Chapitre 8 : Sortie interdite
Loënia continuait de vider le saut de déchets compostables dans l’enclos de Bickie. Elle ignorait le chat aux yeux verts à l’autre bout du jardin. Non, ce ne pouvait pas être un sorcier. Pas dans son jardin, avec sa maison qui faisait des siennes. Rashnoé n’aurait pas osé venir ici ! Elle tourna la tête vers le félin qui s’était approché et miaulait à présent.
Elle se retourna vers la chèvre, la caressant.
-Noé, si c’est bien toi, murmura-t-elle, ne te transforme pas en plein dans mon jardin.
Le chat gris vint se frotter à ses jambes. Elle n’eut d’autres choix que de baisser la tête vers lui, il miaula encore plus fort. Loënia renonça, s’accroupit et lui caressa le dos.
-Si tu veux qu’on parle, va derrière un buisson, Raison pourrait te voir.
Le chat n’attendit pas plus et courra derrière le buisson. Loënia vit quelques éclats de lumière, tout en feignant de caresser Bickie qui s’agitait davantage de minutes en minutes.
-C’est bon, fit Noé depuis derrière le buisson, je suis de nouveau sous une forme humaine. Et habillé.
Il y avait dans sa voix une pincée d’agacement.
-Reste derrière pour éviter que quelqu’un ne te voit, OK ?
Il dut hocher la tête car Loënia ne l’entendit pas répondre. Elle se doutait des motifs de sa venue ici.
-Comment vas-tu ? Lui demanda-t-il alors.
-Je vais bien, répondit-elle automatiquement tout en sachant que ce n’était pas vraiment la réponse que Noé attendait. Et toi ?
-Tu ne répondais presque plus à mes messages, je me suis inquiété.
-Désolée..
-J’étais véritablement anxieux, insista-t-il. J’ai cru que tu m’avais de nouveau oublié.
Loënia avait envie de lui répondre qu’il était inoubliable mais elle s’en abstint. Elle mordit sa langue, en quête de la meilleure réponse possible. Elle était honteuse et ne se sentait pas capable de se tourner vers lui pour le regarder alors, elle brossait du regard le pelage noir et blanc de Bickie.
-Ma mère ne veut plus que je sorte. Elle est très stressée et énervée par rapport aux vampires qui zonent autour de Cryset, alors elle est intraitable.
-Elle n’a pas le droit de te priver de liberté, rajouta Noé tout en faisant remuer le buisson devant lui. Viens, sortons. Ta mère est au travail ?
Loënia hocha nerveusement la tête.
-Alors, allons à ma boutique. Nous pourrons parler tranquillement. Tu n’as qu’à dire que tu as cours à Raison, on est vendredi. Ce serait plausible.
Loënia était partagée. Elle ne voulait pas mentir à sa sœur, et elle détestait cela, mais elle savait que sa sœur ne pourrait rien lui reprocher, si elle allait en cours. De plus, Raison ne la vendrait jamais.
-J’ai vraiment eu peur pour toi, fit Noé.
Ils marchaient côte à côte sur le trottoir du quartier de Loënia. Ils n’étaient pas collés, uniquement proches comme deux camarades de fac. Loënia se disait qu’elle aurait aimé se métamorphoser, en chat ou en golden retriever, mais elle en était incapable. Seuls les sorciers pouvaient faire cela. C’était une autre différence entre eux. Comme le fait que les fées apprennent le latin dès leur plus jeune âge et que les sorciers étudient le grec. Tous les sorts des fées étaient donc en latin et réciproquement pour les sorciers.
-Je m’en veux, tu sais.
Noé lui tendit la main, ils mélèrent leurs doigts. C’était le début de l’après-midi et le temps était étonnamment doux, pour le mois de mars. Ils avaient tous les deux pris un blouson assez chaud pour parer le vent. Loënia avait amené son sac de cours pour peaufiner son mensonge.
Elle était contente de voir le sorcier. La confiance qui transparaissait de lui l’encourageait elle-même à se détendre. Les longs cheveux blonds de son ami volaient au vent. C’est alors, en le détaillant, qu’elle se rendait compte qu’il ne portait pas de lentilles. Elle espérait croiser peu de monde, ou alors, aucun humain. Et en même temps, elle se moquait que les autres voient les yeux de son ami. Ils n’avaient qu’à s’y habituer. C’était une de ses caractéristiques physiques qu’il ne pouvait pas changer et, finalement Loënia le pensait, qu’il fallait exhiber.
-C’est vraiment gentil de ta part d’être venu me voir.
Rashnoé lui sourit. Ses tâches de rousseurs ressortaient encore davantage au soleil que sous les guirlandes lumineuses de sa boutique.
Les deux amis auraient pu prendre le car pour rejoindre Lent-sorceler car il leur fallait traverser tout le centre ville pour l'atteindre. Sans s’être préalablement consultés, ils s’étaient mis d’accord pour marcher et, de ce fait, passer un peu plus de temps ensemble, seul à seul.
Noé s’écarta un instant de Loënia, toujours en lui tenant la main, pour éviter de marcher sur des fourmis. Il avait une peur bleue des insectes. Loënia se dit qu’elle lui offrirai une tapette à mouche pour son anniversaire, en décembre, au moins pour rigoler. Cette fois-ci, elle avait bien l’intention de s’en rappeler.
Ils marchèrent sous un arbre dépourvu de feuille, puis un trottoir déformé par les racines d’un arbre. Plus loin, un banc avec ses pieds chaussés de lierre. Loënia avait le nez en l’air. Elle regardait les parcelles de ciel bleu à travers les trous que laissaient les nuages.
Ils discutèrent de leurs pâtisseries préférées, de leurs parents (Loënia apprit que les ceux de Noé voulaient la voir au plus vite) et de la situation tendue à Cryset. Ils arrivèrent finalement à la boutique. Noé alluma les néons et les guirlandes lumineuses pour bien indiquer que, malgré la devanture poussiéreuse et inexistante, il était bien ouvert.
Ils n’eurent pas le temps de se poser que deux hommes entrèrent dans la boutique. Loënia aurait aimé se décaler pour les laisser mieux observer les marchandises mais quelque chose dans leurs attitudes laissait comprendre qu’ils n’étaient pas simplement là pour dépenser leur argent.
Des vampires, songea Loënia en échangeant un regard avec Noé.
Ils pénétrèrent davantage dans la boutique et jaugèrent du regard la fée et le sorcier comme s’ils étaient des enfants - ce qu’ils étaient probablement à leurs yeux. Les deux hommes portaient un jean et un polo, leur tenue était si similaire qu’on aurait dit un uniforme. Seule la couleur de leurs cheveux les différenciaient.
Enfin, l’un des deux hommes, celui qui avait des cheveux roux et ras, prit la parole.
-Vous devez venir avec nous.
Si Loënia pensait qu’ils s’adressaient à Rashnoé, un regard sombre suffit à lui faire changer d’avis. Ils les attendaient tous les deux. Loënia se refusait à les suivre. Il était foncièrement impossible que Noé ou elle viennent avec eux nulle part.
-Que nous voulez-vous ? demanda le sorcier d’un ton poli.
-Vous le saurez une fois que vous aurez vu notre meneur, répondit l’autre, un homme maigre aux cheveux bruns.
-Nous ne vous suivrons pas, répondit la fée d’un ton assuré. Nous avons d’autres choses à faire.
Les deux vampires ne se donnèrent pas la peine de lui répondre. Ils approchèrent, un pour Noé, l’autre pour Loënia. Les deux amis reculèrent l’un vers l’autre, Loënia tenta de jeter un enchantement pour faire reculer au moins un vampire. Rashnoé n’était pas en reste, il avait levé ses mains et semblait prêt à faire usage de sa magie.
S’ils furent surpris par l'arc de cercle qui s'était échappé de Loënia, ils ne le montrèrent pas. Ils n’avaient reculé que de quelques centimètres sur le parquet abîmé. La fée et le sorcier échangèrent un regard anxieux. Était-ce vraiment prudent de se défendre ? Le vampire roux saisit Noé par les poignets tandis que le brun menaça Loënia avec une seringue.
-Retente une nouvelle fois de lancer un sort et mon pote brise les poignets de ton petit ami.
-OK, OK, fit Loënia d’une voix paniquée, je serai sage ! Promis.
Elle voyait le visage de son ami se tendre et grimacer à cause des tensions sur ses poignets. Elle avait beau ne pas se rappeler de lui, elle ne voulait pas qu’il souffre de quelque façon que ce soit.
-On vous suit ! dit-elle dans l’espoir qu’ils relâchent Noé.
Le vampire fit se tourner Noé et le maintint par les bras sans ménagement. Le second, brun, rangea la seringue dans sa poche et saisit Loënia par le cou, appuyant d’une telle façon que le moindre mouvement lui était douloureux.
Ils n’eurent pas d’autres choix que de rentrer dans une grande camionnette blanche, garée sur le trottoir devant la boutique. Elle aurait pu être celle d’un artisan, elle était donc parfaite pour se fondre dans la ville.
Ils se retrouvèrent chacun assis à côté d’un molosse immortel qui les fixait. Au moindre mouvement -Loënia avait remis quelques mèches de cheveux en place- ils se tenaient prêt à bondir sur eux. Elle se raccrochait à son sac à dos, espérant que son ordinateur portable n’allait pas être brisé. Ni Noé, ni Loënia ne parlaient. Ils s’échangeaient des regards de temps en temps, pour s’assurer que l’autre allait bien.
La fée ne réalisait pas bien à quel point la situation avait mal tourné. Au commencement, elle était dans son jardin, en train de nourrir sa biquette, et maintenant, elle se retrouvait kidnappée par des vampires.
Le trajet ne dura pas très longtemps. La camionnette ne possédait pas de fenêtre, donc il leur était impossible de se repérer. Ils étaient assis sur des bancs en bois couvert de poussière et fixés au sol de la camionnette. Loënia pensa d’abord qu’elle n’aurait jamais dû suivre Noé à sa boutique juste avant de songer que si, il valait mieux être deux face à des vampires que tout seul. Si elle avait refusé, elle aurait été malade en apprenant que son meilleur ami aurait été kidnappé seul et presque sans défense. Si la fée se considérait elle-même comme un moyen de se défendre, ce qu'elle n'était pas totalement car, en tant que fée, elle n'avait jamais appris à se battre comme les hommes de son espèce ou les sorciers, elle espérait être capable de s’échapper au plus vite.
La voiture s’arrêta rapidement, faisant une embardée qui fit chanceler Noé et Loënia vers leur garde du corps non voulu. Chacun d’eux saisit leur magicien par les bras. La fée faillit tomber au sol quand elle sauta de la camionnette et c’est le vampire qui le rattrapa du bout des doigts.
Ils entrèrent dans une maison de grande taille au style ancien, tel un manoir. De ce qu’ils virent, ils étaient en bord de forêt. Loënia pensa aussitôt au bois près du château de son oncle. En étaient-ils proches ?
Ils entrèrent sans protestation. Les murs de la demeure étaient assombris par de lourdes tapisseries et une atmosphère vespérale se dégageait de chaque pièce qu’ils traversaient. Ils se retrouvèrent bientôt dans une salle à manger aux larges meubles en bois brun à la mode bretonne. Il y avait une table avec quatre large pieds en forme de pattes de loups. Deux lustres énormes surplombaient la pièce, prêts à s’effondrer sur les invités s’ils se dévissaient.
Le plus surprenant était le sentiment que Loënia ressentait dans tout son être. C’était comme si un frisson l’avait traversé et la ralentissait. Elle se demandait quel mélange il pouvait y avoir dans l’air, quel sortilège puissant ils avaient pu utiliser pour affaiblir certaines créatures magiques. Quant à Rashnoé, il semblait tout aussi alerte qu'à l'accoutumé. Seuls les vampires ne semblaient pas en souffrir.
Un homme entra, le pas nonchalant, et vint les rejoindre. Il avait tout d’un vampire : le teint pâle, le costume ancien, l’allure aristocratique. Tout d’un coup, Loënia fit le lien avec les attaques et les meurtres à Cryset. Et s’ils étaient face au vampire qui les commanditait ?
-Bonjour à vous deux, leur sourit-il.
Le meneur avait un terrible air carnassier qui était amplifié par ses anormalement longues canines. Quant à Loënia et Rashnoé, ils étaient toujours entravés dans leurs mouvements par les vampires qui les avaient kidnappés. Ni l’un, ni l’autre n’avaient la moindre trace de sourire sur le visage.
-Vous pouvez les lâcher, dit le nouveau venu.
Loënia massa son cou d’une main, se demandant toujours pourquoi elle se sentait aussi mal. Le meneur avança vers les deux jeunes gens. Ses yeux marron semblaient presque être deux billes noires plantées dans son crâne.
-Je suppose que tu es Rashnoé Corasone.
Il scruta le sorcier de haut en bas, puis quand il jugea qu’il en savait assez, il se tourna vers Loënia avec un air curieux.
-Mais toi, qui es-tu ?
La fée hésita, les lèvres pincées, avant de répondre.
-Je suis Loënia Oppralin.
Hey !
Je déteste quand les auteurs coupent leur chapitre en pleine action et j'ai l'audace de faire la même chose.
A votre avis, que va-t-il arriver à nos jeunes amis ?
J'espère que vous vous portez bien !
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