Ethan de Berre
Un flottement gagne les groupes qui s'affrontent en combat au sabre de bambou ou qui s'entraînent dans l'arène, quand leur parvient le bruit des sabots de plusieurs montures dans la cour du Donjo. Alerté aussitôt, Ren confie la surveillance à l'un des élèves et d'un signe de tête, il indique à Mina de venir. Ils découvrent le lieutenant de Berre et un garde menant à la bride des chevaux de guerre et des montures ordinaires.
— Bonjour Ethan, content de vous revoir.
— Bonjour Ren, bonjour demoiselle. J'amène les chevaux comme prévu. Vous m'indiquez vos écuries ?
— Oui, Mina, tu accompagnes ces messieurs.
Dans les jours après l'altercation. Elle a vidé les anciennes stalles de leur encombrement et les a consciencieusement nettoyées et récurées. Le labeur achevé, avec Ren, ils se sont rendus en ville afin d’approvisionner en paille, en foin et en grain. Le tout livré et remisé, il ne manquait seulement les équidés.
Ethan donne à Mina la longe des chevaux qu'il tient et empoignant celles du garde, il lui intime :
— Retourne au palais !
— Oui Lieutenant.
Et s'adressant à l'entourage :
— Au revoir Maître, Demoiselle, Messieurs…
Il tourne le dos et repart avec empressement.
— Vous me montrez, demande le lieutenant ?
— Avec plaisir, venez…
Elle se dirige vers les écuries, tirant des roussins d'apparence ordinaire, Ethan gérant les chevaux de guerre. Dans la grange, il jette un coup d'œil, repère des anneaux près des portes et montre à Mina comment attacher temporairement les bêtes. Puis, avec elle, il regarde l'agencement, apportant ses commentaires pour améliorer les lieux, le confort des animaux et faciliter le travail de ceux qui s’en occuperont. Explications et aménagement terminés, il lui enseigne à défaire les harnachements et les poser en évitant de blesser les chevaux ou qu’ils ne soient trop lâches. Un brossage rapide des bêtes vient ensuite, le geste et la parole s’ajoutant pour favoriser le lien entre l'animal et son maître. La leçon se termine par l'entretien du cuir de la sellerie et de l'ensemble des autres pièces. Finalement, ils libèrent les quatre roussins dans leur stalle respective avec leur nom marqué sur l'ardoise de la porte.
— Merci Lieutenant, je me rends compte qu'un cheval, ça ne consiste pas seulement à poser une selle et l’enfourcher.
— Content de vous avoir servi alors. Je reviendrai dans une huitaine vous montrer encore d'autres soins à apporter aux bêtes. Sans palefrenier, vous aurez beaucoup à faire et apprendre. Il faudra vous appuyer sur le protégé du comte.
— Robert Lejeune ?
— Oui. Il monte correctement à cheval.
— Vous avez enquêté sur lui ?
— Sur les trois, en effet. Ce sont des fils de petits bourgeois aisés. Le vicomte les a entraînés facilement avec le titre qui est le sien. Afficher un ami dans la noblesse vous vaut en général un semblant de prestige. Ces idiots ont foncé tête baissée dans les bêtises inventées par Louis-Etienne.
Un ange passe.
— Le comte l'a envoyé aux Marches, tente Mina ?
— Pas encore, avant se rendre là-bas, il lui faut le temps d'acquérir un titre de lieutenant et d'organiser son départ en garnison. Mais il devrait partir prochainement, son père n'a pas digéré sa volonté de tuer sur un caprice. Son fils risque sa vie aux Marches. Il sait n'avoir que peu de chances de le revoir vivant, tant il est imbu de lui-même. Mais la parole donnée est essentielle, il ne reviendra pas dessus, quoiqu'il lui en coûte.
— Et sa mère ?
— La comtesse est malade depuis des années. C'est sans doute l'une des raisons qui lui ont fait passer sur les idioties du vicomte. Il lui reste peu de mois à vivre et elle ne retrouvera pas son fils avant de mourir. Elle en veut énormément à son époux. Ainsi va la vie, chacun des trois a ses responsabilités dans cette affaire et paiera le prix infligé par les dieux. Mais laissons cela, allons fixer avec Maître Takato le moment d’un entraînement, si vous acceptez toujours évidemment…
Au Donjo, ils retrouvent Ren avec lequel ils se décident d'une date en début de soirée, loin du regard des autres élèves.
Les journées de travail, l'encadrement des apprentis et de petites missions sans grand intérêt se sont succédés. Aux activités habituelles, s’est ajouté l’entretien des chevaux auquel Robert Lejeune a participé, prolongeant la formation de Mina en la matière. Un emploi du temps toujours chargé, dans lequel Ren glisse, à la moindre occasion, le début de son apprentissage de cavalière.
C'est avec impatience qu'elle attend le fameux soir. Le lieutenant a apporté sa tenue d'entraînement. Après un rapide changement dans le vestiaire. Il retrouve Ren et Mina dans la grande salle vide. Les salutations échangées, Ren tourne autour d'Ethan, jaugeant sa musculature, sa corpulence, le léger embonpoint qui le gagne.
— Bien, tous les deux, échauffement.
Devant le regard étonné de Mina, il ajoute :
— Oui, toi aussi. C'est une préparation de combat. Tu ne formes pas un novice et lui il n’affronte pas l'un de ses mollassons de gardes. Alors dix tours du pas des chevaux. Allez ! Et pas de discussion en courant. Celui de retour sans avoir transpiré recommence dans la foulée !
Un demi trait de bougie plus tard, ils réapparaissent, leur tunique mouillée et le souffle court. Ils boivent un gobelet d'eau et se positionnent, un sabre de bambou à la main.
— Montrez-moi où vous en êtes, Lieutenant.
Un bref salut, l'affrontement débute. Ils se testent, quelques feintes sont échangées durant une pincée de grains de bougie, sous le regard appréciateur de Ren, notant les défauts et les forces qu'ils laissent voir. Jusqu'à ce que retentisse :
— Stop ! Ce n'est pas terrible Lieutenant. Soit, vous faites attention de ne pas toucher mon assistante, soit vous êtes complètement ramolli.
Ethan devient rouge sous le quolibet justifié. Aucune réponse ne sera à la hauteur de la remarque, il se tait, signifiant son accord d'un hochement de tête.
— On débutera par les habituels échanges de coups droit-gauche et haut-bas et inversement. Vous savez utiliser vos sabres, aussi vous ne commencez pas lentement. Vous accélérez au fur et à mesure et n'oubliez pas de vous déplacer en même temps.
Les passes s’alternent et la vitesse augmente. Des ratés ont lieu, jusqu'à ce qu'ils prennent le rythme de l'autre dans les échanges, améliorant précision et accélération. La cloche du soir sonne la fin du travail des ouvriers et des petites mains dans la ville, quand le maître d'arme arrête la danse.
— Terminé pour aujourd'hui. Lieutenant, si vous voulez recommencer à affronter mon élève, vous devez vous remettre à un entraînement d'un autre niveau. Vous manquez de souplesse et de muscles. Votre souffle est rapidement court. La vie de château est trop facile. Le moindre adversaire vaguement sérieux, vous ne tenez pas.
Les deux quittent la salle, allant se baigner et changer de tenue. À leur retour, Ren a préparé une collation qu'ils acceptent avec plaisir.
— C'était comment demande-t-elle ?
Ils écoutent avec attention.
— Moyen, très moyen. Comme je l'ai dit, Ethan, tu as perdu beaucoup par rapport à ce que j'ai connu de toi. Tu as du travail avant de revenir à ton ancien niveau. Quant à toi, Mina, tu n'as fait que le suivre. Jamais tu n'as anticipé, ni accéléré et tenter de le surprendre. La prochaine fois, ce sera plus dur pour tous les deux. Afin de gagner du temps, vous viendrez échauffés dans la salle, sinon, dans une douzaine de lunes, nous travaillerons encore sans que vous n’ayez progressé.
Huit jours après, Ethan et Mina se présentent à un nouvel entraînement. Ren les observe un moment avant de dire :
— Chacun un sabre de bambou.
Ils se servent et se positionnent.
— On recommence. Échanges droite-gauche etc. On va rapidement dès le début et on modifie son rythme. Le but, surprendre l'autre et tenter de passer sa garde. C'est parti !
Les coups claquent. L’allure change brusquement, rapide ou lente. Le meilleur, à capter la cadence impulsée par l'autre, c'est Ethan. À plusieurs reprises, Mina est surprise lors d’une modification qu'elle venait tout juste d'imposer, manquant de surprendre son adversaire. Sans le montrer, elle s'est ajustée. Dubitative, elle lance sans cesse changement sur retournement dont aucun ne met en défaut son rival. C'est sur une attaque vive du lieutenant, à la limite de passer sa garde, qu'elle prend l'avantage. Son don de rapidité lui permet d'esquiver et de rendre dans le même mouvement, le coup qui conclut l’échange par l'envol du sabre d’Ethan. L'un et l'autre se regardent sous l'œil de Ren souriant.
— Enfin. Vous avez mis du temps tous les deux à sortir de votre confort.
Ils le regardent surpris.
— Quoi ? Vous pensiez qu’il s’agissait d’un petit entraînement, vous plaisantez ? L'un et l'autre, vous savez manier à peu près n'importe quelle arme sans avoir besoin de retravailler la technique. Même s'il faut se méfier de ce qu'on perd vite, par rapport au temps nécessaire à acquérir le bon geste. Non, vous disposez tous les deux de qualités personnelles particulières.
Devant leurs mines interrogatives, il complète :
— Mina, pose-toi la question, pourquoi n'arrives-tu pas à le surprendre ? Toi Ethan, pourquoi tu ne l'as pas vue venir ?
Les deux épéistes se regardent. Les rouages dans leurs cerveaux tournent à pleine vitesse quand la réponse fuse dans le même temps :
— Un don !
— Exact, vous avez chacun une force. Laquelle, ça ne m'appartient pas de le révéler. Quand vous vous affronterez, pensez-y. Et à chaque fois que vous combattrez un adversaire avec des armes réelles, faites en autant. Votre existence en dépendra. Sa spécificité, l'autre ne l'affiche pas sur son visage. Sa botte secrète lui permet de rester en vie ou de ne pas revenir blessé avant même d'envisager de battre un ennemi.
L'entraînement se termine comme le premier par un bain et un changement de tenue, puis une collation pendant laquelle tous trois devisent tranquillement.
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