Ils existent

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Ce n’est pas tant en découvrant le dictaphone de son oncle qu’en écoutant ce qui y était enregistré, que le sang se figea dans les veines de l’enfant. Pendant un instant, il avait senti comme une nausée monter à sa gorge, le flou lui envahir la vue. Il serait probablement tombé à la renverse s’il ne s’était pas accroché au fauteuil qui lui servit d’appui. Pour autant, il ne parvenait pas à couper la lecture de l’enregistrement, ni à s’enfuir.

C’est par hasard qu’Andy était entré dans le cabinet de l’oncle Yuki, en attendant que le psychologue revienne d’une course. Il était tard, mais Yuki avait accepté de le recevoir, à titre personnel. Ces derniers temps, l’enfant se posait beaucoup de questions, sur la vie, sur ce qu’il pouvait devenir plus tard. Et il en avait certaines, qu’il n’osait pas poser à sa mère. Des questions sur Jun. A chaque fois qu’il était sur le point de lui en parler, elle avait ce regard absent qu’il ne connaissait que trop bien, et il restait interdit, se disait qu’il valait mieux garder ça pour lui mais que la prochaine fois, il aurait sans doute le courage de lui demander qui avait été son père, ce qu’il faisait, comment ils s’étaient connus. Alors il avait envoyé un message à son oncle de cœur, pour en savoir plus, parce qu’il sentait qu’il pouvait s’ouvrir plus facilement à lui qu’à sa propre mère. Evidemment, l’oncle Yuki avait accepté avec joie de le recevoir et l’avait laissé s’installer dans le hall de son cabinet, pour l’y attendre. Ils auraient une discussion « entre hommes » comme on dit. Enfin, il allait pouvoir dire tout ce qu’il avait sur le cœur, tout ce qui lui pesait, tout ce dont il avait peur, tout ce qu’il regrettait. Mais l’oncle Yuki tardant à revenir, la curiosité innocente dont il faisait souvent preuve fut la plus forte, et il ne put s’empêcher de visiter son lieu de travail.

La pièce était juste assez grange pour accueillir un bureau de bois fin, un canapé aux assises usées par les clients, et un vieux fauteuil sans doute plus accueillant. Derrière le bureau se trouvait une chaise simple, pas du tout le genre de chaise que l’on s’attend à trouver dans le bureau d’un psychologue ou d’un médecin. Profitant de l’absence de son oncle, l’enfant eu l’idée d’aller fouiller dans les dossiers de ses patients, dans un jeu à la Sherlock Holmes, pour essayer de trouver qui était réellement fou à lier entre les simples dépressifs et les hypocondriaques. Il ne lui fallut pas longtemps pour les trouver, ce n’était pas non plus la Banque Nationale, et Yuki avait omis de fermer le tiroir où étaient rangés tous les dossiers. Andy en profita et se jeta littéralement sur un dossier au hasard, pour le feuilleter longuement, avant de se rendre compte avec une pointe de déception que le patient n’était qu’un vieillard insomniaque, et qu’il racontait juste les reves qu’il faisait dans sa jeunesse. Le second dossier s’avéra plus fructueux, mais pas aussi croustillant qu’il l’eut espéré. Il remarqua un E griffoné en rouge dans un coin de la fiche descriptive, mais n’y prêta pas plus d’attention. Le psychologue mettant décidément plus de temps qu’il l’aurait cru, le gamin passa en revue encore quelques patients qu’il avait crus intéressants à découvrir, certains portant eux aussi la mention « E » avant de tomber sur un dossier qui le surprit. Brid Donovan.

Il cligna des yeux un instant, croyant avoir mal lu. Pourtant, on ne pouvait s’y tromper. Le nom était nettement visible. Sa mère avait été une des patientes de son oncle, il n’en avait jamais rien su. Il allait ouvrir le document confidentiel qui renfermait des informations qu’il ne connaissait probablement pas, quand un bruit sec se fit entendre à ses pieds. Un dictaphone était tombé, il avait du le pousser du bureau quand il s’était installé pour mieux lire. Quand l’objet avait percuté le sol, le bouton de lecture s’était enclenché, laissant entendre une voix secondée par quelques parasites sur la bande. La voix ressemblait à celle de l’oncle Yuki, mais quelque chose était étrange. Il ne parvenait pas à savoir ce qui le dérangeait, mais de toute façon il était trop tard, impossible d’arrêter l’enregistrement. Il semblait raconter une histoire, certains mots se répétaient et semblaient vouloir tinter plus fort que les autres, dont un était devenu symbole de mythes dont la génération d’Andy n’avait pas pleinement conscience. Petit à petit, la voix prenait un ton plus étrange, plus irréelle, plus inquiétant.

Mais ce n’est qu’à la dernière phrase que les mains de l’enfant se mirent à trembler. « Crois-tu aux histoires que l’on raconte, Andy ? Crois-tu en l’existence des Eclats ? » l’appareil cessa sa lecture, et le gamin resta sans bouger pendant quelques secondes, avant de se précipiter dessus et de rembobiner. Mais la voix répéta sa dernière phrase sans le moindre changement de ton. Il avait bien entendu. La voix, il en était certain, n’était pas celle de son oncle Yuki. Et pourtant cette personne, cet être, cette créature quelle qu’elle fut, le connaissait.

Le souffle court, Andy se raidit sur place. Quelqu’un l’observait. Il pouvait presque sentir son souffle oppressant sur sa nuque, prêt à le dévorer s’il osait se retourner. Alors il ne bougea pas, terrifié qu’il était face à cette chose dont il pressentait la dangerosité.

_ Andy.

C’était la même voix que celle qui s’était échappée du dictaphone, cette voix similaire à celle de l’oncle Yuki, cette voix terrifiante.

_ Andy.

Une sensation glacée parcourut l’échine de l’enfant, il était paralysé par la peur et ne parvenait pas à trouver la moindre échappatoire. Une goutte sombre tomba non loin de lui, puis une autre. Des gouttes de sang. Bientôt, des filets coulèrent le long des murs, pour se rassembler sur le sol, en flaques de plus en plus grosses, de plus en plus proches de lui. Et la voix continuait à prononcer son nom. Il devait prendre son courage à deux mains, faire face pour se réveiller de ce rêve affreux, si seulement c’en était un… alors il prit une grande respiration et se retourna pour pouvoir observer celui qui l’effrayait à ce point. Face à lui se tenait un être, son visage sans nez, sans yeux, avec seulement ce sourire démesuré et un cercle de sang en plein milieu du front. Un mélange entre Dracula, le monstre de Frankenstein et la Momie.

_ J’ai pas peur de vous !

Il mentait, et son cœur qui battait à tout rompre entre ses côtes prouvait le contraire.

_ Nous en sommes certain, murmura l’autre en faisant un pas vers lui. Andy n’est pas un froussard, le petit Andy à sa maman chérie n’est pas un fuyard. Le petit Andy est comme son papa chéri, il est fier, il est fort et vaillant.

_ Qui êtes-vous ?

Des coups à la porte firent sursauter l’enfant qui se tourna aussitôt vers celle-ci, avant de regarder à nouveau dans la direction de l’être aux apparences de mauvais goût. Le sourire immuable sur son masque semblait se moquer de lui, il porta un doigt à ses lèvres inexistantes et siffla un « shhhhhhhhhhh » avant de regarder en direction de la porte, imité par Andy. Mais lorsque le gamin se tourna à nouveau vers lui, l’homme avait disparu, et toute trace de sang avec lui…

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