina ?
— Chez le comte, c'est la seule solution. C'est à lui de résoudre ce problème.
Elle regarde leur compagnon.
— Et lui ?
— Oh ! ll vient avec nous. Son unique chance de survivre à tout ça est dans les mains du comte.
— Sinon ?
— Sinon il ne nous reste qu'une solution, une quadruple solution…
Le garçon les suit la tête basse, tandis qu'ils cheminent dans les rues, montant vers la ville haute en direction du palais comtal. Le garde, à l’arrivée des trois cavaliers qui se dirigent vers lui, donne l'alerte et quatre hommes d'armes viennent le renforcer.
— Vous voulez quoi ?
— Voir le Comte.
— Comme ça, en pleine nuit, vos croyez qu'il va vous recevoir. Regardez comment vous êtes habillés ?
C'est vrai qu'ils ont une triste mine, vêtements froissés, cheveux ébouriffés, une traînée de sang au visage pour Ren. Une toux insistante fait tourner la tête à celui qui les interpelle. Il s'approche de celui qui attirait son attention. Quelques mots s'échangent entre les deux hommes. Revenant vers les cavaliers, le garde les apostrophes :
— Vous êtes qui d'abord ?
— Bonne question Sergent, vous êtes sergent n'est-ce pas ?
— Oui, je suis sergent fait-il en se rengorgeant, mais vous m'avez pas répondu !
— C'est vrai, je suis maître d'armes et voici mes compagnons.
— Des maîtres d'armes y en a plein la cité, alors moi, vous voyez…
Une nouvelle quinte de toux.
— Sergent, c'est LE Maître d'armes.
— Qu'est-ce que tu dis-toi ?
— Votre collègue a raison sergent, je suis LE Maître d'armes. Vous savez, celui qui forme le Vicomte. Enfin quand il daigne se donner la peine de venir s'entraîner…
L'homme pâlit et pour afficher une bonne contenance il leur ordonne :
— Bien, vous entrez, mais descendez de cheval. Et vous avez des armes ?
Chacun lève ses bras pour montrer l'absence d'épées puis démonte et franchit les portes que les gardes ont ouvertes pour eux. Des palefreniers alertés par le bruit des sabots sur les pavés les débarrassent de leurs montures. Un murmure entre eux indique aux trois arrivants que l’étalon du vicomte a été reconnu. L'un d'entre eux, qui informe le soldat, lui tire un cri :
— Quoi, le cheval du Vicomte, tu es sûr ?
— Oui Sergent.
— Et vous autres, vous expliquez ça comment ?
— Par la raison pour laquelle on veut voir le Comte Louis, Sergent tout simplement.
— Il est arrivé quelque chose au Vicomte ?
— Pas encore que je sache, répond Ren, mais ça pourrait ne pas tarder.
Et changeant de ton :
— Alors vous nous accompagnez vers le Comte Louis ou on se rend auprès de lui tous seuls ?
— Deux gardes avec moi, vous restez derrière eux et si l'un d'entre eux tente quoi que ce soit, vous le hachez menu !
— Oh, Sergent, vous pensez que trois personnes désarmées vont s'attaquer au Comte Louis, quand une armée commandée par vos soins garde le château, se moque Ren.
Précédés par le soldat, ils franchissent le perron, passent la large porte et gravissent les marches pour gagner l'étage. Sur un palier, face à eux, deux gardes.
— Des visiteurs pour Monsieur le Comte, un maître d'armes de la cité et ses deux compagnons. Apparemment, ça concerne Monsieur le Vicomte. En plus, ils ont ramené son cheval.
L'un des plantons, un lieutenant, cogne à la porte et entre, refermant derrière lui. Après quelques minutes, la porte s'ouvre sur lui à nouveau.
— Monsieur le Comte vous attend. Mais je dois vous fouiller avant.
Il se pivote vers le sergent.
— Tu n’as pas vérifié, évidemment !
Dans un bafouillage, l'homme répond :
— Non, enfin je…
— Bon, vous autres, donnez ce que vous avez sur vous.
Mina, se penche et retire du bout des doigts le petit couteau de sa botte et le tend au garde.
— C'est tout ce que j'ai.
Elle tourne sur elle.
— En plus, habillée comme ça, rien à cacher.
Alors qu'elle a les bras levés, sa chemise suit ses mouvements. L'homme qui la regarde sourit.
— C'est bon. Les autres ?
— Rien pour moi, proteste le complice du quatuor.
— Je n'ai rien, vous pouvez me fouiller affirme le maître d'armes.
— Rien dans les bottes ?
— Eh non !
— C'est le Maître d'armes lui lance le sergent !
Sans le regarder, le lieutenant lui répond :
— Oh ça, je le sais, n'est-ce pas Maître ?
Et il ajoute en souriant :
— Tu as l'air malin avec tes deux gardes. À lui tout seul s'il l'avait voulu, il serait entré et vous seriez resté aux portes, dans un sale état en plus. Mais comme il venait amicalement il est resté poli. Ah ! la jeune fille là aussi, un conseil, ne t'y fies pas. Entrez, Monsieur le Comte vous attend et toi, retourne aux grilles.
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