Revanche. Il a eu plus de dix mille ans pour songer à ses erreurs, pour demander le pardon. En réalité, l’erreur la plus formidable qu’il ait commise, c’est de n’avoir pas réagi avant. Jamais il ne demandera le pardon. Toujours il cherchera la vengeance. Jadis, il était un fier guerrier, un eris gigantesque, puissant comme un Razeg, solide comme un roc, vaillant et brave. Il était aussi insensible, violent et sadique. Ses soldats le suivaient sans broncher, obéissaient à ses ordres sans ciller. Ils n’avaient pas intérêt. Le premier qui lui manquait de respect se retrouvait pendu. Il croit se souvenir que son nom à l’époque était Isleda. Le grand et fier chef du royaume d’Egao. On le surnommait le Mont Impassible, parce qu’il écrasait tout être qui lui déplaisait, sans exprimer pitié, remord ou dégout. Cela fait des millénaires qu’il n’a pas entendu ce nom.

Ça ne signifie plus rien pour lui. Isleda est mort. Le Mont Impassible est toujours en vie. Et sous une nouvelle forme, plus à l’image de ce qu’il est vraiment : un monstre noir fait de métal et de roche brute, sans cœur, intouchable, brûlant. Ses yeux sont en permanence injectés de sang, il est si gros et si lourd que ses pas et ses grondements font trembler le sol. Sa première corne tranche et découpe. Celles de son front écrasent et broient. Celles de ses tempes brisent en un instant. Pendant des millénaires, il est resté enfermé dans cette prison sans fin. Pendant des millénaires, il a rêvé de se venger de Zilae, son éternel ennemi. Le chef du royaume voisin. Pendant des millénaires, il a souhaité recouvrer la liberté pour déchainer toute sa puissance sur ce monde misérable. Quand il a surgi des profondeurs de la forêt Maudite dont il était le maître, il a été enfermé pour la seconde fois. Et le Destin a voulu qu’un être inférieur lui donne les moyens de quitter cette nouvelle prison. 

Plus rien ne l’arrêtera désormais. Plus rien ne se mettra en travers de sa route.

Et chacun de ses pas fera de nouveau trembler Vassadror tout entier, chacun de ses souffles en brûlera les récoltes, chacune de ses charges en détruira les paysages. Quiconque se trouve sur son chemin sera brisé, broyé, réduit à l’état de chair informe et sanguinolente. Nulle survie, nulle échappatoire. Et seul lui aura le privilège d’admirer ce monde qu’il aura dévasté, et façonné à son image.

Son hurlement terrifiant déchire l’air comme un coup de tonnerre, alors qu’il prévient ce monde qu’il en est le fléau, le maître, le Dieu absolu et incontestable.