Le prix à payer
Le temps s'est écoulé, le comte recouvre son calme, après sa froide colère. Le trio qui lui fait face, tente de garder bonne contenance, après la scène à laquelle il a assisté. Quelques grains de cire ont fondu avant que le lieutenant ne réapparaisse et regagne sa place à la porte.
— Reprenons à notre affaire. Que voulez-vous en dédommagement ?
C'est le silence qui lui revient en écho.
— Quoi ! vous êtes bien venus pour obtenir une réparation, je ne me trompe pas ? vous attendez quoi, de l'argent, une belle bourse pleine d'écus.
Son ton s'est fait méprisant. C'est Ren qui lui répond :
— Il me semble cher ami que c'est mal me connaître. Pourtant les années passées ensemble devraient vous suffire pour savoir que ce que vous proposez ne me ressemble pas et pourrait être interprété comme une insulte. Pour la jeune fille que j'instruis, je me porte garant d'elle. De ce point de vue, elle est comme moi. Je ne parlerai pas pour le garçon, sans le méjuger, il semble avoir un fond honnête malgré ses fréquentations.
— Et qu'attendez-vous de moi ?
— Rien Louis, rien. Mais si d'aventure, votre fils s'avisait de tenter quoique ce soit envers nous, dans ce cas je ne crois pas que l'un ou l'autre aurait le moindre remords s'il devait vous être rendu ayant passé trépas.
Le comte blêmit.
— N'oubliez pas qu'il avait conçu le projet hâtif certes, mais réel, de nous occire. Qui sait s'il ne le garde pas encore en lui ?
Une réflexion un peu longue s'installe de part et d'autre.
— Soit, je vais l'éloigner. Hélas vous avez raison.
Il regarde vers son officier.
— Lieutenant, une idée ?
— Vous aviez souhaité faire former votre fils au Donjo afin qu'il apprenne le maniement des armes en même temps que la rigueur. Il a étudié suffisamment pour tâter du terrain, peut-être que cela suffira à le ramener dans le droit chemin.
— Si je l'ai cru jusqu'à présent, à partir de ce jour, j'en doute. Que me proposez-vous ?
— Un enrôlement dans les Marches avec un poste d'officier ?
À la proposition de son officier, le comte se rembrunit.
— Il va y risquer sa vie Lieutenant, vous en avez conscience ?
— Oui Monseigneur, pleinement. Mais vous, le maître d'armes et moi savons qu'on peut en revenir. Parfois avec gloire, pour peu qu'on ait un cerveau et qu'on veuille s'en servir. C'est une dure école, mais elle a profité à d'autres avant lui je crois.
Le comte se tortille sur son fauteuil tandis que le visage de Ren affiche un sourire contrit. Un soupir, un raclement de gorge.
— Tu as raison Ethan. Enfin, vous avez raison Lieutenant. La vie est risquée aux Marches, mais c'en est le piment. Celui qui vous rend fort et humble en même temps. Les années passé à combattre nous ont profité à tous trois, si je regarde en arrière… C'est dit. Maintenant à vous. Avant que j'envoie mon rejeton découvrir d'autres lieux, il me faut vous adresser mes excuses, j'ai ma part de responsabilité là-dedans.
— Louis, vous savez bien que nous n'attendions rien en venant à vous, pas même des excuses. Toutefois, il convient que ce jeune homme, qui s'est bêtement laissé entraîner ne se retrouve pas la gorge tranchée par une lame un soir. Il reste deux complices, des garçons qui n'avaient pas les mêmes scrupules à l'évidence.
— C'est vrai, qu’on ne se préoccupaient pas de ceux-là.
Il s’adresse au garçon :
— En partant, vous allez donner le nom de ces deux lâches à mon lieutenant, il veillera à ce qu'ils se souviennent de tous vous oublier. N'est-ce pas Lieutenant ?
— J'en fais mon affaire, Monseigneur.
— Bon, jeune fille tu ne veux pas d'argent, mais tu n'en as guère, n'est-ce pas ?
— Non Monseigneur, mais ce n'est pas grave, j'ai un toit et un travail en plus des leçons du Maître.
— Je suppose donc avec justesse que tu n'as pas de cheval ?
— Non Monseigneur.
— Bien, à partir de cet instant, tu disposes d'un cheval, je t'attribue celui qu'utilisait mon fils.
Puis, s'adressant à Ren Takato :
— Et toi, je sais que tu ne montes pas d’étalon de guerre depuis un moment, mais ce serait dommage que cette prometteuse jeune fille ne soit pas formée au combat à cheval, tu ne crois pas ?
— Tu as raison, mais est-ce que cela veut dire que je dois m'approprier le cheval d'un autre vaurien ?
— Non, pas de vol, ça ne se fait pas, enfin pas pour nous.
Un regard au soldat et un sourire.
— Dans ton opération de perte de mémoire de certains garçons, veille à ce qu'ils n'oublient pas de céder leurs montures que tu échangeras contre de vrais destriers de guerre.
— Entendu Monsieur.
— Quant à toi, jeune homme, bien que tu aies mal commencé, je t'offre une chance de te reprendre. Tu iras apprendre au Donjo pourquoi cette jeune fille qui est là et qui doit faire… Quoi ? À peine la moitié de ton poids, a réussi à mettre en déroute quatre lascars dont toi. Mais ne doute pas que le moment venu, mon lieutenant ou moi nous te demanderons ton aide. Oh ! Ce ne sera rien de répréhensible, n'aie crainte. Enfin, si le maître d'armes qui officie au Donjo veut bien te prendre dans ses élèves. Crois-moi nombreux sont ceux qui souhaitent y entrer, malgré le prix de son art et sa réputation de ne rien laisser passer à ceux auxquels il enseigne.
— C'est généreux à vous mon ami. Soit, je l'accepterai dans mes cours.
Le comte jette un bref coup d'œil à l'embonpoint du garçon et regarde son lieutenant avec un sourire.
— Il va souffrir, n'est-ce pas ? Lance ce dernier depuis son poste.
Des cinq, il y en a un seul qui ne sourit pas.
— Mais qui payera ma formation ?
— C'est Monsieur le Comte, lui répond le maître d'armes, même s'il n'a pas parlé d'argent ici. Tu peux le remercier, au lieu de te faire rosser, il t'offre une chance unique.
Le garçon tombe un genou à terre pour rendre grâce à son bienfaiteur.
— Bon ça suffit. Ce n'est pas que votre compagnie m'indispose, mais il me va falloir organiser des préparatifs, pour envoyer mon fils faire face à ses responsabilités.
Les trois quittent la pièce saluant chacun à sa manière le comte. Le lieutenant restitue son arme à Mina en lui glissant :
— Si votre maître n'y voit pas d'inconvénient, j'apprécierais de me mesurer à vous. J'ai cru comprendre que vous avez une compétence de premier choix.
— Vous êtes un soldat de carrière qui a combattu aux Marches. Que vous gagneriez vous à un affrontement avec moi ?
— Vous peu, mais ce n'est pas ici que j'affronte des adversaires avec qui rivaliser. Dans mon métier, se rouiller, c'est le bon moyen de ne pas vieillir. Faites-moi le plaisir d'accepter, ne serait-ce qu'une fois ! Si l'un de nous deux n'y trouve pas son compte, nous romprons là.
— Soit, à votre convenance. Au revoir Lieutenant.
— À bientôt, j’apporterai les chevaux au Donjo prochainement.
Ils sortent du château et gagnent la rue, accompagnés du dernier larron. C'est le Ren qui l'apostrophe :
— Je suppose que ce n'est pas ce soir que tu vas rentrer chez toi ? Tu te doutes que tes "amis" t'y attendront, ce soir ou dans les prochains jours. Au fait, ton nom ?
— Lejeune, Maître. Robert Lejeune. C'est vrai qu'il y a de grandes chances qu'ils m'y surprennent à un moment ou l’autre. Les ordres de Louis-Etienne leur parviendront...
— Eh bien, Robert, tu prendras une paillasse au Donjo. On avisera pour la suite.
Se tournant vers Mina, il ajoute :
— Tu t'en occupes. Et puis tu as tapé dans l'œil d'Ethan de Berre on dirait, lui glisse-t-il en souriant.
— Bof, vous vous faites des idées. Qu'est-ce qu'une grignette comme moi peut fricoter avec un homme comme lui ?
On verra, on verra, conclut son mentor.
Annotations
Versions