[Partie I - La Providence] Chapitre 16 : Su ? Ca va ?
Chapitre 16 : Su ? Ca va ?
Elle fut alors sortie de son état hypnotique par son camarade Lony qui l’avait attendue un peu plus bas dans le couloir afin de l’accompagner à leur enseignement de botanique dirigé par Carel Di Marco.
– Su ? Ça va ? Qu’est-ce qu’elle te voulait ?
En lui posant cette question, Lony réalisa à quel point il avait pu s’inquiéter dernièrement de l’état de sa sœur de cœur en multipliant cette demande. Le « Su ? Ça va ? » suivi d’une non-réponse semblait être devenu leur seul mode de communication.
Sulina tourna alors machinalement et lentement sa tête hébétée vers son ami pour lui répondre sans conviction dans un murmure lugubre :
– Tout va bien Lony, tout va bien, ne t’inquiète pas.
Elle prit alors l’initiative de reprendre sa route pour se diriger vers la prochaine salle d’enseignement, suivie de près par Lony, afin de couper court, à nouveau, à toute demande d’explications. Elle s’engouffra furtivement dans la salle et prit place rapidement en prenant soin de s’installer juste en face du bureau du maestro afin d’empêcher son camarade de la questionner durant le cours.
Surpris et amusé, Carel Di Marco ne put s’empêcher de taquiner la jeune fille :
– Je suis ravi de vous savoir si motivée aujourd’hui Sulina !
L’adolescente lui répondit par un regard noir, mélange d’inquiétude et d’agacement auquel le maestro rétorqua à son tour :
– Je vois que vous n’êtes pas d’humeur badine aujourd’hui. Rassurez-vous je ne vous ennuierai plus. Sachez néanmoins que le sujet du jour est approprié puisque nous étudierons les plantes carnivores.
De nouveau, le maestro ne parvint pas à dissimuler son sourire taquin à son interlocutrice.
Agé de trente-huit ans, Carel Di Marco était un homme d’une grande finesse d’esprit qui maniait les subtilités de l’humour avec intelligence et pertinence. Elégant et d’une profonde beauté, il était suffisamment viril pour attiser le désir des femmes et astucieusement maniéré pour induire une certaine confusion dans l’esprit de certains.
Comme tous ses collèges maestros de la Providence, il était lui aussi passionné par son secteur de recherches et appréciait particulièrement le principe de transmission des connaissances aux générations suivantes, exercice dans lequel il se révélait.
La barbe brune de quelques jours que portait Carel était soignée, à l’image de son apparence générale finement travaillée. L’homme restait séduisant même dans sa manière de porter sa blouse blanche.
Au milieu de la salle trônait une plante carnivore, la Sarracenia gigantes, qui avait des similitudes fonctionnelles et morphologiques avec la Sarracenia flava présente sur Terre.
Cette plante carnivore était constituée d’ascidies, des feuilles en forme d’entonnoirs étroits et allongés avec une bouche évasée et une lèvre assez large à leur extrémité. Ces feuilles fonctionnaient comme de véritables pièges empêchant les êtres vivants tombés dans l’urne de s’en échapper via plusieurs systèmes complexes hérités de l’évolution (parois glissantes, présence de poils rigides dirigés vers le bas afin de bloquer les proies...). Ces êtres piégés étaient ensuite digérés de manière extrêmement rapide et efficace grâce à un ensemble d’enzymes sécrétées par la plante.
La sarracenia gigantes, comme son nom l’indique, pouvait atteindre des tailles impressionnantes. Les êtres vivants de petite taille constituaient les proies les plus courantes mais certains récits rapportaient que des hommes avaient déjà été piégés. En l’absence de preuves tangibles, ces anecdotes semblaient néanmoins davantage relever du mythe que de la réalité.
La plante présente dans la salle d’enseignement était de taille modeste avec une hauteur d’environ 1m40.
Carel Di Marco s’attacha, au cours de cet enseignement, à prouver, par les faits, la férocité de ces plantes qui s’étaient développées dans plusieurs endroits du Royaume, à commencer par les plaines du Swong mais également les falaises rocheuses de l’archipel des Titanos.
Malgré la dimension aussi bien pratique que ludique de ces travaux pratiques, l’esprit de Sulina était définitivement parti dans des méandres inquiétants, à l’image des événements qui se produisaient depuis la veille. Il n’était pas envisageable pour elle de se concentrer sur autre chose que sur les paroles de Vera Finshton. Que pouvait donc insinuer cette femme rigide ? Qui était-elle réellement derrière ce masque forgé dans le titane ? Pourquoi donc une station météorologique, visiblement désaffectée, devait-elle attirer son attention ?
Encore et toujours de nouvelles questions auxquelles l’absence de réponses commençait à peser lourdement sur le moral et l’équilibre de la jeune femme.
Dès l’enseignement terminé en fin d’après-midi, Sulina se dirigea vers son ami Lony pour lui signifier son désir de rester seule le restant de la journée :
– Ecoute Lony, je ne me sens pas très bien depuis ce matin. Je crois que je vais retourner dans ma chambre me reposer. Je suis désolé pour mon comportement. Ne m’en veux pas.
– OK. C’est vrai que tu es très bizarre depuis hier. Je m’inquiète pour toi. Si tu veux qu’on discute, je suis là…
– Je le sais Lony, je le sais très bien. Je crois que j’ai simplement besoin d’un peu de repos, c’est tout. Ça ira mieux demain.
Alors qu’elle prononçait ces mots, la jeune fille savait pertinemment que les choses ne s’amélioreraient pas le lendemain, d’autant que des événements nouveaux étaient toujours susceptibles de se produire, du moins le craignait-elle, tout en le désirant avec passion.
Sulina se dirigea alors vers la sortie pour se rendre sans tarder dans sa chambre et étudier de nouveau l’ouvrage qu’elle avait emprunté, à la lecture des nouveaux éléments que lui avait communiqués Vera.
Compte tenu de l’ancienneté de ce livre, la station météorologique était effectivement décrite comme une structure alors de pointe et novatrice. Elle se trouvait à environ 1 km des bâtiments de la Providence. S’y rendre signifiait pouvoir déjouer les systèmes de surveillance, qu’ils soient humains ou automatiques. Consciente que cette escapade était littéralement inenvisageable, Sulina commença alors à élaborer différents scenarii plus ou moins saugrenus et irrationnels et réalisa qu’elle ne pourrait parvenir à ses fins qu’avec l’aide d’un complice. Lony ? Vera Finshton? Une tierce personne qui lui viendrait en aide comme tombée du ciel par magie ?
Désabusée et fortement tourmentée par tous ces événements qui se précipitaient, la jeune femme sentit une profonde angoisse s’emparer de son corps, cette sensation de chaleur sourde au fond de l’estomac qui se transformait en une boule glaciale. Elle ferma délicatement le livre et se mit à pleurer sous l’effet de cette pression violente. Recroquevillée en position fœtale dans son lit, elle finit par adoucir ses craintes et s’assoupit. Le calme fut hélas de courte durée, interrompu par sa colocataire qui déboula dans la chambre dans un vacarme insupportable :
– Oh ! Excuse-moi Su, je ne savais pas que tu étais là. Ça va ?
Exaspérée et irritable, Sulina ne mâcha pas ses mots :
– Arrêtez de me demander sans cesse comment je vais. Je vais bien, très bien même ! Juste un peu fatiguée, c’est tout.
Vexée, Xeïa ne put s’empêcher de lui répondre à son tour sur le même ton :
– Ouai bah tant mieux et excuse nous de nous inquiéter pour toi ! Des fois tu as vraiment des réactions de conne.
La jeune fille, en colère, prit alors son sac et ressortit de la chambre en claquant la porte. Sulina n’eut pour seule réaction que de lever les yeux aux ciels et décida d’aller prendre sa douche pour laver, notamment, l’excès de tension qu’elle sentait presque collée à sa peau.
Arrivée dans les vestiaires, elle croisa alors Anna qui brossait sa longue chevelure rousse devant le miroir. Cette dernière dévisagea sa rivale dans le reflet de la glace, avec cet air suffisant dont elle pouvait parfois abuser. Sulina nia alors l’existence de sa camarade, traversa la salle en regardant droit devant elle, l’œil sombre, et se rendit directement dans les douches vides.
L’eau qui coulait sur sa peau eut l’effet relaxant escompté et Sulina finit, le temps d’un court instant, par oublier ses péripéties. Un rictus très discret trahissait l’éphémère bien-être dans lequel elle se trouvait. En entendant la porte des vestiaires claquer, elle comprit que sa rivale avait fini par s’en aller. Sulina se rhabilla, brossa ses cheveux mouillés et s’observa dans le miroir afin d’examiner l’intimité de son regard dans un élan de pensée contemplative.
Alors que l’esprit de la jeune fille commençait à s’évader, les lumières du vestiaire s’éteignirent soudainement et les sirènes d’alarme se mirent à hurler simultanément leur son strident et effrayant. La smartch de Sulina commença, elle-aussi, à s’emballer en émettant un bruit aigu accompagné de flashes rouges et affichant le message sibyllin suivant : ALERTE !
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