Chapitre 2 : Cryset
Cryset était une ville de 400 000 habitants. Pour les fées, en dehors d'être un pôle d’éducation avec ses nombreuses facultés, elle était également la ville la plus importante du Finistère. En effet, Horod Terralin, le roi des fées du Finistère, vivait dans le bourg à quelques kilomètres de la demeure d’Ambatine Oppralin, la mère de Loënia. Les fées apparentée de près ou de loin à la famille royale avaient pour obligation d’ajouter le suffixe “lin” à la fin de leur nom. La grande population de fée en France faisait qu'il y avait presque un roi ou une reine des fées par département ou par région. La Bretagne était autrefois constituée de cinq départements, il y avait donc deux rois et trois reines pour cette région.
Cependant, Cryset n’avait pas toujours été un refuge pour les fées. En effet, autrefois cette ville était majoritairement occupée par les loups. En leur mémoire, une “Statue du loup” avait été érigée en plein bourg. C’était en réalité un être humain qui regardait vers l'horizon, vers le centre Bretagne et plus exactement vers les Monts d’Arrée où les loups du Finistère avaient majoritairement immigrés. Les fées, il y a des siècles de cela, les avaient chassés avec une grande violence qu'elles tâchaient de dissimuler aujourd'hui.
Les sorciers représentaient la troisième plus grande population à Cryset, après les humains puis les fées. Il y avait ensuite les vampires et enfin les loups.
Ambatine Oppralin avait adopté trois filles nées fées. Les quatres femmes étaient actuellement dispersées dans la maison en attendant le dîner. La matriarche discutait avec son aînée, nommée Raison, dans le salon tandis que la plus jeune, Liséa, dessinait sur la table de la cuisine. De son côté, Loënia essayait son pendule dans sa chambre.
La demeure était enchantée. Cela signifiait que les volets se fermaient à toute heure du jour et de la nuit, la vaisselle se faisait seule, l’électricité se coupait sans raison ou les ampoules s’allumaient quand tout le monde dormait, les pulls préférés disparaissaient, les livres tombaient des bibliothèques, les plantes se dépotaient, les fruits prenaient une douche dans l’évier qui débordait, les crayons couraient sur les murs, mais, par chance, les animaux étaient bien des animaux et ne s’étaient jamais mis à parler.
Loënia, la cheville maintenant sauve grâce à un cataplasme préparé par sa mère, descendit l’escalier pour rejoindre la cuisine. Elle se précipita alors pour remuer la ratatouille qui fumait. Sa mère et sa grande sœur qui étaient fascinées par leur discussion sur les plantes grasses, n’avaient pas remarqué que le plat s’était mis à bouillir.
-Merci, ma puce, lui dit Ambatine.
Ambatine avait quarante-cinq ans. Elle avait des yeux bleus et de grandes lunettes grises. Elle était l’archétype même de la mère trop soucieuse de la réussite de ses enfants. Sa voix de soprane, son corps malingre et sa sévérité rajoutait encore du poids à son rôle de femme d’affaire très occupée. Elle avait une routine très stricte. Elle se levait à six heures pour faire trente minutes de sport. Ensuite, elle prenait son petit-déjeuner et se préparait pendant une heure avant de partir au travail pour arriver à huit heures à son bureau. Elle revenait ensuite chez elle vers dix-neuf heures. A ce moment-là, elle aidait sa benjamine à réviser ses devoirs. Si Raison ou Loënia n'avait pas eu le temps de cuisiner le dîner à cause de leurs cours, elle le préparait.
-Lo’, l'interpella Raison, les cacti sont des plantes à part entières, n’est-ce pas ?
Loënia aimait beaucoup les plantes mais, cette fois, elle haussa les épaules avec un air désolé comme réponse. Elle ne voulait pas s’engager dans un débat houleux sur le bien-fondé de l’existence des cacti avec sa mère. Loënia continua de remuer la ratatouille. Ambatine sourit à Raison d’un air triomphant.
-Ce cactus est une plante de Satan, grogna la mère des deux jeunes femmes en étirant les bras pour attraper des assiettes dans une étagère.
Ambatine avait vécu de nombreuses péripéties avec des cacti. Etant enfant, elle avait trébuché et était tombée sur de nombreuses plantes piquantes. Apparemment, elle avait gardé de cet événement des échardes et de très mauvais souvenirs.
Toutes les fées naissaient avec un tatouage féerique. Il symbolisait le clan auquel les fées appartenaient. Celui d’Ambatine se situait sur sa main droite, mais l’endroit variait d’une magicienne à l’autre. En l’occurrence, les quatre fées avaient le même puisqu’elles étaient toutes sous l’autorité de Horod Terralin, le chef du clan des fées du Finistère. Le tatouage était peu visible car il avait presque la même teinte que la peau des fées, il était toujours un peu plus clair ou plus foncé. Le style artistique de la marque dépendait beaucoup de la région du monde dans laquelle les fées vivaient et de leur culture. Par ailleurs, les tatouages évoluaient d’époque en époque. Celui des fées du Finistère s’était arrondi au fil du temps.
Cependant, le tatouage pouvait s’obscurcir remarquablement si une fée usait de la magie noire, qui leur était proscrite. Seuls les sorciers pouvaient la pratiquer et une alliance avec eux avait le même effet, le tatouage féerique se modifiait et devenait sensiblement visible à tous. Une telle alliance était vue par la plupart des fées comme une déliquescence. La magicienne jetait l’opprobre sur toute sa famille, voire son clan, en fonction de son rang. Loënia, Raison et Liséa étaient les cousines du futur prince des fées de Bretagne. Bien qu'elles ne l'avaient pas choisi, leur mère les avait éduquées de façon à ce qu'elles fassent attention à leur rang.
Pendant le dîner, les sœurs discutèrent du bal d’Halloween organisé par les Terralin. Horod, le roi des fées du Finistère, était également le cousin d’Ambatine. Cette dernière entretenait une certaine animosité à l’égard de celui-ci. En effet, son cousin avait été désigné roi par son oncle et Ambatine n’avait jamais pu diriger le clan des fées.
Loënia ne se rappelait pas du bal d’Halloween.
Elle se tenait un peu en retrait, les épaules rentrées vers sa soupe trop chaude, ne se donnant pas la peine d’essayer de retenir les informations qui lui parvenaient. Tandis que Raison répétait que leur cousin, Braken, ne leur avait presque pas adressé la parole, car il préférait “draguer de la demoiselle”, Loënia songeait à sa rencontre de l’après-midi.
Rashnoé était un sorcier. Il semblait dire vrai sur leur amitié et il paraissait également prêt à l’aider pour retrouver la mémoire, du moins, à première vue. Et s'il voulait du mal à Loënia ? Et s'il cherchait à l'amadouer pour gagner sa confiance ? En tant que sorcier, il avait accès à la magie noire qui était formellement interdite aux fées. Si elle la pratiquait, son tatouage féerique deviendrait plus foncé ou alors plus clair que sa peau. Elle savait que sa mère verrait ce phénomène comme une grande honte, et Loënia ne le supporterait pas.
Loënia sursauta en entendant José s’agiter dans sa cage. Le hérisson bien nourri en avait marre et voulait retourner sur l’épaule de quelqu’un. En effet, sa seule raison de vivre était de voir tout de haut et fourrer son museau dans le cou de ses colocataires. Liséa, la plus jeune de la famille, était sa meilleure amie. Il lui arrivait souvent de prendre le hérisson dans sa chambre et de le laisser errer alors qu'elle jouait sur son téléphone portable ou qu'elle travaillait un nouvel enchantement.
-Tu es la pire amie au monde, soupira Rubis en entrant dans la salle de repos de la faculté. Quoi ? Ne me regarde pas comme ça car tu sais que j’ai raison. Je dois être ta meilleure amie et je ne connais même pas ta mère ! Avant que tu me dises que tu ne connais pas la mienne, sache que mes parents ont déjà vu des photos de toi donc ils te connaissent. Je suis persuadée que ta mère ne sait même pas que j’existe.
Rubis était une jeune femme rousse et quelque peu hyperactive sur les bords. Elle était dans la même promotion que Loënia, en Lettres modernes. Elle était également une louve de l’Est de la Bretagne. Un beau jour, il y a trois ans de cela, elle avait pris la décision de quitter sa famille pour venir étudier à Cryset, sur la terre de ses ancêtres. Parcoursup l'avait beaucoup aidée pour faire ce choix.
-Si je t’amène chez moi, tu n’auras même pas le temps de faire quelques pas sur la pelouse que ma mère t’aura lancé des sorts, renchérit la fée en déposant son sac sur le sol de la salle de repos de leur faculté. Nous avons cours dans combien de temps ?
Rubis haussa les sourcils.
-Ne change pas de sujet, je trouve ça agaçant. Tu vois, ta mère ne devrait pas haïr les loups, les vampires ou les sorciers. D’ailleurs, comment se fait-il qu’elle supporte les humains ?
-Oh, rassure-toi, reprit Loënia avec ironie, elle les trouve pathétiques.
-Pâté-tic, fit Rubis avant que les deux filles n’éclatent de rire.
Trois étudiants se tournèrent vers elles avec des regards mi-surpris mi-agacés.
-Je sais bien que le comportement de ma mère est détestable. J’ai essayé de discuter avec elle mais elle n’en a rien à faire. Tu sais qu’elle se réunit avec notre voisin pour discuter des sorciers ? C’est limite si elle ne complote pas avec lui.
-Peut-être qu’elle le fait.
La fée haussa les épaules en sortant son ordinateur portable. Elle avait l’intention de retravailler le cours de linguistique qu’elles venaient d’avoir. Loënia se doutait bien qu’il allait être impossible de réviser à côté de Rubis qui était une grande bavarde.
Une Elise paniquée entra dans la salle de repos. Cherchant frénétiquement du regard ses amies, elle avança avec soulagement vers la table où Rubis et Loënia étaient assises.
-Je… 3 ans ici et je ne sais toujours pas où… où est le secrétariat, souffla-t-elle en se tenant les côtes.
-Tu as couru ? S’étonna Rubis.
Elise, une humaine adorable qui était dans la même promotion que les filles, hocha la tête.
-Comme je vous l’avais dit, j’avais rendez-vous… (grande respiration) chez ma gynéco. Il s’avère que j’ai raté mon bus pour retourner à la fac, alors j’ai couru parce que je pensais qu’on avait cours.
-Dans deux heures, lui apprit Loënia tandis qu'Elise lui offrait un regard courroucé.
-Je l’ai compris en vous voyant rire assise là. Je suis si idiote, parfois.
-Tatata, fit Rubis en déplaçant une chaise pour Elise. Ne dis pas ça. Le cerveau finit par croire toutes les affirmations qu’on lui donne.
Elise s’assit lourdement sans vraiment écouter ce que lui disait Rubis. Elle ouvrit une bouteille d’eau et but sans modération. Loënia en profita pour mettre en couleur quelques titres de son cours avant que Rubis ne s’élance dans une discussion passionnée sur les Jeux Olympiques qui allaient prochainement se dérouler en France. Ses parents lui avaient promis de l’y emmener.
En rentrant chez elle, après une rapide collation, Loënia alla nourrir Bickie, la chèvre de la famille. Le foin frottait contre ses mains déjà endoloris par le froid de février. A défaut de neiger, le vent et la pluie accompagnaient chacune de ses journées.
Elle ne pouvait s’empêcher de songer à Rashnoé. Le sorcier l’avait frappée pour de multiples raisons. Tout d’abord, en entrant dans la boutique, ses larges yeux semblaient être éclairés de flammes vertes aussi vives que celles d’une cheminée. Son physique était d’une grande beauté, au moins aux yeux de la fée, qui ne pouvait s’empêcher de songer à ses longs cheveux blonds et à ses grandes mains. Le plus marquant, peut-être, était la confiance qui se dégageait de lui. Il savait ce qu’il faisait. Il avait clairement restitué des faits avec une telle assurance que Loënia l’avait cru sur le coup. Avait-elle eu raison de lui faire ainsi confiance ? Aurait-elle dû claquer la porte au risque de rencontrer pour de bon son suiveur ? Tout en fermant l'enclos de Bickie, elle eut une idée. Elle n'avait qu'à parler de Rashnoé à Raison ! Si Rashnoé avait vraiment été son meilleur ami pendant des années, Raison en savait forcément quelque chose.
Le soir même, faute d’être patiente ou calmée, la fée alla chercher dans le grenier ses photos de classe. En entrant dans la pièce, elle fut prise de désespoir en la découvrant si peu organisée. Des tas de sacs débordant de vêtements et de jeux jonchaient le sol, souvenirs de son enfance. Plus loin, des boîtes parfois vides et toute autant abîmées donnaient l’effet de remparts infranchissables. Loënia se rappelait maintenant pourquoi elle n’entrait jamais dans cette pièce.
La fée n’était pas bien grande mais elle était tout de même satisfaite de sa taille et, encore davantage en ce moment, car elle pouvait franchir les obstacles poussiéreux sans trop d’encombres. Elle se griffa tout de même la cheville à une vieille malle qui n’avait plus servi depuis bien longtemps. Loënia songea aussitôt au rangement qu'elle pourrait effectuer ici, lors d'un futur week-end. Peut-être qu'elle pourrait convaincre l'une de ses soeurs de l'aider.
Elle repéra du regard la boîte qui devait contenir ses affaires d’écolière. Elle avança encore dans le dédale et écarta un sac plein de peluches. Elle prit dans ses mains le large carton, l’ouvrit à genoux dans la poussière et consulta une à une la tête de chaque enfant sur chaque photo. Elle sourit en se voyant et se jugea adorable. De nombreux souvenirs, essentiellement dans la cour de récréation, lui revinrent.
Et, à chaque fois, elle ne se rappelait pas du même petit garçon. Elle avait beau forcer à s’en faire un mal de tête, rien ne venait. Aucune bribe de souvenir, aucune parole échangée avec d’autres camarades d’école à son sujet, même pas le souvenir de son prénom, rien du tout.
Elle envoya un message à Rashnoé pour lui demander si elle pouvait passer demain à la boutique après ses cours. Elle terminerait sa journée à quatorze heures, ce qui lui laissait largement le temps de prendre le train ou le bus pour passer à la boutique du sorcier avant de rentrer chez elle.
Elle n’attendit pas sa réponse, rangea les photos dans le carton comme elle les avait trouvées et ressorti du grenier en s’époustant les jambes. Elle fit un détour par sa chambre pour reprendre 1984 de George Orwell, livre que lui avait offert Rashnoé, dont elle n’avait aucun souvenir de l’avoir lu. Elle avait dû passer plusieurs minutes devant sa bibliothèque avant de le retrouver. Elle descendit dans le salon et s’assit confortablement dans son canapé. Loënia n’avait qu’une passion dans la vie : lire.
Une fois lovée sur le fauteuil, son livre ouvert, Loënia releva la tête. Elle avait froid. Elle fouilla du regard le salon avant de tomber sur la malle faite de bois et de bronze qui regorgeait de couvertures en tout genre. La fée soupira. Personne d’autre qu’elle n’était dans le salon, par conséquent, elle ne pouvait héler personne. Elle releva sa main et fit danser ses doigts pour ouvrir la malle puis en extripa un plaid qui vola jusqu'à elle. Elle s’enroba dedans tel un wrap. Elle s’assit comme elle put sur le canapé et rouvrit son livre.
Il lui restait maintenant presque une heure avant de dîner, soit un temps suffisant pour lire et se détendre. Raison n’était pas encore rentrée des cours. Ambatine était toujours au tribunal ou à son bureau. Cette dernière était avocate dans la plus grande ville du coin, Brest.
Mais une nouvelle pensée vint l’interrompre. Jamais Raison ou Liséa n’avaient prononcé le prénom Rashnoé devant elle. Loënia avait la conviction qu’au moins de cela, elle se serait rappelée. Rashnoé mentait.
Hey ! Comment allez-vous ?
J'espère que ce second chapitre vous aura plu. J'ai essayé d'instaurer davantage de personnages et de développer l'environnement. Sur Google Doc, mes chapitres sont plus longs donc j'ai un peu plus de mal à découper mes chapitres... J'espère que je l'ai bien fait.
Que pensez-vous de Rubis ?
On en apprend un peu plus sur le passé de Loënia...
De José et de Bickie ? J'aimerais bien avoir un hérisson domestique, mais j'ai un lapin et je pense que ça s'en rapproche un peu.
Je vous souhaite une excellente journée, je vous conseille d'aller dormir s'il est plus de minuit et que vous avez cours ou que vous travaillez demain !
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