Traque à Filraïk
Dissimulé par la végétation fournie des bois de Cheflieu, tout petit entre les innombrables sapins, cèdres, épicéas et genévriers, le lesdazog balafré se retourne un instant. Autour de lui, seuls les chants des cadels en pleine migration, et au loin quelque saurs miaulant pendant leur chasse. Il semblerait que ses poursuivants aient renoncé à le traquer pour aujourd’hui. Le soir arrivera bientôt, il doit trouver un abri pour la nuit. S’enfonçant plus profondément dans la forêt de conifères, conscient du danger qu’elle représente, il vainc pourtant sa peur et poursuit sa route parmi les buissons verdoyants. Les chants des oiseaux migrateurs cessent peu à peu lorsque la lumière du jour disparaît derrière le Mont Brisé, pour laisser la place à ceux de quelques animaux nocturnes qui entament la surveillance de leurs territoires.
Le bandit continue sa route, sans trouver la moindre trace de civilisation lesdazog. Si des eris vivent ici, ce sont probablement des kogurans, aussi sauvages que la nature elle-même, et qui n’hésiteront pas à le sacrifier à leurs divinités morbides. Plus il s’enfonce dans la forêt qui s’obscurcit, plus le silence se fait pesant autour de lui. Il a maintenant la vive impression que des yeux, des dizaines, des centaines d’yeux sont penchés sur lui, à scruter le moindre de ses mouvements. Des bêtes sont tapies là dans l’ombre, à attendre patiemment qu’il fasse la moindre erreur pour se ruer sur lui et le déchiqueter. Serait-ce pire que d’être écartelé sur place publique pour avoir pillé une diligence ? Non, c’est du même acabit. Alors il n’a rien à perdre. Bravant la légère angoisse qui le prend aux tripes, il marche droit devant lui, feignant d’ignorer qu’il continue d’être une proie même si ses prédateurs ne sont plus les mêmes. Et malgré les branches qui craquent, malgré les bruissements légers des aiguilles des sapins de temps à autres, il ne s’arrête pas un seul instant.
C’est alors qu’en écartant un épais taillis de fougères, il se rend compte que la forêt s’ouvre sur une petite clairière où il croit discerner les restes d’une habitation ancienne. Il observe un peu les alentours mais ne voyant aucun signe de vie, se précipite vers le bâtiment abandonné. Il ressemble à un grand monastère, et ses murs en argile laissent encore apparaître les fresques représentant la naissance du Dieu Vardosk au milieu des Ohogynas. Aussitôt, le lesdazog reconnaît l’endroit. C’est un ancien temple de la Lumière. Même si l’état du bâtiment laisse à désirer, les sceaux dessinés sur sa grande porte en acier agissent encore. Il y sera en sécurité, au moins pour cette nuit.
Après encore un dernier regard circulaire, le bandit s’approche de l’entrée principale pour l’ouvrir et se protéger des bêtes sauvages qui rôdent dans les bois obscurs qui le cernent… mais alors que sa main allait se poser sur l’immense porte en acier, un crissement derrière lui le fige dans son élan. Il s’arrête net et se retourne vivement, portant la main à son couteau. Au-dessus de lui, le ciel est sans nuages, Merra et Kaora éclairent faiblement les lieux dans des teintes fondues de bleu et de rouge, projetant les ombres des grands arbres tout autour comme une mâchoire garnie de milliers de crocs, prête à se refermer sur le lesdazog et le monastère pour les broyer.
Un nouveau crissement, sur sa gauche. Il dégaine son arme et la brandit devant lui, pour découvrir un de ces grands animaux qui représentent le royaume où il se trouve : un crépuscule. Sa tête de corbeau est basse, ses sabots raclent le sol avec peine, sa queue chevaline fouette l’air douloureusement, il respire avec difficulté. L’une de ses ailes est repliée, mais l’autre traîne, inerte, sur le sol. Il était bien suivi, alors, mais ce n’est pas un prédateur, juste une bête blessée. L’animal est inoffensif.
Soulagé, il rengaine son couteau et pousse la porte massive pour entrer et laisser la créature se réfugier à son tour dans le bâtiment abandonné. Pour ce soir, il se sent d’âme charitable, et ce monastère est bien assez grand pour tous les deux. D’ailleurs le crépuscule ne se laisse pas prier et entre à son tour, conscient que le lesdazog ne lui fera aucun mal. Entre proies, ils se comprennent.
Annotations
Versions