I

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Sur l’écran, une petite fille d’une dizaine d’années tourne violemment la tête à trois cent soixante degrés.

Assise sur son lit, sa chambre plongée dans le noir, ses yeux remplis de haine percent l’écran. Un rictus déforme son visage enfantin et un son caverneux s’extirpe de sa gorge. Attachée solidement à son lit, seule sa tête peut encore se mouvoir et celle-ci, par défi, tourne, tourne et tourne encore sur elle-même. Le craquement de ses cervicales agresse les tympans, un flot discontinu d’insultes s’échappe de sa bouche d’enfant possédée et les deux prêtres qui l’entourent, terrorisés, restent comme pétrifiés par ces abjections.

Un bruit soudain déchira l’atmosphère d’angoisse qui s’était répandue dans la pièce. L’écran du téléphone jeta sur son propriétaire une lumière froide qui défigura ses traits. Téléphone en main, il regarda d’un air dubitatif le nom qui s’affichait sur l’écran. Son doigt glissa sur l’écran pour déverrouiller.

- Salut Daniel, on a un étrange cadavre pour toi.

- Dommage, j’étais en train de regarder l’exorciste.

- Sur Norman Street, au 50, tu es attendu, la scientifique est déjà sur place. Une trentenaire retrouvée morte.

Le visage fin de Daniel s’illumina à l’écoute du légiste, son regard profond et bienveillant jubila comme s’il attendait cet appel depuis longtemps.

- Son nom ?

- Sarah BUCKLEY.

- Connais pas… les détails ?

Laconique comme à l’accoutumée, Daniel écouta avec attention son interlocuteur, à l’affût de n’importe quelle information susceptible de faire progresser son enquête.

- Je te laisse découvrir, c’est original, dépêche-toi !

Déçu par cette réponse un peu trop succincte à son goût, il leva les yeux au ciel, trop de mystère ou pas assez. Trente minutes plus tard, Daniel gara sa voiture sur Norman Street, rapidement à l’étage de la scène de crime, il évita des journalistes et des badauds qui s’affairaient déjà au pied de l’immeuble.

Une fois dans la pièce où se trouvait le cadavre, Daniel constata de ses yeux l’étrangeté de la chose. Son regard balaya la pièce à la recherche de tout indice encore invisible, il laissa son instinct guider son flair mais rien ne vint troubler sa lucidité. L’étrangeté de la scène ne troubla pas son flegme, au contraire, il redoubla d’attention et de placidité, ses capacités concentrées sur la scène improbable devant laquelle il se trouvait. A l’adresse du légiste, il questionna.

- Je ne crois pas ce que je vois.

- Une femme d’une trentaine d’année, madame Sarah BUCKLEY, décoratrice d’intérieur, a été retrouvée dans cette position allongée sur son lit comme si elle s’était vidée de sa substance vitale.

Dubitatif, Daniel tint son menton entre son index et son pouce, ses yeux ne marquèrent qu’une surprise distante mais réfléchie.

- J’ai l’impression que son corps est desséché.

- Oui, ça nous y fait penser aussi, j’ai eu d’abord l’impression qu’elle avait été vidée de son sang, mais aucune incision nulle part, on en saura plus quand on aura fait l’autopsie.

Daniel regarda de plus près le corps, il était presque violet, déjà rigide, rien de laissait soupçonner une quelconque agression physique. Les ongles étaient propres, aucune marque de défense, en vingt ans de carrière, il n’avait rien vu de tel. Intérieurement, il se réjouit de la situation, passionné par les mystères et le fantastique, sa littérature favorite, enfin un cas étrange à gérer. Daniel avait choisi la police de Salem au regard de son histoire relative aux procès en sorcellerie. Même si, d’un point de vue purement historique, le procès s’était déroulé à Danvers, mais l’histoire avait retenu Salem.

Une fois revenu à l’hôtel de police, Daniel se précipita dans la salle d’examen afin d’en savoir plus.

- Alors, tes premières observations ?

- C’est la première fois que je vois ça en plus de vingt ans de carrière. Le corps est comme…

- Desséché …

Le regard fixé sur le cadavre, Daniel observa chaque centimètre carré de peau de la victime. Momifiée, seul mot qui lui vint à l’esprit, la curiosité piquée au vif, ses yeux se plantèrent dans ceux du légiste et d’un petit signe de menton interrogateur, ce dernier lui répondit.

- Tout à fait, on dirait que toute son énergie vitale a été absorbée par quelque chose, mais quoi ?

- Et, est-ce que ça peut être une maladie rare, une momification peut-être ou quelque chose comme ça ?

- Non, pas à ma connaissance, je vais consulter le registre des cas bizarres mais, en l’état actuel de mes compétences et connaissances, je suis incapable de dire comment est morte cette personne ?

Surpris par cette réflexion, Daniel s’étonna.

- Tu ne peux vraiment pas dire de quoi elle est morte ?

- Non, impossible pour le moment, l’autopsie m’en dira peut-être plus mais pour le moment, mystère.

Daniel fit le tour du cadavre, il examina les mains, les poignets, les yeux, les pieds et les chevilles, il ne constata rien d’anormal. Aucune trace suspecte sur le corps qui aurait pu concourir à la mort de cette femme. Jeune, en pleine santé, pas de maladie connue, le seul détail qui attira son attention fut finalement son visage.

Outre le fait que le corps était flétri de toutes parts, son regard et les traits de son visage témoignaient de l’effroi qu’elle avait vécu les derniers instants de sa vie. Ses yeux grands ouverts et les traits restés tendus montraient que ses derniers moments furent tellement horribles qu’ils avaient marqué son visage comme un fer chauffé au rouge marque la peau. Intrigué par ce cadavre, Daniel s’enquit du résultat de l’autopsie.

- Parker, tu auras fini quand l’autopsie ?

- Laisse-moi deux jours et tu sauras tout.

- Ok, c’est quoi son nom déjà ?

- Sarah BUCKLEY.

- Ah oui, ça me revient, je me disais bien que ce nom ne m’était pas inconnu.

- Ah oui, tu connais la victime ?

Sur un ton sarcastique, Daniel répondit :

- Non, pas personnellement mais, c’était le nom d’une des sorcières de Salem.

- Et tu crois que ça a un rapport ?

Le regard éclairci par son sourire malicieux, Daniel rétorqua.

- Non, mais la coïncidence est amusante.

La grande carcasse mince et sèche de Daniel sortit de la salle d’examen. Son physique imposant contrastait avec la douceur de son regard. Ses cheveux blonds, légèrement décolorés par le soleil, lui donnaient un air de surfer californien. Malgré son apparence robuste, Daniel irradiait la sérénité qui rassurait ceux qui l'approchaient. Ses yeux, d'un bleu profond, semblaient renfermer des secrets insondables. Daniel laissait deviner une force tranquille, un homme solide sur lequel on pouvait compter.

Aucun tatouage, aucune boucle d’oreille ne venait capter l’attention des quidams, ni céder à une mode dérisoire.

Après quelques couloirs, il arriva à son bureau, à peine y fut-il rentré, que son téléphone sonna.

- Venez tout de suite dans mon bureau, je dois vous dire quelque chose.

Il frappa et le ton peu amène du Shérif lui répondit : « entrez ».

- Vous vouliez me voir ?

- Oui, pour cette affaire de femme retrouvée desséchée.

- Ah.

- Pas un mot à la presse, je ne veux pas qu’un truc aussi étrange sorte, c’est trop bizarre. Les élections approchent et l’été aussi…

Stoïque, Daniel répondit sans hésiter.

- Pas de problème pour moi, moins les médias en savent, mieux c’est pour nous et notre enquête ;

- Des pistes parce que ça tombe franchement mal, en plus, je vois le maire ce soir.

- Ah, on a une débutante qui est arrivée en début de semaine, Chloé LAMBERT.

- Oui, je sais, on m’en a déjà parlé, elle doit avoir des origines françaises comme vous, si je comprends bien.

Un léger sourire illumina le visage de Daniel.

- Elle est très jolie m’a-t-on dit, vous allez travailler avec elle sur une autre affaire bizarre dont je viens d’être informé.

- Ah oui, encore une desséchée ?

- Non, un chien retrouvé mort.

- Mais, je ne suis pas vétérinaire ?

- M’en fous, allez-y avec votre nouvelle coéquipière, je préfère que vous vous fassiez votre opinion par vous-même.

Sur ces paroles mystérieuses, Daniel sortit et passa par le bureau de la nouvelle recrue. Ce sheriff, avec ses yeux noirs et perçants comme ceux d'une corneille, semblait scruter les âmes. Ses cheveux noirs, ébouriffés, encadraient un visage pâle et anguleux. Vêtu de noir des pieds à la tête, il se fondait dans l'ombre, émettant une aura à la fois énigmatique et menaçante. Assis dans son fauteuil, il observait la scène avec une curiosité quasi maladive, son œil scrutant chaque mouvement.

Daniel n’aimait pas ce type, il le mettait mal à l’aise, vénéneux était le terme qui lui venait immédiatement à l’esprit lorsqu’il pensait à lui

Phrase à reformuler, trop de subordonnées.

De retour dans son bureau, sa coéquipière, Chloé, l’attendait impatiente. Grande, fine élégante, ses yeux vairon accrochèrent le regard calme de Daniel qui resta un instant quoi devant cette jolie femme qui semblait à la fois frêle et forte.(idem) Une insondable aura, mélange de sensualité et de mystère se dégageait d’elle. Ils se serrèrent la main et se rendirent leurs sourires discrets et distants à la fois.

- Bonjour, je sors de chez le Shérif, une mission nous attend.

- Ah oui, génial, on enquête sur quoi ?

Belle maison cossue, de style moderne avec des grandes ouvertures et une grand jardin arboré de de style classique.

Le propriétaire les attendait, gémissant, les yeux embués de larmes.

- C’est horrible, impensable en notre siècle, c’est plus que scandaleux, je les aimais tellement !

Les regards de Chloé et de Francoeur se croisèrent, interrogatifs.

- Ah, ils ne vous ont rien dit, je comprends mieux maintenant. Suivez-moi.

Chloé et Francoeur emboitèrent le pas au propriétaire des lieux qui les guida jusqu’à la scène.

- Voilà, c’est là-bas, je reste ici, je ne veux pas voir cela une seconde fois.

Les yeux vairon de Chloé se posèrent au loin sur le fond du jardin, un animal, visiblement un chien, gisait allongé au coin de la piscine. Daniel et Chloé se regardèrent à nouveau, surpris par le calme et la banalité de la situation. Le grand chien, longues pattes, pelage marron clair, grandes oreilles était alangui le long de l’eau dont la couleur ne semblait plus parfaitement bleue. Au fil de leurs pas, Daniel remarqua que l’eau de la piscine avait changé de couleur. Autour du dogue, toujours immobile, une tâche rouge écarlate contrastait avec le vert éclatant de la pelouse. Aucune trace de lutte, pas une seule feuille abîmée, pas le moindre caillou déplacé. Le jardin, habituellement si ordonné, semblait retenir son souffle, comme s'il avait assisté à un spectacle qu'il ne pouvait accepter.

Une fois proches du cadavre, Daniel et Chloé comprirent pourquoi l’eau de la piscine avait viré du bleu au rouge. Des flots de sang de l’animal s’étaient déversés dans le bleu cristallin. Un détail étrange attira le regard aiguisé de Daniel, une incision précise transversale marquait la cage thoracique. Daniel se pencha sur le corps inerte de l’animal pour essayer de comprendre la raison de cette entaille. Le minois lisse et harmonieux de Chloé se plissa à la vue sordide de la carcasse de l’animal. Son regard se figea sur la charogne, comme interdite par cette vision aussi spectaculaire qu’inattendue, un dernier rictus de dégoût vint enfin déchirer ses traits restés figés jusqu’ici. Elle reprit ses esprits lorsque l’odeur de la carcasse lui inonda les narines. Sa main vint caresser ses cheveux ondulant au vent pour les discipliner et calmer son crâne bouillonnant de colère.

- Ça commence bien, première semaine de travail pour moi, cette ville n’usurpe pas sa réputation.

- Ouais, y-aurait-il des démons dans cette ville ?

- J’appelle la scientifique parce que c’est franchement barbare.

Le propriétaire les regardait de loin, ne voulant pas être témoin de cette horreur.

- Je suis désolé pour ce spectacle monsieur Baker.

- Ce sont des barbares, des monstres, voilà tout.

- Je suis bien d’accord avec vous. Avez-vous vu ou entendu quelque chose ou quelqu’un ?

- Non, rien, il ne fait pas froid, les chiens étaient dehors, ils n’ont pas aboyé, je ne comprends pas.

- Pourquoi les ?

- Mais parce qu’ils sont deux.

- Et l’autre, il est où ?

- Je ne sais pas, il n’était plus là ce matin, je ne comprends pas. Il a dû se sauver.

- Avez-vous reçu des menaces, un voisin par exemple ?

- Non, rien, mais des menaces de quoi ?

- Je ne sais pas, un problème avec un voisin si les chiens faisaient du bruit par exemple.

- Non, non, ils étaient calmes et aboyaient peu. Les dogues aboient peu. Je n’ai jamais eu de problème, au contraire.

- Je ne sais pas, cela pourrait être un avertissement ?

- Un avertissement ? Mais de quoi, je ne suis pas un criminel, je n’ai aucun problème avec personne.

- Des dettes, peut-être ?

- Non, strictement aucune, pas de dettes, un très bon capital, tout va bien, merci.

- Du chantage ?

- Mais non, encore moins, je n’ai aucun problème avec personne, je vous dis.

Les collègues de la scientifique arrivèrent pour transporter le corps.

- C’est au fond du jardin, Chloé gère le périmètre.

Le propriétaire du chien regarda le spectacle du chargement du corps avec un effroi certain dans le regard, son front dégarni se plissa à la vue du corps passant devant lui, il ne put s’empêcher de soulever le linceul pour regarder une dernière fois son animal tant aimé. Quelques larmes perlèrent à la commissure de ses yeux.

- Désolé pour ce spectacle, peut-être que l’autre dogue a été enlevé ?

- Pourquoi faire, bon sang !

- Je ne sais pas, bon, je vais vous laisser tranquille et n’hésitez pas à m’appeler si quelque chose vous revient ou si votre chien réapparait. D’accord ?

- Oui, merci.

Daniel retourna au fond du jardin, Cholé avait terminé son inspection.

- Ah oui, Parker m’a dit qu’il était probable que l’incision ait été faite pour ôter un organe, probablement le cœur.

- Quoi, pour enlever le cœur ?

- C’est fou, jamais vu ça de ma vie.

- Le cadavre de ce matin et ça maintenant, je suis vernie pour une première semaine de boulot.

- Tu crois que les deux affaires peuvent avoir un lien entre elles ?

- Non, je ne vois pas le rapport entre les deux. Le chien aurait été retrouvé comme la victime de ce matin, je t’aurais dit « bingo », mais là, franchement…

Sur le chemin du retour au commissariat, aucun des deux agents ne prononça mot. Le soleil s’était effacé de l’horizon, des nuages gris avaient pris possession du ciel et la pluie fit une apparition soudaine. Un orage violent s’abattit sur la ville de Salem, la nuit vint d’un coup et l’ombre étendit ses effrayantes tentacules sur toute la ville. Les phares des véhicules perçaient sa noirceur avec difficulté, le nuage noyait Salem et resserrait son emprise maléfique au fil des minutes.

Les deux coéquipiers rejoignirent le commissariat avec difficulté. Ils s’extirpèrent de la voiture le plus rapidement possible afin d’éviter que la pluie ne les trempe jusqu’aux os. A peine eurent-ils pénétré dans l’immeuble que la pluie s’arrêta comme elle était venue. Le ciel menaçant s’éclaircit et le soleil réapparut. L’ironie de la situation n'échappa pas à Daniel qui resta dubitatif devant ce spectacle que la nature venait de donner.

De son côté, sourire aux lèvres, Chloé regarda le ciel redevenu clair, sa silhouette fine et énergique accentuée par son jean serré et ses chaussures fines à talons étiraient sa silhouette élégante et raffinée qui soulignait son élégance naturelle. Ses cheveux châtains tombant en douces vagues autour de son visage intensifiaient son regard déterminé et ses yeux vairons. Sa silhouette élancée et gracieuse plut à Daniel qui la caressa du regard quelques instants. D’un œil malicieux, il regarda sa jeune collègue.

- Je crois Chloé que si tu aimes le mystère, tu as fait le bon choix, cette ville est comme un monde parallèle, l’ennui ne nous poursuivra pas.

Chloé lui sourit et d’un regard appuyé, presque complice, secoua légèrement la tête de haut en bas pour acquiescer aux paroles de son partenaire.

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