[Partie I - La Providence] Chapitre 9 : Capto ! Capto ! Capto ! Capto !
Chapitre 9 : Capto ! Capto ! Capto ! Capto !
L’accueil central au milieu duquel se trouvait l’assistante se dressait à l’entrée de l’espace. Carrie Samoïne y occupait cette fonction depuis quelques mois avec professionnalisme et engouement.
– Bonjour Carrie.
Son interlocutrice esquissa un très large sourire et de sa petite voix aux intonations grotesques comme échappée d’un dessin-animé pour très jeunes enfants, une voix aigüe qui prenait naissance dans le fond de la gorge, lui répondit :
– Bonjour Sulina. Docteur Chown vous recevra dans quelques instants. Je vous invite à vous asseoir. Désirez-vous que je vous serve une boisson chaude ? Un verre d’eau ?
Sulina déclina la proposition et s’installa dans l’un des fauteuils en cuir beige installés de part et d’autre de la pièce. Elle s’immergea dans la sérénité de cette salle d’attente vide, par moment perturbée par des sonneries d’appareils de communication sophistiqués, et toujours par la voix obsédante de Carrie.
– « Bonjour Monsieur…Bien entendu…je peux vous proposer demain à 14h30 ?...non hélas Monsieur Chown est en déplacement ce samedi…ou sinon lundi dans la matinée ? Très bien. Il n’y a pas de souci je comprends. A très bientôt. Au revoir Monsieur. »
A peine avait-elle mis fin à la conversation qu’une sonnerie, différente celle-là, retentit à nouveau.
– Oui Madame la Directrice…Bien sûr Madame la Directrice…En urgence, je comprends. Je…oui tout à fait…non bien sûr...en rendez-vous actuellement, le prochain est arrivé…Laissez-moi 2 petites secondes…voilà, c’est fait… C’est exactement cela oui…C’est fort possible…D’ici quelques minutes je pense….
Très moqueuse, Sulina se laissa aller à imaginer l’échange téléphonique entre la jeune assistante et Madame De Boréal et se mit à sourire à l’idée que cette dernière puisse tenir des propos absurdes :
– Oui Madame la Directrice – Dites-moi, suis-je la plus belle ? - Bien sûr Madame la Directrice – Ta parole ne vaut rien, J’ai besoin d’être rassurée, je dois parler à Chown – En urgence, je comprends. – Passez-le moi tout de suite – Je – J’ai dit tout de suite – oui tout à fait – Pas dans 2 heures – non bien sûr – Ou est-il ? – en rendez-vous actuellement, le prochain est arrivé – Qui est-ce ? Envoyez-moi l’identité – Laissez-moi 2 petites secondes…voilà, c’est fait – Sulina ? La morveuse ? – C’est exactement cela oui – Pauvre Kennedy, il va en baver avec elle – C’est fort possible – A quand le début du calvaire pour Kennedy ? – D’ici quelques minutes je pense – Il va falloir la mater la petite….
Cette divagation puérile fut interrompue par l’attention portée sur certains mots prononcés par l’assistante :
– Le protocole comme d’habitude….oui je viens de le signaler…Tout sera mis en œuvre, vous pouvez compter sur moi…Je vous remercie Madame la Directrice…A très bientôt…Oui…Merci…Au revoir Madame…
Une fois que Carrie eut raccroché, son regard se posa instinctivement sur Sulina qui l’observait et à qui elle esquissa de nouveau un large sourire. Embarrassée par la situation, la jeune assistante ne put s’empêcher de démarrer une conversation on ne peut plus banale, comme certains aiment le faire dans le but de se rassurer :
– Le Docteur Chown ne devrait plus en avoir pour très longtemps… . L’assistante tapotait sur son poste alors qu’elle continuait à parler.
– Le temps commence à se rafraîchir je trouve mais le fond de l’air reste agréable.
– C’est exact. Et puis, tant que nous n’avons pas de pluie…
– Tout à fait - prenant un air grave surjoué digne d’une actrice ratée de série B, Carrie enchaîna alors - les pluies torrentielles de la semaine dernière étaient impressionnantes. Ca faisait bien longtemps que cela n’était pas arrivé. J’en frissonne encore.
– Oui très impressionnantes…quoique peu surprenantes à cette période de l’année.
De nouveau l’assistante esquissa un large sourire. L’une comme l’autre étaient arrivées au bout de leur argumentation dénuée d’intérêt. Seule pouvait les sauver la venue du docteur Chown qui tardait à mettre fin à son rendez-vous. Hélas cette interruption se faisait prier, obligeant les deux jeunes femmes à poursuivre leur échange.
Pendant ce temps, Lony continuait à démêler les fils de son ligato comme plongé dans une métaphore de sa propre vie.
Son attention fut détournée par les cris d’adolescents provenant de la salle à proximité qui incitèrent le jeune homme à interrompre son activité. En s’approchant de la pièce, les cris devenaient de plus en plus distincts :
– Capto ! Capto ! Capto ! Capto !
Au vu de l’attroupement d’adolescents qui s’était formé en cercle autour d’une scène qu’il ne parvenait pas à entrevoir, Lony comprit rapidement qu’une bagarre avait éclaté. En se dressant sur la pointe de ses pieds et en faufilant sa tête au-dessus des épaules de ses compagnons, il aperçut le méli-mélo chaotique que formaient Léon et Yago, deux résidents de l’âge de Lony. Ce dernier resta à l’écart de ce tohubohu en attendant l’intervention inévitable des nutrix et/ou agents superviseurs. L’animosité ambiante était palpable et les cris de rage que lançaient certains adolescents dans le but d’attiser ce combat ne faisaient que renforcer le caractère bestial de la scène qui se déroulait.
Ces échauffourées étaient légion au sein de la Providence. Comment pouvait-il en être autrement alors qu’elle abritait des enfants et adolescents aux caractères nuancés vivant de manière autarcique ? Des agents superviseurs furent les premiers à arriver sur les lieux, provoquant instantanément la dissolution spontanée du groupe. Seuls Léon et Yago continuaient à se donner des coups dont la violence allait crescendo en dépit de l’effet de la fatigue. Très rapidement séparés, les deux ennemis furent emmenés sans ménagement dans les quartiers de sécurité afin d’être interrogés et, à n’en pas douter, avisés de leur punition.
Lony profita de la dispersion des résidents pour questionner l’un de ses camarades :
– Que s’est-il passé ?
– Yago s’est moqué de Léon car il perdait au clubix
– C’est tout ?
– Tu connais Léon, il est mauvais perdant. C’est facile de le pousser à bout.
L’interlocuteur de Lony conclut ses propos par un rire gras moqueur avant de s’en aller, comme pour signifier qu’il faisait partie de ces dominateurs capables de pousser l’autre à sortir de ses gonds.
Une voix dissidente, aigue et infantile, se fit alors entendre, celle de Juline, une petite fille espiègle de 12 ans aux boucles blondes et au regard bleu azur :
– Ce n’est pas tout. Yago a menacé Léon de dévoiler son secret s’il ne lui donnait pas ce qu’il voulait…
Intrigué, Lony alla interroger la fillette qui semblait en savoir davantage :
– De quoi parles-tu ?
– Je les ai entendus parler pendant que je jouais avec Chiffone…
– Ta copine ?
– Non bêta ! Ma poupée ! Tu as déjà rencontré une fille qui s’appelle Chiffone ? Réfléchis un peu !
La question du jeune homme déclencha chez Juline un fou-rire enfantin et strident. Lony ne pouvait cacher son agacement :
– Bref. Qu’as-tu entendu au juste ?
– Pourquoi je te le dirais ?
– Parce que tu as commencé à le faire il y a 30 secondes ?
– D’accord. Je te raconte tout ce que j’ai entendu à une condition : que tu m’aides à faire mon exercice d’arithmétique.
– Ça s’appelle du chantage.
– Je sais !
La petite fille malicieuse esquissa un petit sourire narquois et rit de nouveau. Ce jeu puéril ne plaisait pas à Lony qui décida de mettre un terme à cette conversation qu’il ne maîtrisait plus :
– Bon écoute Juline, va jouer avec Chiffone et laisse-moi tranquille. J’ai d’autres choses à faire.
– Il ne faut pas te mettre en colère. Je rigolais. Comme je t’aime bien je vais tout te raconter. En fait, Yago a commencé à embêter Léon au sujet d’une clef qu’il tenait absolument à avoir mais Léon a refusé. Du coup, Yago s’est mis en colère et a menacé Léon de dévoiler leur secret. Voilà.
– C’est tout ? Et ce secret ?
– Je ne sais pas trop, je n’ai pas bien compris, une histoire de pacte. Un truc de gamins quoi ! Ensuite Yago a traité Léon de sale capto et ils ont commencé à se frapper.
– Un truc de gamins ?
Ces paroles dans la bouche de la très jeune fille firent sourire Lony qui réalisa le peu d’intérêt de cette conversation :
– C’est tout ?
– Si tu veux j’essaierai d’en savoir davantage…
– Ce ne sera pas nécessaire. Merci pour ces infos ma petite.
– Et mon exercice d’arithmétique ?
Lony lança un regard sombre à son interlocutrice avant de lever les yeux au ciel et de tourner les talons. Cette histoire saugrenue n’avait à son sens finalement aucun intérêt et les dires de la jeune fille lui semblaient plus que douteux.
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