III

15 minutes de lecture

En ce dimanche après-midi, Daniel demeura chez lui, sa solitude lui pesait mais le besoin de repos et de calme étaient les plus forts ; la moiteur de l’été rendait la chaleur difficilement supportable, alors, avec un appartement climatisé, rester à la maison, à l’abri était plutôt un bon programme.

Il s’allongea sur son lit en écoutant Bach, la cérébralité de sa musique lui faisait voyager l’esprit et berçait son âme. La quiétude bienveillante de ces sons résonnait en lui comme des paroles magiques qui élevaient son esprit au-dessus des vulgaires contingences du quotidien.

Le regard dans le vide, il se remémora son enfance passée chez ses parents, ou plus exactement, chez sa mère, aidée en cela par sa grand-mère. Les deux femmes ne s’entendaient guère mais il les unissait par son sang et il profitait de leur amour pour compenser la perte du père dont il ignorait presque tout.

Il se souvint que lorsque la maladie le terrassait, parfois au lieu de l’emmener chez le médecin, sa mère le conduisait chez un rebouteux. Il s’en souvenait bien maintenant, il appréciait aller chez cet homme, un vieux bougre dont la tranquillité le réconfortait. Au début, Daniel appréhendait les mots étranges qu’il prononçait dans une langue inconnue, mais la blouse blanche immaculée du médecin l’inquiétait plus encore. Étant petit, Daniel souffrait souvent de petits problèmes de peau comme des verrues. Le médecin lui avait promis de brûler tout ça et de passer des pommades sur le reste. Ces méthodes violentes usant du feu inquiétaient vraiment le petit Daniel qui voyait déjà sa main en flammes. Il n’en dormit pas pendant trois nuits. Inquiète pour son petit-fils, sa grand-mère qui le comprenait mieux que sa propre mère s’empressa de l’emmener chez le vieux Fernand, le leveur de maux.

Daniel se souvenait encore parfaitement de cette visite. Le vieil homme, habillé avec des vieux habits de flanelle et une casquette bleue délavée l’avait jaugé au premier regard. Penché en avant pour se mettre au niveau de l’enfant, il lui avait alors demandé :

- Alors, ils te font peur les docteurs avec leurs blouses blanches et leurs piqûres ?

En guise de réponse, le petit Daniel avait demandé s’il était un vrai sorcier comme dans les livres. Ce à quoi, le vieil homme avait répondu que le terme de guérisseur suffisait et qu’il ne lui ferait aucun mal.

Daniel acquiesça avec le sourire, le bonhomme reprit alors.

- Tu vois ce petit pois pour manger. Je vais l’appliquer sur tes verrues puis je vais te le donner. Tu vas le garder dans le creux de ta main sans le regarder, tu entends sans le regarder, sinon ça ne marche pas, d’accord.

Daniel, sourire au coin des lèvres, approuva la méthode.

- Ensuite, toujours sans le regarder, tu vas aller le jeter dans la rivière qui est là-bas. Une fois jeté dans l’eau, tu vas partir sans te retourner, surtout sans te retourner, c’est bien compris jeune homme.

Buvant chacun de ses mots, Daniel obéit prestement sans poser aucune question.

- Bien, alors attention, je vais commencer.

Le vieil homme posa le pois entre son index et la verrue, les yeux clos, il se concentra avant de commencer son incantation. Ses lèvres vibraient et marmonnaient en français sans prononcer distinctement les syllabes. Daniel entendait alors des onomatopées qu’il prenait pour une langue étrangère. L’homme au « sang fort » commença sa prière.

Je t’enlève tes verrues. †

Au nom du père. †

Du fils. †

Du saint esprit †

Ainsi soit-il. †

Un signe de croix accompagnait chacune de ses paroles. Daniel regardait le vieil homme émerveillé, un magicien, un vrai avec du pouvoir dans les mains.

Daniel, encore inquiet, après avoir salué le vieil homme, partit aussitôt en direction de la rivière. Il tenait sa main dans le dos pour être sûr de résister à la tentation de la regarder.

Le bénéfice se devait d’avoir lieu, Dany voulait savoir absolument si tout ceci n’était pas un stratagème des « grands » pour se moquer de lui. Une fois devant le cours d’eau, Daniel jeta le plus loin possible le pois et repartit sur le champ sans regarder derrière lui. Cela était absolument nécessaire lui avait dit le sorcier.

En repartant de chez le vieux Fernand, alors qu’il tenait sa grand-mère par la main gauche, n’y tenant plus, il osa lui demander si le vieux Fernand était un sorcier.

Sa grand-mère lui répondit alors qu’il ne devait pas prononcer ce mot là en parlant de Fernand, car lui était du bon côté, c’est-à-dire du côté de la voie Chrétienne. Le Christ lui avait donné l’immense privilège d’avoir le « sang fort », cela signifiait avoir le don. En d’autres termes, être capable de devenir un praticien de magie, c’est-à-dire un magicien. Mais, elle lui expliqua que le terme même de sorcier se réservait, en quelque sorte, aux personnes qui pratiquaient la magie noire. Ces gens-là représentaient un grand danger car leur alliance avec des forces occultes nuisaient à la société. Un peu dépassé par ces propos, Daniel, se réjouit d’avoir parlé à un magicien, un vrai, le reste n’était que conjectures.

Dès son retour à la maison, sa mère l’attendait, elle lui sourit et se pencha pour le prendre dans ses bras puis elle lui fit un baiser sur sa petite main. Il put alors constater la disparition des verrues, comme par enchantement. Il n’avait rien senti, sa mère l’embrassa sur les joues pour bien lui signifier son bonheur de le voir ainsi guéri.

Daniel se souvenait parfaitement du vieux Fernand et de ses recettes ancestrales si énigmatiques. Même s’il ne s’agissait pas de sorcellerie, cela fonctionnait tout de même très bien. Et, cela, il en était sûr, n’avait sûrement pas fonctionné que pour lui, les rebouteux et leurs homologues dont les noms différaient suivant les régions disposaient d’une clientèle très importante. En échange de leurs talents, ils demandaient des offrandes, dons en nature, argent bien sûr, mais aussi des aides juridiques ou administratives.

Trente ans déjà et même plus maintenant, pourtant malgré les années écoulées, il ne parvenait pas à oublier toutes ces histoires de sorcellerie. Chacun dans son village proférait des histoires à ce sujet, la plupart racontaient que cela n’existait pas, qu’il s’agissait de sornettes, mais chaque personne du village avait déjà eu maille à partir avec un magicien quelconque. Ces diableries étaient présentes partout, sur les frontons des maisons comme de ceux des fermes avec des chouettes écartelées sur les portes pour effrayer le mauvais sort. Sur les vieilles maisons, les pierres des façades regorgeaient de signes cabalistiques, des croix, des signes plus mystérieux encore, des cercles contenant les noms des anges et démons qu’il nécessitait d’appeler ou de combattre suivant les circonstances.

Ses parents voulaient que leur petit Daniel fasse des études pour travailler à la ville et s’extirper de ce milieu paysan. Ce que fit le petit Dany, devenu flic, à la criminelle d’abord puis détaché au FBI pour s’occuper des affaires de terrorisme, il travaillait maintenant pour la police de Salem.

Quel étrange chemin parcouru depuis son enfance, mais sans jamais douter, se sentant toujours soutenu par une force invisible, tel un charme posé au-dessus de sa tête.

Chloé sortit de chez elle en ce début d’après-midi qui s’annonçait radieux. La toute-puissance du soleil écrasait la ville sous une chape de plomb anéantissant toute volonté d’effort physique. Pourtant, elle s’était juré qu’elle devait aller à la bibliothèque pour effectuer des recherches sur son histoire familiale. Cela commençait à sourdre dans son inconscient, ce continent inexploré de l’âme qui lui parlait par énigme dans ses rêves.

Une fois dans le centre-ville, elle dirigea sa voiture sur Lafayette Street, la bibliothèque municipale se situait à deux pas de cette avenue centrale. Mais, comme la veille, elle constata que plus elle se rapprochait de sa destination, plus le temps devenait gris, des nuages s’amoncelaient au-dessus de la ville, tourmentée par la météo changeante ; elle se demanda si ces mêmes nuages ne la suivaient pas. Voulant chasser cette idée qui confinait à la paranoïa, elle alluma la radio. Comme un fait exprès, la station rappelait à ses auditeurs qu’un orage soudain risquait de s’abattre sur la ville ; depuis quelques semaines, la météo semblait déréglée au point ou les services locaux n’arrivaient pas à comprendre comment certains phénomènes météos s’étaient formés. Ils devenaient dès lors imprévisibles, ce qui compliquait la vie des habitants de Salem.

Chloé se fit la réflexion qu’au moins elle n’était pas folle et que la météo avait bien un problème dont elle n’était pas la cible. Une fois garée, la pluie se mit à tomber densément, Chloé se mit alors à courir en direction de la bibliothèque municipale mais, plus elle courait, plus la pluie tombait drue. Elle accéléra et se réfugia sous l’auvent du fronton de la bibliothèque, l’averse redoublait de violence mais elle décida de ne pas entrer tout de suite. Elle resta sous l’auvent de longues minutes, figée dans sa réflexion.

Elle décida qu’elle n’avait cure de ces manifestations et rentra. Chloé, avenante et souriante s’approcha du comptoir pour se faire enregistrer par l’hôtesse d’accueil.

- Bonjour, je voudrais consulter les anciens registres de l’état civil.

- Oui bien sûr, mais vous devez vous faire enregistrer avec un permis de conduire ou un passeport ?

Dubitative, Chloé demanda :

- Hum, ma carte de police de la ville de Salem.

- Très bien, cela fera l’affaire.

A peine eu-t-elle prononcé son accord de principe que la lumière au-dessus du comptoir de l’accueil se mit à clignoter. Les deux femmes se regardèrent amusées par ce phénomène électrique soudain, l’hôtesse se déplaça et la lampe se remit à fonctionner.

Chloé vint à la hauteur de l’hôtesse et aussitôt, les lumières recommencèrent à éclairer en pointillé.

- Oh, cela nous suit !

- C’est vous ou c’est moi ?

- Madame, je ne saurais pas dire, mais, dans ce cas, je vais au troisième comptoir, nous verrons bien.

Une fois devant ce troisième comptoir, rien ne se passa. L’hôtesse s’amusa de la situation.

- Venez, ici, ça a l’air d’aller.

- Voici votre carte temporaire, il faudra nous renvoyer le formulaire rempli, la salle de lecture est au 3ème étage.

Chloé s’éloigna et les éclairages reprirent leur stabilité. L’hôtesse, circonspecte, regarda Chloé s’éloigner avec un certain soulagement.

Chloé arriva aux ascenseurs, la porte s’ouvrit et le vide de la machine figea ses pas. De la buée inondait le miroir de l’élévateur lorsque Chloé posa son pied à l’intérieur, une vibration l’intrigua, en proie au doute, elle se dirigea vers l’escalier. Après quelques pas, les lumières se mirent encore à clignoter, Chloé ralentit et ses yeux se posèrent avec angoisse sur les éclairages qui se mirent soudain à éclairer très faiblement tout en grésillant fortement chaque fois que Chloé passait devant l’un des spots.

Rassemblant son courage, elle monta les marches deux à deux et arrivée au 3ème étage, elle se précipita dans la salle de lecture. Chloé fut soulagée par le calme revenu et s’assit à un pupitre. Ses affaires personnelles posées, elle se dirigea vers les rayonnages et commença ses recherches. Après quelques minutes, elle trouva les recueils souhaités et s’en saisit. A cet instant précis, les néons se mirent à clignoter, Chloé recula devant cette manifestation incertaine d’une puissance mécontente. Elle se ressaisit et reprit le registre qu’elle tenait en main puis revint s’assoir à son pupitre.

Après quelques pages, elle sortit un calepin et commença à noter. Plusieurs heures s’écoulèrent, Chloé arrêta ses recherches et lu avec attention. Après plusieurs pages noircies d’informations diverses, Chloé referma le registre et se leva, timidement, elle marcha jusqu’aux rayonnages. Rien ne se passa, elle repositionna l’ouvrage là où elle l’avait pris. Dans l’expectative, elle scruta les lieux, attendant une sorte de réaction mais tout resta calme, ordonné.

Elle rejoignit l’escalier et entama lentement la descente, soudain, les lampes se mirent à clignoter de façon rythmée comme une guirlande de Noël. Pétrifiée, Chloé s’immobilisa, elle n’osa pas toucher la rampe, les clignotements s’accélérèrent. Après quelques secondes, un étudiant aux cheveux hirsutes avec de grosses lunettes s’engouffra dans l’escalier et vit la crainte qu’éprouvait Chloé du fait de ces variations lumineuses. Amusé, il s’exclama.

- N’ayez crainte, c’est à cause des orages, cela perturbe les réseaux électriques.

- Oui, oui, merci mais ça m’a fait peur, c’est tellement soudain.

Elle le suivit et les lumières reprirent leur stabilité, une fois dans le hall, Chloé accéléra le pas pour sortir au plus vite de cette bibliothèque maudite.

Une fois dehors, le soleil brillait et l’air était redevenu chaud, sous l’effet du stress, son estomac réagit avec vigueur et inonda de bile le caniveau au-dessus duquel elle s’était penchée. Une fois dans sa voiture, elle sortit ses notes et les regarda avec fébrilité.

Daniel s’extirpa de ses songes pour revenir à la dure réalité. Seul dans son lit et tout aussi seul dans ce logement, pourtant cossu, il lui manquait une femme, des enfants, une famille. Le regard de Daniel fit un panoramique sur les murs sans âme de son appartement et son esprit vagabonda encore. Les cris des enfants de son école envahirent ses oreilles, il jouait avec eux, s’amusait beaucoup et s’y sentait bien, ce qui contrastait avec le retour dans la demeure familiale vide de toute jeunesse insouciante. Une moue de tristesse se dessina sur son visage, il n’avait fait que répéter le schéma familial qu’il avait connu. Fort de ce triste constat, Daniel se jura en son for intérieur qu’il devait fonder sa propre famille dès que cette affaire serait résolue. Des acouphènes vinrent tambouriner dans sa boîte crânienne, ces céphalées psychogènes l’envahissaient dès qu’il repensait à cette enfance solitaire et mystérieuse.

Chloé, une fois le stress évacué, monta dans sa voiture pour retourner chez elle. Pensive, elle ne portait guère attention ni à la rue, ni aux quelques badauds égarés. Le fil de l’histoire qu’elle venait de collecter dans la bibliothèque de la ville la conforta dans l’idée que ses racines étaient primordiales. Après réflexion, elle estima que c’était le moment de demander des comptes à ses parents adoptifs. N’y tenant plus, elle se décida à les visiter.

Ceux-ci habitaient dans les environs de Boston, à Worcester, retraités, ils coulaient des jours heureux dans leur cottage. Il lui restait tout l’après-midi et elle fonça pour passer du temps avec eux. Les cent vingt kilomètres furent avalés en un peu plus d’une heure. Seize heures sonnaient lorsque la voiture s’immobilisa dans la cour. Surpris par cette visite, ses deux parents, encore alertes malgré leur âge, l’accueillirent avec chaleur.

- Oh, ma chérie, tu aurais pu nous prévenir, quelle surprise !

- Désolé mais je voulais vous demander quelque chose.

- Rentre alors, viens !

Chloé suivit sa mère à l’intérieur de ce cottage à la riche décoration. Chaque mur supportait un tableau d’inspiration bucolique, le parquet ciré reflétait une lumière chaleureuse et la table revêtue d’une jolie nappe supportait un bouquet de fleurs aux couleurs variées. Deux consoles aux pieds cambrés s’appuyaient sur les murs et un buffet moderne de couleur claire donnait à cette grande pièce une ambiance chaleureuse qui inspirait la tranquillité. Après les embrassades de rigueur, la maman de Chloé revint avec un plateau rempli de divers thés, cafés et quelques viennoiseries. Elle s’assit sur le sofa vert clair, les traits fins et impassibles de son visage aux rides masquées par un fin maquillage trahissaient une certaine inquiétude.

- Tu ne nous appelles pas souvent et maintenant tu débarques à l’improviste.

Le père de Chloé arriva à son tour, son front dégarni se plissa lorsqu’il s’assit, tout sourire, à l’adresse de sa fille, il répondit sur un ton presque jovial.

- Ta mère a raison, mais, moi, je suis ravi de te voir.

La mère agacée répondit sèchement :

- Mais, moi aussi, mais elle aurait pu prévenir.

- Allez, calme-toi, je pense qu’elle a quelque chose d’important à nous dire.

Chloé se pinça les lèvres, hésitante, elle resta silencieuse quelques instants, après une profonde inspiration, elle prit la parole.

- Avant que je vous explique ma demande, j’aimerais que vous me laissiez parler jusqu’au bout, sans m’interrompre.

Dubitatifs, ses deux parents se regardèrent troublés.

- Bien, je suis actuellement sur une enquête bizarre et j’en fais des cauchemars. Durant ces rêves, je vois des yeux de femme de couleur violets, améthyste. Elle me parle et j’ai la très nette impression que je la connais et qu’elle cherche à entrer en contact avec moi. Son regard, ses yeux me parlent, je sens qu’on est proches.

D’une voix douce et interrogatrice, sa mère demanda.

- Et alors, tu veux en venir où ?

Agacée par cette réflexion, Chloé reprit sur un ton plus ferme.

- Je sais bien que j’ai été adoptée et j’aimerais savoir si j’ai une sœur dont j’aurais été séparée lors de mon adoption.

Un lourd silence d’abattit, les regards anxieux des deux parents se croisèrent, le père rompit le premier le silence.

- Pourquoi tu veux savoir ça ?

Irritée par cette question, Chloé se leva et tourna sur ses talons, les bras croisés, elle respira fort pour contenir ses nerfs.

- Papa, ce n’est pas la question.

Sur un ton faussement calme, les traits du visage impavides, sa mère prit la parole.

- Ecoute-moi bien ma fille, car tu es ma fille, tu le sais ?

Tout en restant debout, crispée par cette formule entendue mille fois, elle se campa devant sa mère et répondit froidement.

- Je sais maman, je sais.

- Bien, alors écoute-moi. Lorsque ton père et moi avons décidé d’adopter un enfant, puisque nous ne pouvions en avoir un naturellement, nous avons engagé un avocat spécialisé et on nous a proposé deux petites jumelles, pas monozygotes, mais jumelles quand même. Vous aviez un an et demi environ.

Chloé sortit de ses gonds et hurla.

- Et alors ?

- Eh bien, ta sœur, qui se prénommait Abigail, celle qui était la plus âgée en fait, était infernale avec nous, elle nous faisait peur, elle était violente, ingérable, elle hurlait tout le temps, rejetait tout ce qu’on lui proposait, sa violence se dirigeait même vers toi parfois, alors on a préféré s’en séparer. A l’époque, les lois relatives à l’adoption étaient plus lâches et on a décidé après six mois de la rendre aux services d’adoption qui ont accepté. Et pour tout te dire, ses yeux tiraient sur le violet. Elle était très jolie mais c’était une diablesse et on s’est dit qu’elle serait infernale à l’adolescence, alors que toi, tu étais toute mignonne, souriante, adorable.

De colère, Chloé bondit de son siège et invectiva ses parents.

- Elle est devenue, quoi ?

Les deux parents sursautèrent, surpris par la violence de sa réaction. Sa mère prit la parole mais sa voix chevrota un peu.

- Ah, euh, je ne sais pas, on ne l’a plus jamais revue. Elle a dû être adoptée et voilà mais, tu sais, elle était très perturbée, je ne peux pas t’affirmer qu’elle est devenue une belle personne.

- Ah, oui et pourquoi donc ?

Gênée par cette question, le père prit la parole.

- Ta mère veut dire que dès lors qu’elle était perturbée, elle n’a peut-être pas suivi un bon chemin de vie.

Chloé demanda d’une voix cassante.

- Eh, vous en savez quoi, forcément qu’elle était perturbée, tu crois que je vais toujours bien, moi, ces cauchemars veulent me dire quelque chose, j’en suis sûre, il faut que je la retrouve pour savoir ce qu’elle est devenue.

De colère, Chloé se précipita au dehors sans saluer ses parents et se rua sur sa voiture qui démarra en trombe. Ces derniers se regardèrent stupéfaits et inquiets de la réaction brutale, violente, de leur fille.

Sur le chemin du retour, les pensées de Chloé furent obnubilées par cette sœur dont elle avait été séparée dès l’enfance. Obsédée par cette idée de retrouver cette inconnue.

Durant ce laps de temps, Daniel avait passé son temps avachi sur son canapé, les yeux dans le vague. Le sourire du vieux Fernand, les non-dits de sa mère et de sa grand-mère. Leurs silences, leur complicité tacite, tous ces souvenirs lui revenaient en mémoire comme un boomerang qu’il n’avait pourtant pas lancé. Il se rappela le père qu’il n’avait jamais eu bien qu’il ait souvent posé des questions à son sujet. Pourtant aucune réponse satisfaisante n’avait jamais été prononcée à son sujet. Il savait ce qu’on lui avait dit, il vit au ciel, il pense à toi, il te regarde.

Un de ses camarades de classe lui avait même dit que son père était en voyage astral et qu’il ne pouvait plus revenir. C’était absurde bien sûr, un fantasme de gosse, pourtant quand il avait prononcé ce terme, le voyage astral, sa mère lui avait alors expliqué sur un ton de reproche qu’il lui connaissait bien, lorsqu’elle était troublée, qu’il ne fallait pas prononcer ces mots insensés.

Encore des mots qu’il ne fallait pas énoncer, des non-dits, encore des non-dits, toujours des non-dits, c’étaient les seules réponses qu’il n’obtenait jamais. Mais que devait-il comprendre en filigrane ?

Tout cela sentait le secret de famille. Oui, mais quel rapport avec cette affaire aujourd’hui. A l’époque, de toute façon, enfant unique élevé par sa mère et sa grand-mère, il était le petit prince de ces dames, alors pourquoi se poser des questions. Au fond de lui-même, Daniel savait bien qu’il refusait de se poser ces questions afin de conserver une certaine tranquillité d’esprit. De ce fait, il avançait ainsi depuis sa plus tendre enfance, sans se retourner et sans se poser de questions et jusqu’ici, cela lui avait plutôt bien réussi.

D’ailleurs dans son boulot, il ne posait jamais de questions gênantes, il obéissait et agissait avec sérénité pour le plus grand bonheur de ses chefs.

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