Le Saule Voyageur

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Il était une fois, une petite fille très malade, qui vivait dans une maison dont les murs étaient noircis par les années. Elle était si malade qu’elle ne pouvait pas quitter la chaleur du foyer familial. Elle s’appelait Rose. Sa grand-mère herboriste lui avait donné une graine, qu’elle chérissait comme s’il s’agissait de la plus précieuse des choses. Dans la maison se trouvait une serre et Rose planta sa graine dans un pot. Tous les matins, elle lui disait « bonjour, petite graine », et l’arrosait. Tous les soirs, elle lui lisait une histoire, lui souhaitait bonne nuit, puis allait se coucher. La graine fit une pousse qui se mit à grandir, grandir, jusqu’à briser son pot. Alors, Rose la planta dans un pot plus grand. Mais la plante poussait si vite que, le lendemain, le pot était déjà trop petit. La petite fille décida de planter le jeune arbre dans son jardin. On l’autorisa à venir le voir tous les matins et tous les soirs. Elle mettait tant d’efforts dans ses mots et dans ses gestes qu’un jour, l’arbre se mit à parler et à bouger. À chaque fois qu'il ondulait, son tronc et ses branches faisaient le bruit doux d'un saxophone. C'est pourquoi Rose l’appela Saxo.

 Le matin, Saxo accueillait Rose dans ses branches et le soir c’était lui qui lisait leur histoire. Au bout de quelques semaines, il était devenu tellement grand qu’il lui suffisait de se pencher un peu vers la maison, pour se trouver face à la fenêtre de Rose qui était au premier étage. La maladie de la fillette ne lui autorisa bientôt plus qu’une sortie par jour. Alors, le matin, elle venait arroser son arbre, et le soir il passait ses larges branches à travers la fenêtre, se penchait sur son lit et lui lisait une histoire pour l’endormir.

 Un soir, Rose demanda à Saxo s’il avait des rêves. Bien sûr, comme tous les arbres, il en avait un. Le sien, c’était de grandir, encore et encore, jusqu’à toucher la voûte céleste. Rose lui dit alors son rêve à elle.

  ̶  Je voudrais tant voyager, dit-elle dans un souffle, avant de s’endormir.

 Toute la nuit, Saxo pensa à ce qu’avait dit la petite Rose. L’enfant était malade, elle ne pouvait pas quitter sa maison. Pourtant, son plus grand rêve était de partir et de parcourir le monde. L’arbre décida qu’il allait réaliser le rêve de la petite fille. Quand elle se leva le matin, Rose s’étonna de ne plus voir l’ombre bienveillante de Saxo.


 L’arbre immense avait passé la nuit à extirper ses racines du sol, et une fois libre de la terre dans laquelle il s’était élevé, il laissa sur le bureau de Rose, une de ses feuilles. Il y était noté « Ton rêve sera le mien ». Puis il avait quitté le jardin pour parcourir le vaste monde.

 Longtemps, il voyagea. Très longtemps. Il gravit les plus hautes montagnes, inspirant l’air frais et pur des hauteurs et suivant les aigles du regard. Il traversa les océans, bavardant avec les dauphins et servant de perchoir aux mouettes perdues. Il parcourut le désert gelé du pôle nord, pour y rencontrer l’ours blanc et les morses, et visita les tropiques colorées et tellement vivantes afin d’y apprécier la beauté des fleurs et des femmes. Il découvrit des collines verdoyantes où il guida des troupeaux de moutons, et tint compagnie à ses cousins arbres, dans les bois et les forêts, en leur racontant son histoire.

 Le temps passa, et tous les souvenirs qu’il avait de ses expéditions se gravaient dans sa mémoire. Au début de son périple, il était considéré comme une créature venue d’un autre monde. Et petit à petit, les gens du monde entier se mirent à l’admirer, à le suivre, à lui proposer toujours plus de lieux touristiques à visiter. Saxo était aux anges. Finalement, le seul moment de paix et de sérénité qu’il avait, c’était le soir, quand la lune se levait. Alors, il la regardait et pensait à son amie la petite Rose. Il se demandait ce qu’elle faisait, à quoi elle pensait, si elle ne l’avait pas oublié.


 Un jour, il fut pris de nostalgie. Il eut soudainement envie de tout arrêter, pour rentrer chez lui, dans son jardin, auprès de la petite fille qui l’avait fait pousser et qui lui avait appris à parler, à bouger et à lire. Incapable de résister à cette envie de retrouver son doux foyer, il fit route dans le sens inverse, jusqu’à retrouver la maison de son amie Rose. Cependant, il eut beaucoup de mal à la reconnaître. En son absence, le lierre avait pris entièrement possession de la demeure, et la vilaine couleur noire des murs avait été remplacée par un vert des plus doux et accueillants. Quand il frappa à la porte de la maison, qui était une des rares ouvertures que le lierre avait épargnées, il dut attendre longtemps avant que l’on ouvre. Ce fut une vieille dame qui fit grincer les gonds de la porte.

 En effet, si pour un arbre, le temps est relatif, il n’en est pas de même pour l’être humain et la petite fille avait beaucoup grandi… Quand elle le vit, elle poussa un cri de joie, et ne put s’empêcher de tendre les bras vers lui pour le saluer. Saxo la prit dans ses branches et tous les deux pleurèrent de bonheur de se retrouver enfin.

 Ils parlèrent toute la nuit. L’arbre raconta tous ses voyages, toutes les choses qu’il avait découvertes, tous les êtres qu’il avait rencontrés. Chaque instant de sa vie passée loin de Rose fut énoncé, sans qu’il oublie le moindre détail. Bercée entre ses branches, Rose écoutait, rêvassant comme si elle n’avait jamais quitté Saxo. Puis elle lui montra un classeur qu’elle avait pris avec elle. A l’intérieur étaient rassemblées des coupures de presse, des photos et des lettres qui lui avait été envoyées. Le sujet de tout cela était Saxo. Sur un article de journal, il faisait de l’ombre à des lions accablés de chaleur, sur une photo amateur, il posait avec des Inuits et leurs rennes. Ailleurs, on le voyait pêcher à la palangrotte ou tendre ses branches vers les chutes rafraichissantes du Niagara. Malgré la distance qui les séparait, l’un et l’autre étaient toujours liés par la pensée, jusqu’à se retrouver enfin.

 Au matin, la rosée faisait des perles sur les feuilles de lierre et dans les cheveux blancs de Rose. La vieille dame dormait profondément. La tête remplie des souvenirs de son ami le saule, elle s’était assoupie juste avant l’aube. Elle ne se réveilla pas.

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