Chapitre 7 : Le liquide doré
-Est-ce que tu pourras m’envoyer le cours de grammaire ? demanda Rubis à Loënia qui saisissait un yaourt blanc au self de la cafétéria.
Si la faculté de Cryset était un ancien château, la cafétéria était un bâtiment neuf et bien insonorisé qui offrait un grand choix d’entrées, de plats et de desserts.
Une fois payé leur repas, les deux femmes s’assirent à une table un peu à l’écart. Si elles appréciaient beaucoup Elise, leur amie humaine qui était partie manger avec d’autres amis, elles ne pouvaient parler avec elle de leur vie mystique.
Ce midi-là, Rubis était particulièrement en rogne contre la mère de Loënia. En effet, elle trouvait le comportement d’Ambatine exagéré. La fée avait appris à son amie que sa mère trouvait qu’elle ne travaillait pas assez. Par conséquent, Loënia avait cessé de sortir en dehors des cours.
-Tu es la fille la plus sage que je connaisse !
-C’est parce que tu ne connais pas ma grande-soeur, articula la fée avant d’enfourner une nouvelle bouchée de pommes de terre.
-Vous êtes parfaites, je ne vois pas pourquoi votre mère ne vous lâche pas davantage la grappe.
Rubis, qui avait mangé sa mousse au chocolat avant son plat principal, but une gorgée d’eau.
Loënia, un peu fâchée que le sujet du déjeuner soit basé sur sa mère, haussa les épaules. Si les filles Oppralin semblaient si parfaites, c’est qu’il fallait gratter la surface pour avoir la réalité. Raison, l'aînée, aimait un loup, Loënia voyait son meilleur ami sorcier régulièrement et la plus jeune, Liséa, sortait en dehors des cours et fumait probablement, tout cela malgré les vindictes de leur mère. Ces comportements n’auraient pas été si dangereux si Ambatine n’était pas aussi sévère avec ses filles.
Rubis attacha ses cheveux roux en une petite couette avant de reprendre :
-Tu es majeure, plaque ta mère et prends toi un appartement.
-Avec quel argent ? Je te rappelle que quand j’ai voulu travaillé l’été dernier, ma mère m’a fait une crise en prétendant qu’une princesse ne travaillait pas. Je ne suis pas princesse et heureusement ! Crut-elle bon de préciser. D’ailleurs, la famille de ma mère adore nous le rappeler. Je crois que c’est ma mère qui en est le plus touchée.
Loënia se rappela alors de sa rencontre avec son cousin Braken à Lent-sorceler. Si elle s’entendait bien avec son cousin, ils n’avaient jamais été particulièrement proches. De plus, elle craignait qu’il ne révèle son escapade chez un sorcier à sa mère.
Mais ce qui noircissait l’humeur de la fée était un tout autre sujet. Pour travailler davantage et plaire à sa mère, il fallait couper aux divertissements extérieurs. Loënia aimait profiter de la nature, c’était Rashnoé qui emportait la médaille d’or en matière de sorties. En dehors des cours, elle ne sortait que pour se rendre chez lui ou à sa boutique. En bref, Loënia avait cessé de répondre à ses messages, ou alors, prise de culpabilité, elle répondait plusieurs heures après.
-He, fit Rubis en voyant que son amie ne mangeait plus, ça va ?
Loënia se reprit, cligna des yeux, et hocha la tête.
-Je suis juste fatiguée.
Rubis pencha la tête sur le côté comme un chien qui cherche à comprendre ce que dit son maître. Loënia se détesta de faire une telle comparaison entre un canidé et son amie louve.
-Je t’aurais bien proposé de courir mais, comme tu es privée de sortie...
La fée sourit, contente d’avoir une si bonne amie.
-J’avais pensé à un truc, ajouta Rubis. Ta mère est une fée donc elle doit connaître un tas d’enchantements.
Loënia hocha la tête. Ambatine était la fée la plus compétente et savante qu’elle connaisse. Elle connaissait par cœur une myriade d’enchantements. Elle possédait plusieurs grimoires et semblait trouver une solution magique à chaque problème.
-Et si tu avais découvert quelque chose de, disons… fâcheux au sujet de ta mère et qu’elle t’ait empoisonné pour que tu oublies.
Loënia manqua de s'étouffer avec un haricot vert, Rubis s’était presque levé de table quand la fée lui fit signe qu’elle allait bien.
-Tu te fais des films, ma mère n’est pas folle. Elle ne m’aurait jamais fait subir ça ! Et puis, jouer sur le cerveau, c’est presque proscrit pour les fées. Il doit bien exister un ou deux sorts qu’on puisse faire mais…
Loënia ne finit pas sa phrase, comme parfois. Elle regarda autour d’elle avant de compléter.
-C’est pour cela que ma mère hait les sorciers. Ils peuvent faire des sorts qui nous sont interdits. Inversement, ce n’est pas le cas. Ils peuvent reproduire tous nos enchantements.
Rubis, qui savait déjà cela, acquiesça. Tout en tenant sa fourchette entre ses doigts, elle observa plusieurs personnes autour d’eux. Si les humains étaient les plus nombreux, cela avait un effet défavorable pour les créatures magiques. Les sorciers devaient porter des lentilles pour dissimuler leurs yeux fluorescents, les fées cachaient leur tatouage féerique s’il était visible, les vampires devaient manger comme les humains dans certaines occasions et seuls les loups vivaient à peu près normalement puisqu’ils n’avaient rien à dissimuler. Ils pouvaient se transformer en loups quand ils le souhaitaient mais ils devaient veiller à ne blesser personne.
-Tu n’as pas trop de problème avec ton tatouage féerique ? questionna la louve.
-En été oui. J’aime bien porter des débardeurs mais j’évite quand je suis à la fac. Les humains pourraient se poser des questions et je n’aime pas trop être repérée comme quelqu’un de la famille royale par les professeurs non-humains.
En effet, chaque fée liée par la famille royale, recevait imparablement le suffixe “lin” à la fin de son nom de famille. La présence d’un tatouage féerique en plus de cela menait à d'inévitables conclusions.
-J’ai revu mon cousin, Braken, à la boutique de Noé. J’espère vraiment qu’il ne va rien dire à ma mère lors du prochain bal.
-C’est quand, déjà ? Demanda la louve en mâchant quelques pâtes.
-Ce week-end, soupira Loënia. J’espère que personne ne parlera du bal d’Halloween dont je ne me souviens pas.
Loënia adorait les bals organisés par sa famille. Ils étaient exclusivement réservés aux fées et aux membres de la famille royale. Seules les rares personnes liées à une fée de la famille royale, et qui n’étaient pas des fées elles-mêmes, pouvaient venir. Ils se comptaient sur les doigts d’une main. La nourriture était bien sûr excellente, la musique éternelle, les sourires aussi vrais que faux, les danses infinies et la décoration brillaient au sens propre de mille feux.
Ce qui plaisait le plus à la jeune fée depuis son enfance était les illuminations au plafond comme les flammèches qui ondoyaient entre les danseurs. La nourriture elle-même avait un goût de magie. Quand elle était toute jeune, un invité, sûrement une tante éloignée, lui avait raconté que les cuisiniers créaient leurs plats uniquement sous la pleine lune et ajoutaient de la rosé pour donner un bon goût.
-J’espère qu’un jour, tu pourras venir à un de ces bals. Ils sont si somptueux...
Tout en tenant les plis de leurs robes, les Oppralin pénétrèrent dans la salle de balle des Terralin. Il y avait déjà beaucoup de fées qui exhibaient leur tatouage comme des armes de guerre et de fierté.
-Et ça c’est l’étendue de notre famille, souffla Raison à Liséa qui trépignait d’impatience.
Chacune des quatres femmes Oppralin avait une couleur de robe différente. Ambatine portait du rouge, Raison du vert, Loënia du marron et Liséa du jaune. La plus jeune avait plus ou moins élégamment dit à Loënia que sa robe lui faisait penser aux déjections de José. Elle en fut autant amusée que vexée.
La salle était ornée d’un parquet massif dernièrement lustré et de nombreux lustres éclairaient l’immense pièce avec de véritables bougies. Loënia se dit qu’elles devaient être enchantées pour ne pas fondre sur les invités. Les murs étaient agrémentés d’une tapisserie représentant des sorciers chassant des animaux tandis que de l’autre côté, à l’ouest, les fées accueillaient les pauvres bêtes. La jeune fée s’étonna que la tapisserie n’ait pas été remplacée puisque la paix était d’actualité depuis de nombreuses décennies. Le roi pensait peut-être qu’aucun sorcier n’entrerait un jour ici, ce qui était probablement le cas.
Raison scrutait le buffet. Elle se rappela un jour que son cousin Braken lui avait dit qu’elle était en train de manger une cuisse de grenouille alors que c’était du poulet. Elle avait été si terrifiée qu’elle avait lancé la cuisse sous la table et tout un groupe d'adultes l’avait observé. Elle rougit en repensant à ce moment humiliant.
Après le discours paternaliste d’Horod, Liséa trouva rapidement des gens de son âge pour discuter et se balader dans la forêt qui encadrait une partie du château. Des trois sœurs, elle était la plus extravertie. Un peu plus loin, Raison, qui s’était habituée à sa robe, assurait un rôle de médiatrice entre deux vieilles fées revanchardes qui débattaient d’une embrouille du temps passé. Ambatine et Loënia trainait de-ci de-là en observant la foule et participant aux discussions. Les Oppralin passaient du bon temps.
Braken, le neveu d’Ambatine, les rejoigna. Il portait, une fois de plus, une longue cape bordeaux qui traînait derrière lui si bien que les invités devaient faire attention à où ils posaient leurs pieds. Son air noble était encore accentué par ses traits marqués, ses cheveux ras et surtout son air hautain.
-Bonjour ma tante, fit-il en lui offrant un sourire bref.
-Braken, cela fait longtemps que tu n’as pas accordé du temps à ta tante.
Si Ambatine ne connaissait pas bien son neveu, Loënia était habitué au comportement impulsif et belliqueux de son cousin. Pour avoir joué avec lui, et l’avoir agacé, elle savait qu’il dégainait rapidement son épée, même quand il avait 8 ans. Épée qui pendait de sa ceinture, toujours aussi en évidence qu’en pleine démonstration de force à Lent-sorceler.
-J’ai appris que Loënia avait eu des soucis de santé ?
A ce moment-là, la fée à la robe marron aurait aimé fuir en courant les bras en l'air cette conversation et emporter en même temps son imbécile de cousin sur son sillage. S’il révélait quoi que ce soit de sa rencontre avec Rashnoé, Loënia n’aurait même plus le droit de sortir pour aller en cours.
-En effet, dit Ambatine d’une voix posée tout en observant sa fille. Nous pensons que Loënia a fait un malaise et s’est écroulée sur le sol de sa chambre.
-Je ne me rappelle plus d’octobre et novembre dernier, lui rappela la concernée tout en foudroyant du regard son cousin quand elle en avait l’occasion.
Un plat d’amuse-bouche flottait en l’air, en quête de personnes intéressées.
-C’est quand même étrange, insista le prince, de ne pas se rappeler de ces mois-là.
-Nous espérons que la mémoire lui reviendra au plus vite, dit Ambatine en posant une main sur l’épaule nue de sa fille. Ça l'a beaucoup marqué.
Bien que Loënia n’aimait pas être infantilisée devant son cousin, elle commençait à voir que sa mère avait envie de se diriger vers son cousin, le roi Horod. A la place, c’est lui qui approcha du trio et les salua.
Loënia et Braken en profitèrent pour se retirer vers le buffet et prirent chacun une coupe de champagne.
-Qu’est-ce que tu fichais ? J’ai cru que tu allais parler de Noé devant elle !
-L’idée m’a traversé l’esprit, admit le prince, un sourire pendu aux lèvres.
Loënia prit la coupe des mains de son cousin et la posa sur la table un peu brutalement. Quelques gouttes giclèrent sur sa main.
-Je ne l’ai pas fait, lui rappela-t-il, alors calme-toi. Je sais bien que ta mère est assez tendue avec les non-fées.
-C’est un euphémisme.
Loënia regarda autour d’elle pour se calmer. Elle croisa les bras et entreprit de compter le nombre d'invités avant que son cousin ne la coupe dans ses pensées.
-Ton pote, il en sait plus sur les vampires qui attaquent les habitants du coin ?
La fée répondit négativement de la tête.
-Il m’a fermement déconseillé de chercher à enquêter à leur sujet. Je ne sais pas s’il sait grand chose.
Loënia n’aimait pas mentir mais elle ne voulait pas que son cousin et ses gardes reviennent embêter son ami une nouvelle fois. Bien sûr, Noé devait avoir plus d’informations sur les vampires mais il avait refusé d’en parler davantage avec Loënia.
-Je n’ai plus beaucoup de contact avec lui, ajouta Loënia.
Ce qui n’était pas faux, elle ne répondait presque plus à ses messages et le laissait sur vu. Elle n’avait qu’une crainte, que sa mère ne découvre qu’elle discutait avec lui ou que Braken ne se batte avec Noé. Il était bon sorcier mais le prince des fées était aussi intelligent que son ami. Cependant, Rashnoé avait révélé à Loënia qu’il se battait avec ses pouvoirs auparavant. Il était peut-être aussi belliqueux que Braken.
-Ah oui ? s'étonna Braken après avoir souri à une jeune fée.
Loënia se rappela avoir joué avec elle à la dinette quand ils étaient enfants.
-Tu me semblais bien protectrice pourtant, l’autre jour.
Les prunelles bleues du prince étaient maintenant acérées. La fée l’avait sous-estimée.
-Je refuse de le mettre en danger, alors nous ne nous voyons plus.
Braken partit alors d’un rire bruyant qui interpella même Horod et Ambatine, toujours en discussion sur les tensions dans le Finistère.
-Ma chère cousine, c’est lui et son entourage qui représente un danger pour toi, pas l’inverse. Sans offense, bien sûr.
-Bien sûr, reprit-elle sans oser le contrarier. Alors, que faisais-tu vraiment dans sa boutique ?
-Je m’amusais, tu connais mon goût pour l’épée.
Il caressa l’objet dans son étui de cuir comme si c'était un animal de compagnie.
-Il est mon ami, alors en ma condition de cousine, je te demande de ne plus lui faire subir cela. D’autant plus que ce n’est pas la première fois et je suis persuadée que ton père, en tant que pacifiste, n’aimerait pas apprendre que son fils héritier martyrise des sorciers derrière son dos. C’est mauvais pour la réputation des fées, ce que tu fais.
Braken posa son regard bleu glacial sur sa cousine, les lèvres à présent serrées d’agacements.
-Je ne comptais pas le revoir, de toute façon.
-Merci, sincèrement.
Il fit un geste las de la main avant de reprendre une deuxième coupe de champagne entre ses doigts couturés de cicatrices. Il la scruta longtemps, comme s’il cherchait à lire l’avenir dans le liquide doré.
-La paix est peut-être signée sur du papier mais mon père est le seul à y croire. Des vampires se rebellent, les loups veulent récupérer leurs terres ancestrales et les sorciers nous taquinent de plus en plus. Ils veulent avoir accès aux portes du château. Songe que ton soi-disant ami est peut-être motivé par ton rang.
-Qu'as-tu vu quand tu es entré dans mon esprit ?
Braken siffla d’animosité, devant le comportement de sa cousine. Il la jugeait trop confiante alors qu’il aurait pu la blesser d’un coup de poing ou d’épée. Elle était si petite et insouciante.
-Rien que je divulguerai, si c’est cela qui te chiffonne.
-Non, du tout. Je sais que tu es loyal mais je me demandais si tu avais perçu les souvenirs qui me manquent.
Braken, plus apaisé, secoua la tête.
-Je ne sais fichtrement pas comment tu pourras les retrouver.
Hey !
J'ai une petite question : je n'arrive pas à voir toutes les annotations que vous laissez quand je clique sur mon chapitre. Ce doit sûrement être moi qui ne suis pas encore bien adaptée à l'application mais je ne trouve pas la solution tout seule ^^'
Comment avez-vous trouvé Braken et Loënia dans ce chapitre ?
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